Dans tes pas, au Puy-en-Velay
lauriannem
Depuis la fenêtre, je contemple la statue de Notre-Dame-de-France au loin. Majestueuse sur son rocher, l'icône de la Vierge en fonte couleur rouille surplombe le Puy-en-Velay et ses toits de tuiles aux nuances cuivrées. Je soupire d'extase devant la vue avant de rejoindre mon hôte dans le salon. Malgré mon pas léger, les craquements des lattes du parquet en bois trahissent mon approche. Marie détache son regard de son bouquin et me propose un thé. J'accepte et m'assieds sur le canapé en cuir tandis qu'elle s'échappe dans la cuisine. Le soleil couchant baigne de ses reflets dorés la pièce. Autour de moi, quelques plantes vertes égayent une décoration sobre au mobilier en bois et osier. Marie revient avec deux tasses de thé fumant et s'installe à mes côtés.
— Alors ma petite, il va falloir que tu m'expliques pourquoi tu tiens à aller à la Fête du Roi de l'Oiseau toute seule ! D'habitude, les jeunes comme toi viennent en groupe.
La quinquagénaire me sourit et je ne lui tiens pas gré de cette familiarité tant cela me semble naturel. Son visage avenant respire l'harmonie et malgré son âge avancé, je lui envie ses jolis traits.
— Jeune, c'est vite dit, j'ai presque trente ans tout de même ! Je ne reste que deux jours, je n'avais pas besoin d'être accompagnée… et c'est un « pèlerinage » que je dois effectuer seule.
— Un « pèlerinage » ? Est-ce que tu souhaites m'en parler ?
Elle a presque murmuré ces mots et j'apprécie sa prévenance. J'avais pourtant prévu de ne pas m'épancher mais sa gentillesse me pousse à lui livrer les raisons de mon séjour malgré ma réticence. Huit ans plus tôt, été 2006, en vacances chez mon père, celui-ci m'avait parlé des festivités du Roi de l'Oiseau. Tous les ans, en septembre, la ville se pare de ses plus belles couleurs pour un retour à l'époque de la Renaissance. Je ne pouvais rester jusque septembre alors nous avions décidé de nous revoir l'année suivante afin d'assister aux réjouissances. Quelques mois plus tard, il décéda d'un cancer des poumons. Depuis, je pense souvent : et si j'allais à cette fête comme nous l'avions prévu ? Cette année, je me suis enfin décidée à lui rendre un dernier hommage
Marie me fixe, les yeux humides, elle replace quelques mèches de ses cheveux noirs pour dissimuler son trouble. Pourtant, je lis de la compassion dans son regard mais aussi de la compréhension. Je reconnais la douleur dans ses yeux, lorsque le deuil porté pour un être cher devient une compagnie douce-amère que l'on s'inflige pour compenser le manque. Les fenêtres ouvertes laissent entrer les bruits ambiants de la rue et quand Marie me demande de lui parler de mon père, je n'ai plus aucune retenue. Je lui confie ces souvenirs si vivants dans mon esprit. Je lui raconte mes promenades dans le vieux-centre et ses boutiques de pierres précieuses ou encore les meringues de taille impressionnante dont je me régalais avec mon père. Mes matins dans son appartement exigu, réveillée par l'odeur du café et des croissants encore chauds préparés par ses soins. Ma voix s'enroue alors que je partage ces tranches de vie, je peine à retenir les larmes. Je n'ai pas grandi avec mon père et nos rapports furent parfois houleux mais ces vacances en 2006 avaient réussi à concentrer le meilleur de ce qui nous unissait. Marie pose une main sur la mienne, je parviens à ne pas laisser échapper ma peine. Elle se dirige dans sa chambre sur un timide « Bonne nuit » et je ne tarde pas à rejoindre la mienne. La décoration sobre de la pièce est égayée par les couleurs solaires des rideaux et les murs aux multiples nuances de bleus. Après quelques larmes, je me laisse emporter par Morphée pour une nuit sans rêve.
Le lendemain matin, je me réveille vers dix heures. L'appartement est silencieux, Marie m'avait prévenue de son absence. Sur mon passage, j'ouvre les fenêtres du salon et savoure les rayons du soleil sur mon visage avant de pénétrer dans la cuisine. Sur la table ronde nappée d'un tissu aux motifs fleuris, une cafetière remplie, des croissants et une énorme meringue m'attendent, ainsi qu'un mot à l'écriture délicate :
Suite à notre conversation d'hier, je suis sortie t'acheter ces quelques douceurs qui te rappelleront tes beaux souvenirs avec lui. Je t'attends ce soir avec le sourire et de belles histoires à raconter. Bises.
Cette fois-ci, je laisse les larmes couler et s'échouer sur un sourire apaisé. Le cœur plus léger, je m'attaque au petit-déjeuner. Cette journée ne sera pas un éloge funèbre à mon père mais un hommage festif à nos bons moments, en son honneur et en celui de Marie.