Un dernier verre

virginie_t

La nuit était déjà bien avancée quand je poussai la lourde porte du Zinc des Carpates - drôle de nom pour un troquet.
Je m'installai directement au comptoir et demandai un whisky - sec, la journée avait été rude. Le barman me colla la carte sous le nez sans décrocher un mot. Sur la couverture, en belles lettres gothiques, on pouvait lire "Le Zinc des Carpates - Les meilleurs cafés depuis 1897". Ok, soit. Pas une raison pour m'envoyer bouler non plus. Je parcourus la carte : Starbucks pouvait aller se rhabiller, il y avait là des dizaines de café, de toutes origines, servis noirs, chauds ou froids, une farandole de noisettes, de capuccinos, de lattes, de frappés... J'étais mal barré. Qu'est ce que c'était que ce rad ? Un peu perdu, je relevai les yeux vers le barman. Il me tendait une tasse, un petit sourire narquois aux lèvres "Un irish bien tassé, ça vous irait ?"
Je lui pris la tasse des mains et avalai une bonne rasade du breuvage fumant sans demander mon reste. Il ne s'était pas foutu de moi, le bougre, le Glen déployait toute sa saveur dans ma bouche et me réchauffait déjà la gorge. La nuit ne s'annonçait pas si mal finalement. Je reposai la tasse sur sa soucoupe et, plus détendu, en profitai pour examiner les lieux.
Si on y réfléchissait deux minutes, c'était bizarre quand même un café - qui ne servait que du café - encore ouvert à 3h du mat'.
Et tous ces types au comptoir qui s'envoyaient des petits noirs sans broncher, ouais, il y avait pas à dire, c'était vraiment bizarre.
C'était bien ça : un café qui ne servait que du café, encore ouvert à 3h du mat', blindé de types sombres qui s'envoyaient des petits noirs au comptoir. Plus que bizarre.
Une bonne rasade d'irish - si c'était leur truc à ces types de se bourrer de caféine en plein milieu de la nuit, c'était bien leur droit. C'était pas moi, l'expert en descente de whisky, qui allait leur faire la leçon. Ah ça, non.
Je finissai ma tasse. Pas mal le cocktail café-whisky, je le notai dans un coin de ma tête. Un point pour les caféinomanes noctambules.
Pourquoi me regardaient-ils tous comme ça au fait ?
Un battement de cœur plus tard, j'étais projeté au sol par le barman. Comment avait-il fait pour passer par dessus le comptoir si rapidement ?
Dans le même mouvement, 4 ou 5 types lâchèrent leurs tasses chéries et me bondirent sur le torse. J'étouffais, incapable de bouger. Mais qui étaient ces types ?
Je sentis alors une série de crocs acérés se planter dans mes chairs. Je me sentais partir, aspiré, au milieu d'effluves de café.
Avant de rendre l'âme, une dernière pensée me traversa l'esprit : les vampires existaient, et ils buvaient du café.

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