Un enterrement de 1e classe

krizpof

Samedi, avenue Victor Hugo.

- 15h20. Je n’en suis qu’à un… Une chance que je sois tombée sur Max – c’était moins dur avec lui, ça nous a rappelé le bon vieux temps. 

J’ai l’air malin avec ce justaucorps rose et ce maquillage de pute ! Elles rigolaient bien en me préparant. Clarisse par exemple : elle en hurlait ! Elle,  si prude. Quand je pense que Jonathan voulait lui présenter son pote Bertrand. Je lui donne pas cinq minutes. Mon Jon… il est pourtant si mignon quand on est tous les deux.

Donc, embrasser cinq garçons sur la bouche. Qui a eu cette idée tordue ? Gégé ? Non, Gégé n’aurait jamais eu une idée pareille. Elle n’aime pas beaucoup Jonathan – elle a peur pour moi, ma Gégé. Mais elle peut pas comprendre : Jon, son petit côté macho, c’est pour cacher sa tendresse. Il est tellement adorable quand on est rien que nous deux.

Une vibration dans sa poche.

« On s’éclate à fond. J’espère que toi aussi. Je t’M. »

- Marie, ma fille, encore quatre. Le grand tout pâle, sur son vélo ?

Samedi, allée des Petits Champs

- Clotilde, baisse la ‘zique ! Les filles, on a fait un bon bout de chemin ensemble… Vous vous souvenez, l’arrivée à Athènes en train au petit matin ? Ou quand Lisa avait disparu avec un type chelou, et qu’on a fait tous les campings du Crouesty pour la retrouver ? Mais c’est pas parce que je me marie qu’on ne va plus rien faire ensemble !

Marie boit une gorgée de gin tonic et regarde au loin les pins parasols.

- Mais j’ai autre chose à vous dire. Cette journée, je la voulais comme un bon moment entre copines… J’imaginais qu’on irait essayer des fringues délires, ou bien faire les stars à la piscine, ou encore se faire papouiller au spa, enfin un truc où on est bien toutes ensembles. Mais j’ai eu une sorte de bizutage pas très agréable. C’est pas des reproches. On s’est toujours tout dit, pas vrai ? J’ai repensé à la Grèce, au Crouesty, et je me suis dit « courage ! ». Désolée si je casse l’ambiance. Franchement, ça ne vous ressemble tellement pas ! Je ne pouvais pas laisser ça entre nous.

Elle se sent soudain seule, en apesanteur au milieu d’elles, ses amies, ses frangines, son clan. Géraldine se lève et la prend dans ses bras.

-       Merci, Marie.

 Alors Marie reprend pied. Sa poitrine se libère à nouveau. Elle lève son verre.

-       A vous les filles !

-       A toi ma belle !

-       Vive la mariée !

Mardi, restaurant One Two Tea

-       J’ai dit à Jon que j’avais besoin que tu m’aides à choisir un sac de voyage.

-       Vous avez choisi ?

-       Oui, deux formules avec la salade, et un demi de rosé.

-       Alors, qu’est ce que tu voulais me dire ? C’est à propos de samedi dernier ?

-       Tu as vraiment bien fait.

-       Tu n’imagines pas comme j’étais malheureuse. Seule avec mon maquillage de pute, et tous ces gens qui passaient.

-       Je te dois la vérité moi aussi. C’est Marion qui a lancé l’idée.

-       Marion ? Mais pourquoi ?

-       Et voici les salades. Bon appétit !

Marie pique un bout de tomate puis repose sa fourchette, et regarde à nouveau Géraldine.

-       Mais Marion est toujours la dernière à délirer…

-       On a d’abord cru qu’elle blaguait. Ensuite on lui a dit qu’on ne le sentait pas.

-       Mais comment a-t-elle pu vous convaincre ?

-       Marion avait un argument de poids.

-       Quoi donc ?

-       L’idée ne venait pas d’elle, en fait.

-       Mais tu viens de me dire que…

-       Oui, elle en a parlé, mais elle ne l’avait pas inventé. Je me demande d’ailleurs si elle était convaincue.

-       Et donc ?

-       Tu ne devines pas ? Quelqu’un de très proche de Marion… Réfléchis !

-       …

-       Fais un effort, merde, c’est quand même difficile pour moi ! Elle t’a bien présenté son frère, non ?

Marie voit la Grande Rue tourner autour d’elle. Une légère vibration la secoue.

« Prends-en un grand pour tous les cadeaux que je vais t’acheter. Je t’M »

-       Jon… Mais pourquoi ?

-       Il voulait savoir si tu pouvais délirer jusque là. Marion a insisté là-dessus. Ca devenait comme une dernière épreuve avant votre mariage. On n’a pas su dire non. Oh, j’ai été si conne…

-       Il a vraiment demandé ça à Marion ? 

-       Elle n’aurait jamais inventé une chose pareille. Et je connais peu Jonathan mais je le vois difficilement inventer ça aussi… Ca sent le défi entre mecs.

-       Sauf que le défi, il était pour moi ! Merci Gégé, enfin… si, merci, excuse-moi. Règle pour moi, je te rembourserai.

-       Marie…

Elle a déjà tourné le coin de la rue Vernoux. Géraldine vide le pichet de rosé dans son verre.

Jeudi, café Le Marché

-       Tu es passé chercher ta robe ?

-       Non, j’irai demain.

-       Mais s’il y a encore des retouches ? Après ça va faire trop juste !

-       T’inquiètes, ça ira.

-       Mon cousin Hervé a rappelé – finalement, il vient avec sa femme. Pourquoi tu n’as pas répondu à mes SMS ?

-       Oh tu sais, j’étais occupée. Tu es parti trois jours avec tes copains.

-       Mais bébé, on a vraiment fait des trucs géniaux. D’abord, Titi avait loué des quads et..

-       J’ai diné avec Marion hier soir.

-       Ah super ! J’ai pas vu Marion depuis quelques jours, elle va bien ?

-       On a parlé de toi, de moi, de nous.

-       Normal. Et donc on était six quads, et…

-       Elle t’aime ta sœur. Elle est prête à faire des choses incroyables pour toi.

-       Oui elle est chouette Marion. Donc on a pris un chem…

-       Mais elle sait être lucide aussi, et reconnaître quand elle va trop loin.

-       Oui bien sûr. Oh putain, 13h25 déjà, le boss va être furieux !

Il se lève, l’embrasse.

-       Demain midi ?

-       Non. J’ai encore des trucs à faire. Samedi à la mairie.

-       On ne se revoit pas d’ici là ?

-       Pas le temps, Jon. Et puis le futur marié doit savoir attendre jusqu’au dernier instant, non ? Tu auras une vraie belle surprise.

-       Bon, mais on s’appelle hein ? Je file, à samedi mon amour.

Elle le regarde s’éloigner, sort son portable.

« Tjs OK demain 19h15 ? »

Samedi, parvis de l’Hôtel de Ville

-       9h45. Elles ne devraient plus tarder maintenant.

-       Bertrand, arrête, tu ne me trouves pas assez nerveux comme ça ?

-       Cool mon pote, tout va bien se passer. Pense au plan baise du week-end dernier. Rien que pour ça, ça valait le coup de se marier, hein ?

-       J’aurais pas du t’écouter… Si Marie apprend ça un jour, elle va m’étriper, c’est sûr !

-       Mais non! Je te rappelle que ce qu’on a demandé à ta soeur, c’était pour te mettre à l’abri. D’ailleurs les photos qu’elle a prises sont parfaites. Si Madame te parle un jour de notre plan baise, tu n’auras qu’à lui rappeler qu’elle n’a pas rechigné, elle, à embrasser cinq inconnus en pleine rue !

-       Qu’est ce que j’aurais loupé si je ne t’avais pas connu !

-       Ah quand même, un peu de reconnaissance ! Tiens, ton portable sonne.

« Ai bcp apprécié petit jeu samedi dernier. Les rencontres ça ouvre les yeux. Le gd garçon pâle à vélo embrasse bcp mieux que toi. Tu avais raison - il me fallait un gd sac de voyage. »

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