Un Franc C. F. A , Dans L'HexagoneTerre promise

lanlan

« L’endroit où il y’ a marqué  « SORTIE ».  Intrigué, je ne comprends pas pourquoi, je dois entrer en France par la sortie. Cela me semble de mauvais augure. » 

Derrière cet intriguant panneau, mon cousin Gustave et monsieur Rossi qui ne se connaissent pas m’attendent curieusement côte à côte, avec chacun un pull  dans les mains; et,  avant même que j’ai eu le temps de faire les présentations, ils  m’expliquent simultanément en Eton et en Français que je dois impérativement mettre un pull au dessus de ma chemise à fleurs, si je ne veux pas attraper froid. Tout en enfilant le pull de Gustave au dessus de ma chemise, je me demande secrètement comment on peut attraper froid en plein mois de juin, où il fait chaud chez nous, malgré les fines pluies de la saison. La réponse vient très rapidement. Dès que je mets le nez dehors pour m’engouffrer dans la porche de monsieur Rossi, je constate avec stupeur que,  même avec le pull sur ma chemise à fleurs, c’est la première fois de ma vie que j’ai aussi froid.   

Au bout d’un mois de séjour à Paris, je commence à m’acclimater tant bien que mal. Néanmoins, et je ne comprends toujours pas pourquoi les filles  réagissent comme si je les avais injuriées, chaque fois que je tente une approche en leur disant gentiment  bonjour. Je ne comprends pas non plus pourquoi les noirs me rabrouent systématiquement chaque fois que je les appelle « mon frère » en m’adressant à eux.

Comme un appel au secours, j’envoie le premier bilan de  mes douloureuses impressions à ma famille.

« Chère maman,

« Depuis mon arrivée en France je n’arrête pas de courir comme « tout le  monde  ici. Konaté qui habite un grand hôtel de luxe, la « SONACOTRA »,  m’a trouvé  une  chambre dans un foyer de jeunes  travailleurs, où il n’y a que des noirs. Je  partage ma chambre avec sept  de mes camarades. Chaque soir, j’ai  l’impression de grimper sur un « palmier à huile géant » quand je monte sur l’échelle qui  conduit à mon lit, « qui se trouve au dessus du lit de Fofana qui  lui, se trouve  au dessus « de celui de  Traoré  ».

« C’est te dire que tout est différent ici. J’ai beau guetter le chant  de la perdrix  et les lamentations du Hibou… rien, sinon des gens qui se « promènent du soir au  matin, en mangeant des choses bizarres  enveloppées dans du papier. Depuis  mon arrivée ici, je suis entouré de  gens qui ne me regardent même pas! Il  paraît qu’ils sont comme ça, « même entre eux : pas causants ! 

 Et quand ils ouvrent la bouche,  ils parlent un français que j’ai  du mal à comprendre. Ils donnent aux choses des noms nouveaux, et pas  du tout appropriés à mon avis. Par exemple des noirs  comme moi,  Ils les  appellent des hommes de couleur ou des immigrés. Je les ai même  entendu appeler « ratons » des blancs qui, à mon avis, n’ont aucune  espèce de ressemblance, avec cette

 Famille de rongeurs. C’est comme ce blanc qui a crié  quel  négro celui là  dans le métro.  Depuis je n’arrête pas de regarder mon  nez devant la glace. 

 Cet après midi, j’ai pris un rafraîchissement avec monsieur  Rossi à la terrasse d’un café, au carrefour de la  porte d’Orléans. En balayant ce grand carrefour du regard, j’ai pris pour des hallucinations  tous ces gens qui couraient dans tous  les sens comme des fourmis « magnans. » 

 Hier soir, j’ai suivi un débat à la télévision. Monsieur le  Président de la République n’arrêtait pas de s’engueuler avec un monsieur qui n’est même pas Président de la République et qui osait dire  non à tout ce que disait le Président. Ils disent que c’est çà la démocratie,  et que  le Président actuel faisait la même chose quand il n’était pas « encore Président de la République.

 L’autre jour, Konaté m’a emmené dans un village qui  s’appelle Cap d’Agde. Drôle de nom ! A ma surprise il existe là–bas des  blancs qui  vivent encore complètement nus comme nos ancêtres d’autrefois. Ils  appellent çà  les naturistes  et prétendent que c’est bon pour la santé et le  moral. Pourtant, beaucoup d’entre-eux ont des bourrelets flasques et difformes. Ils appellent çà des  pommes d’amour ou des bourrelets  érotiques. Si le père Graffin qui détestait  le nudisme les entendait,  il se  retournerait dans sa tombe.  

 Toutes ces choses me préoccupent tellement, que j’en passe des « nuits blanches. Je m’arrête jusqu’ici. Pour rien au monde je ne veux imiter les  blancs ! mais je  dois regarder un film Américain à la télévision.

« Au revoir maman, ton fils de Paris. »

Grâce à la générosité de monsieur Rossi, j’ai pu comme touriste, avec autant de respect que de reconnaissance, jouir pleinement et gratuitement, des plaisirs sophistiqués qu’offre le patrimoine touristique Français.

Les musées : le Louvre le musée de l’homme, le musée de L’Afrique et de L’Océanie, le musée Grévin, le musée des Arts modernes, le musée Cluny, le musée D’Orsay, le musée Rodin, le musée Picasso, L’Hôtel de la Monnaie Le palais de la découverte.

Les attractions : le jardin D’Acclimatation, le Jardin des plantes, le Zoo de Vincennes.  La fête des Loges, La foire du Trône.                                

Les Monuments : L’Arc de Triomphe, Les Catacombes, Les Invalides, Notre Dame de Paris, l’Obélisque, le Palais de Chaillot, le  Louvre, les Arènes de Lutèce, la Tour Eiffel.

Les Music-halls : le Casino de Paris, le Lido, le Moulin Rouge, les Folies Bergères.

Les Théâtres Nationaux et privés : la Comédie Française et ses classiques, le Théâtre de la ville, Mogador, les Bouffes du Nord.

Les Châteaux de la Loire, et quelques maisons de personnages célèbres.

L’Opéra. Ah ! L’Opéra quel bel endroit, me suis-je dis ce jour là ! Car j’étais ébloui, subjugué, conquis par son architecture et sa luxueuse décoration, avant même le début du spectacle.  A la fin de la représentation, je me suis tout de même permis d’exprimer mon appréciation à monsieur Rossi. Malgré des costumes somptueux, une mise en scène extravagante, accentuée par des musiques  rehaussées  par une orchestration et une interprétation techniquement réussies-ce qui magnifiait incontestablement la  rareté et la  performance des voix,  je trouvai bizarre qu’on ait attribué à tout cela l’appellation de spectacle de danse. Cela me semblait plus proche de la gymnastique rythmée que de la danse. Néanmoins, je dois avouer que j’ai été profondément marqué par l’éblouissante blancheur de tous ces cygnes sur scène, et la rigueur chorégraphique des ensembles. Monsieur Rossi m’expliqua que ma réaction n’avait rien d’étonnant. Elle est naturelle pour quelqu’un de  la culture africaine dont je suis issue et qu’il a étudié pendant des années. Pour lui, mon questionnement et mon appréciation marquent mes premiers pas d’ouverture vers la culture française.

En cette année 1972, le travail ne  manque pas en France. Les Universités, et surtout la faculté de Dauphine, comptent un nombre croissant d’étudiants originaires des pays de l’Afrique francophone. Certains sont boursiers, d’autres font des petits boulots pour payer leurs études et assurer leur survie dans d’étroites  chambres de bonne ou de luxurieux  foyers Sonacotra.

Mon ami Konaté m’a appris à me déplacer dans les transports en commun parisiens. Si le voyage dans les tunnels du métro me revient moins cher, c’est aussi celui qui me prive de la vue de Paris et me fait découvrir la promiscuité et la solitude. Tous ces gens qui sont obligés de voyager ensemble, sans se parler, sans se regarder, comme si tout le monde était fâché avec tout le monde m’ennuient et me font découvrir ma propre solitude, mon état de désœuvrement avancé. Je doute de moi et me demande si j’ai bien fait de décider de m’installer en France. De toute façon, il est trop tard pour revenir sur mes projets. J’irai demain retirer mon titre de séjour  à l’Office National d’Immigration.

Enfin, le changement de saison m’offre l’occasion de prendre mon premier vrai bain de foule le long des boulevards Parisiens. Au sortir du métro Alésia, je découvre un ciel uniformément bleu. Les femmes portent des jupes courtes, et des corsages aux couleurs vives et gaies, nettement moins fleuries qu’en Afrique cependant. La chaleur est douce et  diffuse. Le soleil discret qui la répartit uniformément est pour moi la preuve vivante de l’injustice inexpliquée de cet astre généralement surabondant et presque étouffant dans mon pays pendant ce même  mois de juillet.

Je suis séduit par la déambulation nonchalante des gens le long des boulevards;  je décide de me fondre dans cette masse mouvante.

En longeant les trottoirs,  je découvre tel un fleuve tranquille, le déroulement à la file indienne des Boulevards et des monuments: Général Leclerc,  la place Denfert-Rochereau,  le marché de la rue Daguerre, Port Royal,  l’avenue de l’Observatoire, le boulevard Saint-Michel, le Jardin du  Luxembourg, le Panthéon, la fontaine Saint-Michel. Arrivé à la Seine, je m’accoude aux garde fous du  pont et, tout en contemplant le va-et-vient incessant des bateaux-mouches, la vivante mobilité  de la marée humaine arc-en-ciel, je suis saisi d’une réminiscence de mon passé lointain, et  je commence à griffonner mon cahier d’écolier à spirale qui ne me quitte jamais.   

Nostalgie! Nostalgie!

Ou Les  Temps Perdus

Il existe là –bas,

Très loin dans mon pays,

Des endroits rares où la vie ;

N’est que joie et divertissement.

Des endroits où la terre et le soleil,

S’embrassent à longueur de journée.

Des endroits où les gens heureux 

Ignorent tout de leur bonheur.

Ces endroit d’où jadis ?

Saoul de rêves et ivre de curiosité,

Je partais joyeux

Comme un poisson dans  l’eau

A la conquête d’une forme de bonheur.

Une forme de bonheur que j’ignorais.

La ville d’espoir et de péripéties.

Et voici qu’aujourd’hui brusquement,

Sous l’effet de ce soleil ingrat mais présent,    

Du haut du grand pont neuf,

Le plus vieux pont de Paris ;

Je regarde doucement couler la Seine.

Je la regarde longuement

Mais je ne la vois pas,

Je ne la vois vraiment pas !

Car sous l’ombre tremblante de la Seine ;

Je vois couler nonchalamment la LEKIE.

Cette amie d’enfance qui m’a bercé,

Cette nourrice de tous les temps,

Qui allaite tout un département.

Oh ! Ma LEKIE, ma rivière chérie !

Pourras-tu me reconnaître ?

Hélas non ! Non parce que j’ai grandi,

J’ai grossi et j’ai pris de la barbe

Comme un gros épi de maïs.

Mais, vois-tu,  moi je ne t’ai pas oubliée.

Je me rappelle toujours que jadis,

Après la cueillette des avocats

Des oranges et des SAA,

Je courais en vitesse

Me relaxer dans tes bras.

Nous nous embrassions longuement.

Puis tu me berçais doucement,

Dans le chuchotement de tes petites vagues.

Je me rappelle aussi le gros tronc d’arbre,

Où je m’étendais souvent ruisselant,

Et sentant l’adorable parfum de ta fraîcheur.

Ce tronc d’arbre entièrement poli par tes éclaboussures,

Et qui avait servi d’unique pont autrefois 

A la génération de mes arrières grands parents.

Cet arbre d’où je voyais un peu plus loin,

Un essaim de jeunes filles désinvoltes et belles,

Un essaim de jeunes négresses aux longues tresses

Aux seins nus et pointus

Qui faisaient de la musique ;

Avec le bruit éternel de tes vagues.

Ah ! LEKIE mon amie. 

Si tu me voyais ainsi accoudé

Aux garde-fous de ce pont,

Regardant ces filles aux longs cheveux blonds,

Ces filles en jupes ces filles en pantalons

Ces quelques négresses accoutrées et sans tresses,

Tout ce monde qui n’embrasse plus la Seine 

Par ce que la Seine n’est guère saine ;

Tu saurais que ce n’est plus pareil

Tu saurais  que ma vie a bien changé

Et que je suis bien malheureux.

Je reviendrai peut  être un jour te regarder

Et même t’embrasser pourquoi pas ?

Mais j’ai peur

Que ça ne soit plus pareil,

Que la LEKIE ne soit plus la LEKIE.

J’ai peur que ma LEKIE ne soit plus saine.

J’ai peur qu’un jour

Elle vête cette robe de civilisée

Qu’on appelle « POLLUTION. »

  • J'avais bien lu votre texte, si imposant, vivifiant et frissonnant ...Merci

    · Il y a environ 13 ans ·
    Imgp0653 195

    fl0

  • Lanlan, un FRANC...AIS,C.F.A.. Moi fille du Nord de la France, je connais bien Paris, pour y être allé, toutes les semaines pour affaire. Ce que vous avez décrit, je l'ai ressenti, quand j'ai tenu la porte, pour entrer dans le métro, à un dame âgée, elle m'a regardé comme si je venais d'une autre planète. Pas plus de civilité, maintenant qu'hier. Les provinciaux sont des êtres à part pour les parisiens. J'habite entre Lens et LILLe. Tout à été bien décrit pour un français d'origine africaine, qui arrive pour la première fois en France, surtout Paris. Bravo pour ce moment que j'ai apprécié.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Moi

    Yvette Dujardin

  • la fin est vraiment magnifique et même les descriptions du début.. wouaa

    · Il y a environ 13 ans ·
    Pauline 2010 2 206 500

    Lamoureux Jade

  • Vos avis les amis; Sont un encouragement dopant Merci.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Dscn0767 54

    lanlan

  • Choc des cultures, merci pour ce texte juste, bien écrit. Le détail de la promiscuité du métro qui n'incite pas à l'échange prête à sourire avec tristesse. Très belle prose finale.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Alice orig

    merielle

  • Que de fluidité...on se laisse porter par le courant des mots...

    Paris une bien étrange bête, monstre d'indifférence...il faudrait si peu pour la transformer...quel dommage que le neutron n'a pas conscience de sa puissance de changement...la fission...une réaction en chaîne...un rire qui frappe l'indifférence et l'éclate en mille sourire ...

    · Il y a environ 13 ans ·
    Pangoslide 92

    pango-nohbohdy

  • Ah la suite...Je commence...Récit prenant..

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Ma photo

    theoreme

  • j'aime. J'ai été loin de la france pendant longtemps(25ans)
    de retour ici je ne m'y sent pas mieux qu'au départ.
    Bonne chance à toi!

    · Il y a plus de 13 ans ·
    101 0061 500

    saki

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