un Gallo d'essai
hectorvugo
C’est déjà le matin, l’eau coule, le lavabo se remplit. Si, au moins, j’étais comme ce robinet, à pouvoir débiter quand bon me semble des phrases. Mais non ! Je fais du goutte à goutte.
Quand j’atteins le volume de la flaque, je m’écroule de fatigue.
Il y a un quart d’heure à peine je me suis réveillé en sursaut avachi sur mon bureau, l’auriculaire gauche frôlant la lettre w du clavier, la main droite cachant le feuillet imprimé. Et pour cause. Mon corps a eu honte de ce qu’a créé mon cerveau : trois malheureuses lignes.
Oui c’est déjà le matin, l’eau coule toujours et je végète. Il faudra bien bouger, pratiquer une toilette à la despérado. Ca y est, la vie reprend ses droits, je passe la tête sous l’eau. Un semblant de lucidité me cueille quand la fraicheur investit ma nuque. Pour combien de temps ?
Il serait bon de s’alimenter. Je m’y refuse, je veux revenir à ma table de travail, essayer encore. La nuit quasi blanche n’aide pas au retour de l’inspiration.
L’économiseur d’écran s’est figé sur cette photo. Je n’ai plus reconnu cet homme dessus. C’est bien moi. C’est atroce de se sentir étranger à soi-même. J’ai l’air heureux. On me remet une récompense. Je pose avec mon livre, je fais le fier. Je peux. Ce bouquin est un coup d’essai, un coup de maître. Il raconte une histoire d’amour singulière : la mienne.
Je me souviens de l’envoi du manuscrit à cette maison d’édition, de la réponse positive, du premier jour où j’ai vu mon livre en ventes dans une librairie, de la première dédicace dans un salon de province, des lettres de lecteurs, de ce bouche à oreille menant ma prose à cet anglicisme « best seller » aussi laid que délicieux. Que dire alors de ce prix d’automne. Beaucoup l’auraient boudé. Pas moi ! Avoir le Renaudot est un plaisir immense, ce n’est pas une consolante du Goncourt.
Je me souviens de la célébrité. Une véritable plaie. J’ai été forcé de parler à la place d’écrire, de discourir sur les pages passées. C’est le paradoxe de l’écrivain moderne. Un prix cela vous change la vie. Je dispose d’une communauté de lecteurs. Et quand, dans la rue, j’en croise un, je reçois de lui un témoignage charmant, une liqueur d’amour.
Est-ce pour autant le bonheur ? Non. J’ai découvert avec horreur qu’il ne réside pas là. Il est ailleurs et je le sais très bien. Je l’ai toujours su. Mais comme l’usure de la proximité rend fade les choses essentielles, j’ai oublié l’ivresse qu’elles m’ont procuré. Du temps où j’ai commencé ce livre.
La feuille blanche, le stylo plume, l’encre, le clavier, tout ces auxiliaires qui rendent les heures désirables et incompressibles. Ecrire, écrire dans la solitude, enchainer, déchainer ses mots que je lâche tel un robinet d’eau ininterrompu. Je ne sais plus le faire. Ma source s’est tarie.
Parce que j’ai oublié d’écrire. J’ai fait le beau, mal m’en a pris.
Maintenant, mon histoire d’amour singulière a quitté les librairies. Son héroïne aussi, j’ai été plaqué. Elle n’a pas supporté ma descente aux enfers.
Je suis passé de mode. Momentanément d’après mon éditeur. L’imbécile m’a demandé la suite. J’ai trois mois pour l’écrire. Il a prévenu les médias de la sortie du tome deux pour l’été. Je n’ai plus le choix.
Je m’y suis remis.
Je passe mes journées à essayer d’écrire. Je ne puis supporter le silence des mots. C’est une torture. Et si j’étais à la tête d’une armée de négres dévouée à ma cause comme le père Dumas jadis ? Non ! Quelle capitulation ! En venir à la sous traitance des phrases, à l’expropriation de l’imagination. Me voir en Ajar me révulse. A ça jamais ! J’irai jusqu’à tutoyer milles souffrances pour allonger quelques de mots de mon cru.
Hier soir J’ai douloureusement trouvé un titre et le début du synopsis. « Vieillir avec toi ? Aux premières rides sur nos visages, j’ai douté. Que j’ai aimé notre jeunesse, que j’ai aimé son insouciance. A force de tourner la tête pour regarder notre passé, j’ai le torticoli. On sombre dans le comique !
J’ai saisi le stylo et j’ai gratté, suivant ma méthode : Ecrire le début à la main et achever au numérique. Soyons honnêtes j’ai tenté de gribouiller sans espoir, sans résultat aussi.
Que faire ?
Existe-t-il un psy pour écrivain ? Un Freud capable de déboucher mon stylo plume ? Et si par malheur, la liste d’attente repousse l’éventuelle analyse aux calendes grecques, n’y aurait-il pas sur le marché une pilule, un viagra pour prosateur impuissant ?
Mon éditeur me donne les références d’un site internet tenu par un pharmacien. Il tient une officine à deux pas du Quai Conti, cela me rassure. Cet homme est l’inventeur d’un cachet miracle pour écrivains en mal d’inspiration : le Gallo
Ni une ni deux, j’en commande.
La posologie est assez simple. Trois pillules dans la journée, matin, midi et soir.
Surtout ne pas écrire une ligne pendant une semaine et se remettre doucement à la prose ensuite. Je suis scrupuleusement la prescription. J’ai caché stylos et feuilles dans un secrétaire.
Au bout de trois jours, Le Gallo fait effet. L’envie d’écrire devient terrible. Et l’absence de la moindre feuille blanche me rend fou. Je grave des lettres sur les murs avec un couteau. Je lacère le papier peint. Je tague.
Quelle folie ! Au quatrième jour, je prends un bloc notes et commets des poèmes enfermé dans les toilettes. Je reprends goût par la clandestinité. Au sixième jour mon éditeur m’appelle. Il demande comment ça va. Je mens avec le plus de vérité possible. Je recommence à faire du roman. La mécanique revient et le courage avec. Je sais que demain je pourrai m’y remettre.
Le grand jour arrive enfin, la délivrance. 30 minutes après avoir avalé mon « Gallo », j’investis ma table de travail. Fiévreusement les mots se succèdent, se prennent la main. La ronde joyeuse des phrases est de retour. Je n’ai plus peur de rien. Le saut dans l’inconnu me redonne une joie que je croyais perdue. Il durera 60 jours.
Durant cette période, je n’ai pas pour autant abandonné mes pilules miracles. J’ai diminué la dose comme me l’indique la posologie. 2 mois à ce régime insensé et au bout de la route un roman achevé.
Je suis passé au bureau de mon éditeur déposer le manuscrit. Il est soulagé. J’ai tenu les délais.
Mon traitement au Gallo touche à son terme. Ce soir je prends la dernière pilule de la dernière boite.
Mon ex passe prendre le café. On se revoit depuis quelques jours. On recommunique. On se tourne autour, c’est charmant. Nous sommes dans la cuisine, elle me regarde préparer son arpeggio. Tout comme moi elle est accroc au nespresso.
Le téléphone sonne dans le bureau. Je m’absente.
Encore un vendeur de je ne sais quoi. Je lui raccroche au nez.
Je reviens en cuisine.
- Tu prends un verre d’eau avec ton café c’est nouveau ça
- Non c’est que je continue un traitement, je prends cette pilule. Mais ou est-elle je l’avais mise à côté du verre ?
- Ce truc bleu ! j’ai cru que c’était une sucrette. Désolé elle est dans mon café.
- Et tu l’as bu !
- Oui.
- Il devait avoir un sale gout
- Non à part que je l’ai trouvé trop sucré
L’officine proche du quai Conti n’a jamais existé. Le site internet a cessé son activité suite aux nombreuses plaintes déposées dont la mienne.
Le Gallo n’était qu’un placébo.