Eloge de l'écrivain frustré

valy-bleuette

Hé, pose ton crayon, écrivain du néant. Cesse un instant de semer tes mots dans le vent.

Je veux te parler. Oui, à toi.

Sans vouloir t’affoler, sache que je t’ai cerné. Depuis longtemps. Tu peux trembler, ou bien rire pour cacher ton embarras. Tu n'as pas trop l'habitude d'être mis à l'étude.

Si tu écris, pauvre petit toi, si tu essaies de pondre des phrases qui subliment le monde, c’est pour tenter d'échapper à cette fadeur dans laquelle tu baignes : on l’appelle la réalité.

Pitoyable ou courageux mercenaire de la vie qui passe et repasse sur les pierres, les érodant immanquablement… Si tu cesses d’écrire, tu crains de te noyer, te fondre dans la foule incolore que forment les autres, les gens autour et leur décor. Les gens qui mènent une vie normale et s'en contentent. Tes semblables, tes frères… ceux que tu dis aimer. Aimer de loin, mais loin d’aimer dans leur globalité... avoue.

En écrivant, en entassant ces mots, fébrile, la clope au bec ou les yeux brillants d’excès de thé ou café, tu représentes l’image rêvée du romancier, celui qui se meurt dans l’effort d’accoucher du meilleur des textes, celui qui s'échine à extraire d'une phrase le parfum exact d'un sentiment...

L'écrivant souffre stoïquement du plus grand des maux… La peur de ne pas être capable d’enfanter LE roman.

Tu es lui. Ou elle.

Recevoir le prix de la rentrée prochaine si tu te dépêches, ou même être le premier roman choisi à l’occasion d’un concours sur le net… ou juste être l’auteur du texte sélectionné dans le cadre de cette compétition intercommunale lancée par l’association « Plume pour tous », sponsorisée par les supermarchés C. . On gagne un week-end gourmet du côté de Biarritz, mais surtout… on a été choisi!

Et pis même, marre, tant pis pour les prix… Un écrivain n’est pas n’importe qui, morbleu !

Tu écris donc tu sors du lot, enfin tu l’espères. Tu es le créateur, le Dieu tout puissant de la page blanche que se noircit. Tu DECIDES. Tu ES.

Je te comprends parce que je suis ton miroir, allez, à mon tour de me dévoiler pour soulager la conscience de l'Être.

Comme toi je souhaiterais palper l’essence de l’existence, sentir mon esprit évoluer dans une eau de compréhension, nager dans le parfait bonheur de vivre. Je n’aurais besoin de rien d’autre. Juste la contemplation et la délectation. En attendant, ben j’écris.

Noble désir d'être utile à ceux qui parcourront avidement nos lignes. Et en aval, séduire ceux qui nous encouragent, qui aiment notre style, partagent nos idées. C’est un mécanisme tellement narcissique quand on y songe, n’est ce pas ?

Pourquoi vouloir être utile, quelle en est la signification ? Qui peut se targuer d’être un pion irremplaçable sur l'échiquier de la Vie? Quel auteur servira à quelqu’un, existera encore quand la Terre s’effritera de fatigue, que les survivants de l’espèce n’auront d’autres soucis intellectuels que leur lutte pour assimiler l’air pollué, dégoter un aliment à mâcher qui ne sera pas transgénique, et parvenir à perpétrer la lignée malgré la stérilité des deux sexes ?

Ils ont raison, les éditeurs et leur comité de lecture, de jouir aujourd’hui de la chance qui leur est donnée. La possibilité de jouer aux Rois du Territoire Littéraire en refoulant la masse grouillante d'écrivaillons qui les harcèlent. Droit de vie ou de mort sur la plèbe, en toute impunité. Ils sont assis sur leur trône, le cul bien au chaud. Et tant qu’ils le peuvent, ils garderont en main le glaive sacré qui a désigné l'œuvre favorite de la rentrée prochaine. Les Fous du Roi étant les médias sans qui le cérémonial de la sacralisation ne serait pas rentable…

Une pensée aussi furtive que teintée de jalousie au sujet de ces gens déjà célèbres que je me refuse à nommer écrivains. Laissons-les se vanter des proses que d'autres ont écrites à leur place, laissons-les se congratuler, coupe de champagne à la main et contrat d'édition dans l'autre.

Et restons de marbre face aux journalistes, comédiens et chanteurs ou pire, aux fils de… qui arrivent sur le marché du livre avec une facilité déconcertante. Impossible de lutter. Nous parlons de produits bankables, vous comprenez.

Le talent dans tout ça? Heu… c’est pas le concept, là.Maigre consolation : la majorité de ces romans sont aussi vite édités qu’oubliés. Ouais.

Au final, je vais nous donner le droit à l’optimisme, mes chers amis. Vous et moi écrivons, avons toujours écrit, et derrière nos murs anonymes, sans bruit et modestement, écrirons encore demain. C'est un don, incontestable. Ou une maladie auto-immune.

Nous écrivons par amour. Par manque d'amour aussi. Avides de vies que nous ne connaîtrons que grâce à notre imaginaire. Tant d'histoires à construire, tellement à raconter, à tricoter, pour offrir à ceux qui ont besoin de s'évader, ne serait-ce que le temps d’un Paris-Marseille.

Pour ces enfants qui écoutent leur maman lire un livre, le soir. Puis qui grandissent et perdent maman. Alors ils ont besoin d'autres livres pour s'endormir et faire de beaux rêves.

C'est pour cela que nous écrivons inlassablement, malgré les refus des éditeurs qui ricanent en feuilletant nos manuscrits, qui parfois ne les lisent pas, osant le confesser dans un sourire désolé appelant la mansuétude. Et nos écrits chéris s’en vont croupir dans des armoires avant d’être envoyées au pilon.

Toutefois… nonobstant les faits cités plus hauts…

Rien ne nous empêche de penser : mon tour viendra un jour. Parce que je le vaux bien ! Un éditeur finira par remarquer mon talent.

Celui qui ne gagne jamais au loto est celui qui ne joue pas. CQFD.

L’être humain est ainsi fait qu’il cultive toujours dans un coin de son potager intérieur la fleur de l’espoir.

Le désir aussi fou que légitime de réussir sa traversée sur Terre.

Un souhait aussi mégalomane que désespéré. Parvenir à imprimer son empreinte, quelque part… pour la postérité.

Mourir est si triste.

Écrire pour l’éternité.

  • Miroir, alter-ego???

    · Il y a environ 7 ans ·
    Tho37pa88t

    sandrarose

  • La différence entre un artiste, et celui qui fait dans son jardin. Egocentrisme

    · Il y a environ 12 ans ·
    Pict0112

    nawyecky

  • Pourquoi écrit-on? Vaste question. jules Renard disait "J'écris parce que c'est une façon de parler sans être interrompu." Une définition de l'écrivain pourrait-être alors celle-ci.: personne frustré de ne pouvoir être entendue oralement et qui espère l'être par l'écrit.?

    · Il y a environ 12 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • Beau texte, et la phrase : "L’être humain est ainsi fait qu’il cultive toujours dans un coin de son potager intérieur la fleur de l’espoir.", me plaît beaucoup.
    Merci pour ce partage.

    Paul Stendhal

    · Il y a environ 12 ans ·
    Icone avatar

    Paul Stendhal

Signaler ce texte