Un héros

petisaintleu

Le 18 mars 1977, si ma mémoire est bonne nous devions être en début d'après-midi et il faisait beau avec des températures déjà printanières. Nous jouions dans la cour de récréation en revenant de la cantine et rien ne présageait l'événement qui allait nous sortir de nos jeux des gendarmes contre les voleurs.

Un bruit assourdissant vint clouer nos petits becs. Un vacarme qui n'avait rien de commun. Aussitôt, nos esprits enfantins se mirent en ébullition. C'était reparti comme en 14. Sans prévenir, les Boches nous refaisaient le coup de 40. Ils avaient franchi la Belgique à la vitesse de l'éclair et, c'est certain, ils seraient chez nous dans moins d'une heure.

C'est quand les situations sont les plus soudaines que la bonne graine se sépare de l'ivraie. Le meilleur exemple est le jour où le CE du magasin de Lyon d'Au Roi Merlin organisa un paint-ball dans un immense entrepôt désaffecté. L'ambiance tenait de New York 1997 et de la guérilla urbaine. Des palettes en bois et des bidons d'essence venaient agrémenter un parcours sur deux étages. Une fois les quatre équipes formées, l'objectif était simple. Il fallait dégommer les adversaires jusqu'au dernier pour emporter la partie. Il ne fallait pas faire de quartiers.

Dans les groupes, il n'y avait pas eu de concertation pour mettre en place une stratégie. C'est l'instinct de survie individuel qui prévalait. De mon côté, j'étais super excité par l'ambiance. Je prenais ça au premier degré. Je savais qu'il n'y aurait pas mort d'homme. Je n'avais qu'une légère appréhension que l'on me tire à bout portant. Je savais qu'à une distance inférieure à trois mètres même un projectile de peinture peut être très douloureux. Je craignais également d'être rapidement surpris ce qui aurait surtout atteint mon ego. Je suis assez mauvais joueur.

Je progressais relativement vite et bien jusqu'à atteindre les escaliers qui me menaient au premier étage. Je me prenais grave au jeu. Je me vautrais et je rampais sans me soucier de salir la combinaison qui se bariolait des différentes couleurs correspondant aux billes de peintures distribuées aux différentes équipes. Pour progresser, je m'étais entendu avec un collègue qui surveillait les alentours quand je me déplaçais pour atteindre une protection qui nous permettait alors de souffler.

Au milieu du parcours, nous atteignîmes une forteresse de pneus usagés. C'est alors que nous entendîmes des gémissements. En contournant l'obstacle, nous découvrîmes Bernard, notre directeur, recroquevillé. Quand il nous aperçut, il nous supplia de l'épargner. Tu parles.

Plus jamais il ne nous conta ses exploits de plongée sous-marine en carrière. Autant dire que ses sujets de conversation se firent rares.

Vingt ans plus tôt, j'avais déjà fait les mêmes constats manichéens. Il n'y avait pas d'alternative entre les rares qui s'imaginaient en héros et la majorité enveloppée par la peur et déjà prête aux trahisons pour sauver sa peau.

Rapidement, le directeur de l'école qui était parti aux renseignements nous apprit ce qui s'était passé. Un mirage III s'était écrasé sur une maison isolée à la sortie de la ville. Aucune victime civile ne fut à déplorer.

Nous apprîmes le lendemain que le pilote était mort dans le crash. Pour ne pas écraser son avion sur Caudry, il l'avait contrôlé jusqu'aux derniers instants et l'éjection de l'aéronef avait été trop tardive pour lui sauver la vie.

Après des heures d'effort sur les moteurs de recherche, j'ai retrouvé le nom du héros qui avait sacrifié sa vie pour que des enfants puissent jouer aux soldats dans l'insouciance de leurs huit ans. Jean-François Bègue, je vous rends hommage.

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