Un jour, je suis mort

valerie-lemelin

Texte inspiré d'une image internet.

Un jour, je suis mort. Comme ça, d'un claquement de doigt. J'étais en chemin pour apporter le déjeuner à ma soeur. Elle est handicapée. Chaque matin je lui ramène un croissant et un lait de la boulangerie près de chez moi. Son appartement est sur le chemin pour me rendre au travail. Je me suis arrêté pour flatter un chien. Je n'aurais pas dû. Comment aurais-je pu savoir? Un véhicule a dérapé sous la pluie et est venu à notre rencontre sur le trottoir. C'est étrange, mon dernier geste a été de placer mon parapluie déployé devant moi et l'animal. Comme une armure. Évidemment ça n'a pas fonctionné comme je l'espérais.


Je suis mort. C'est aussi simple que ça! Je me suis retrouvé dans le noir. Sombre, épais et visqueux. Malgré les ténèbres, j'étais bien. Vous savez cette sensation de bien-être que l'on éprouve dans un demi-sommeil? Eh bien, c'était exactement ça.


Mort. Puis, l'aspiration. Complètement. Une chute libre. Une impression désagréable suivie d'une intense douleur à une jambe. La lumière est revenue mais tout semblait flou. J'étais étendu sur quelque chose de froid et il y avait du mouvement. Comme un véhicule en déplacement rapide. Je n'y voyais rien. Que des spots de couleurs. J'ai entendu les bip bip des machines et des murmures sourds autour de moi. J'ai retrouvé l'ouïe après seulement un court moment. « On a fait ce qu'on a pu» « C'est dommage, je déteste ça quand on les perd en chemin ». Et le bruit strident d'un engin. Celui qu'on entend souvent dans les films quand la ligne cardiaque du patient atteint une ligne flatte. Ce son!! Je l'entends encore quand j'y repense. Puis, à nouveau la voix de l'ambulancier: « Regardes, le chien, lui, est toujours parmi nous ».

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L'ancien moi est vraiment mort! Je sais que cela est étrange. Ma vue est revenue peu à peu. J'ai meilleure vision maintenant. J'étais trop bas pour voir mon corps martyrisé sur la civière mais j'ai remarqué ma main gauche qui pendait vers le sol. Le tatouage au poignet. C'ÉTAIT le mien. J'ai tenté de leur dire, aux ambulanciers, mais un gémissement est sorti. « On a perdu ton maître mon beau. Je suis désolé, buddy!» me dit l'homme avec une caresse.


C'était pas possible que cela m'arrive! Je préférais être mort comme mon corps. Où est passé l'esprit du chien? Je ne comprenais rien! Je vivais un cauchemar! Je n'ai pas cessé de gémir et m'agiter. On a essayé de me calmer. On a pansé ma patte blessée. J'ai continué à gigoter. Je voulais qu'on me lâche. Je voulais sortir de ce corps poilu! Mon esprit tentait de se libérer pour réintégrer mon ancien moi. Je voulais être moi à nouveau! Je voulais retrouver ma soeur, ma vie!...C'est au moment où je pensais à ma soeur que mon regard est accidentellement tombé sur le sac brun de la boulangerie. Il était là, sous la civière. Ce que je DÉSIRAIS plus que tout à cet instant, c'était de m'en emparer. Je devais le ramener à ma soeur. De cette façon, elle comprendrait que c'était moi. Elle m'aiderait. Cela a été le seul plan qui m'a germé dans mon esprit embrouillé. Le mieux que j'ai trouvé en tout cas.

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J'ai pris du temps à accepter mon sort. Ma sortie de l'ambulance a été dramatique. Incapable de me déplacer à quatre pattes et blessé à l'une d'elle, j'ai plutôt roulé hors du véhicule et entraîné le croissant et lait dans ma chute. Malgré le pansement, la douleur a été atroce. J'ai agrippé le sac brun et titubé un long moment avant de m'épuiser et de récupérer un peu.


C'est sale, fatigué et encore sous le choc que je suis arrivé tant bien que mal chez ma soeur. Après plusieurs éprouvants efforts, je suis enfin parvenu à atteindre la sonnette avec mon nez. Pardon, mon museau! Pas possible! Elle m'a ouvert. En larmes dans son fauteuil roulant. Ça m'a brisé le coeur. On l'avait dû l'informer déjà. Son numéro était en tête de liste de mon cellulaire. J'ai cru mourir à nouveau.


J'ai voulu crier «C'est moi Anna!» mais j'ai émis que des jappements incompréhensibles pour elle. Je lui ai tendu le sac. Quoi faire d'autre? Elle a roulé doucement vers moi, tourné la tête à droite, à gauche, recherchant un humain sans doute, puis a fini par le prendre. Quand elle a regardé à l'intérieur, une boule d'excitation est montée en moi. Je me suis redressé fièrement. J'ai stupidement cru qu'elle comprendrait mon message codé mais son visage s'est défait complètement. Je l'ai sentie s'écrouler psychologiquement. Une laide grimace a déformé son visage alors qu'elle hurlait “Qui fait ça? Qui fait ça?” entre deux sanglots. Elle a projeté violemment le sac au sol et a claqué la porte. J'ai entendu ses pleurs de l'autre côté et je suis resté là, impuissant.

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Dans les jours qui ont suivi, je lui ai amené des fleurs. Une fleur chaque matin. Je résidais dans le parc pas loin et je me suis mis un point d'honneur d'arriver chez elle à l'heure à laquelle j'arrivais d'habitude. À défaut d'avoir des croissants, je lui ai offert des marguerites, tulipes, roses. Elle m'a souri chaque fois avec un peu plus de joie. Je crois qu'elle ne peux pas encore comprendre que c'est moi. Un jour peut-être, j'en trouverai le moyen. Je n'en suis pas encore rendu là.


Puis, elle m'a fait entrer. Une fois, deux fois avant de m'adopter complètement. Évidemment, je connaissais déjà les lieux. Je l'aide maintenant à se déplacer, fermer les tiroirs et lui amène même ses souliers. Qui a dit qu'une vie de chien n'est pas agréable? Je vois ma soeur tous les jours maintenant. Plus besoin de travailler. Ni de me sentir coupable envers elle. Nous prenons soin l'un de l'autre. Pour la nourriture de chien, on peut s'en reparler. Le reste n'est pas mal. Un chien était ce qu'il fallait à ma soeur. Qui de mieux placer que moi pour lui prêter main forte? Ou patte forte? Qu'est-ce que je raconte? Je divague. Elle m'a nommé Samuel. J'ai retrouvé mon vrai nom, c'est déjà ça!


Bref, je suis mort...Oui. Mon corps a été enterré. J'y ai même assisté. Trop bizarre. Je ne le souhaite à personne. Je n'ai jamais éclairci le mystère de ma seconde vie. Est-ce comme ça pour tout le monde? C'est étrange d'avoir une autre anatomie. J'ignore même quel âge j'ai en réalité. Ce que je sais c'est que je suis mort, ressuscité, heureux et plein de vie.


Je suis juste pas complètement disparu si on peut dire.

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