Un jour mon cheval viendra
sylvia-montes
UN JOUR, MON CHEVAL VIENDRA
- Julien, qu’est-ce que tu fabriques ?! On va être en retard !
Julien, sept ans, s’arrêta. Il posa son cartable sur le trottoir, écarta d’un brusque mouvement de tête la mèche brune qui lui battait l’œil, et dit :
- Attends Maman, il a mal à la patte.
Nathalie haussa les sourcils et regarda son fils avec étonnement :
- Qui ça ?
Le bras de Julien s’éleva, le poing fermé comme s’il emprisonnait quelque chose à l’intérieur :
- Mon cheval.
Poussant un soupir, Nathalie tapota le verre de sa montre de son ongle verni :
- Julien, arrête de jouer. On est pressés. Allez, dépêche- toi !
Mais le gamin ne bougea pas. De sa main gauche toujours close, il fit le geste de tirer une corde, tandis que la droite caressait l’air.
- Je le tiens par le licol M’man, mais il veut pas avancer. Peut-être qu’il a peur des voitures ?
Le corps de Nathalie se raidit et ses mâchoires se crispèrent.
- Maintenant ça suffit Julien. Tu ramasses ton cartable et tu files. Sinon, je te préviens, ça va mal se terminer.
Le visage du gamin se crispa dans une moue tourmentée.
- Désolé M’man. Je peux pas. Il faut attendre qu’il finisse de brouter.
Son regard s’était posé sur une maigre touffe de pissenlit qui avait poussé entre deux pavés. Sous la brise du matin, une unique fleur jaune se balançait, comme titillée par la langue râpeuse d’un herbivore. Un escarpin se posa soudain sur l’herbacée. Un nuage d’aigrettes blanches s’envola.
- Oh non !! Maman ! T’as écrasé son déjeuner !!
Le ton horrifié de Julien acheva de rendre Nathalie folle de rage. Sans un mot, elle saisit brutalement son fils d’une main et le cartable de l’autre. Le cartable, avec des bandes fluorescentes sur les côtés et Spiderman en rouge et bleu sur la face, tomba dans le caniveau. Nathalie le ramassa par une des bretelles, et le jeta sur la poitrine de Julien. Elle était écarlate. Sous les cheveux tirés en chignon, une veine de sa tempe palpitait.
- Maintenant tu prends ton sac et tu te dépêches !!
Les bras serrés sur son sac, le petit garçon jeta à sa mère un regard implorant. Puis deux larmes perlèrent sous ses yeux bleus. La colère de Nathalie retomba soudain.
- Julien ! Arrête ! Qu’est-ce qu’il y a ? Tu ne te sens pas bien ? Tu ne veux pas aller à l’école ?
La mine butée, le regard au sol, il ne répondit pas. Puis il se mit à avancer lentement, en marmonnant.
- Qu’est-ce que tu dis ?
- Tu l’as fait s’enfuir. Mon cheval est parti.
Nathalie lui prit la main et se pencha pour l’embrasser. Qu’est-ce que c’était que cette histoire de cheval ? Julien avait une imagination fertile. Mais il savait en général faire la part du jeu et de la réalité. Troublée, Nathalie se demanda si son fils avait besoin d’un animal de compagnie. Son père les avait quittés six mois plus tôt. Julien n’en parlait pas. Mais cette absence creusait le lit d’un tourment aux conséquences incertaines. Qu’elle en soit coupable ou pas, elle allait bien devoir le prendre en compte. Un chat ? Ils n’avaient pas de jardin, mais les chats s’accommodaient en général assez bien de la vie en appartement. Et puis elle pensa aux poils. Enfant, Nathalie avait fait des crises d’asthme. D’après sa mère, c’était sans nul doute lié aux chats de la voisine qui rentraient dans la maison dès qu’on avait le dos tourné. L’idée d’une réaction allergique brutale de ses bronches la dissuada. Peut-être un poisson rouge ? Elle faillit en parler tout de suite à Julien, alors qu’ils atteignaient la grille de l’école primaire, et puis elle se ravisa. Il valait mieux lui faire la surprise. Samedi, elle l’emmènerait à la jardinerie pour acheter un poisson.
*
Julien sortit de l’école un sourire aux lèvres. A chacun de ses pas, son cartable sautillait légèrement sur son dos, et il entendait le cliquetis de son trousseau de clés accroché dans une des poches. Même si sa mère ne lui permettait pas encore de rentrer seul, le fait d’avoir les clés de la maison le rassurait, tout en lui donnant l’impression d’être déjà grand. Il la vit qui le cherchait d’un regard inquiet parmi les grappes d’enfants qui s’évaporaient, les uns vers le parking, les autres vers le tramway, certains comme lui vers un adulte à pied. Il eut envie de faire plaisir à sa mère et il se précipita pour finir sa course la tête sur son ventre, un ventre chaud et un peu rond, drapé d’une robe en lainage.
- Oups ! ça va mon chéri ? Tu as passé une bonne journée ?
Il hocha la tête pour dire oui, et fouilla dans le sac qu’elle portait en bandoulière pour y prendre son goûter.
- Mmmm, des pitchs !
Nathalie sourit. Elle était rassurée. Julien semblait avoir totalement oublié sa lubie du matin.
Ils rentrèrent en se tenant par la main. Pendant que Julien mangeait sa brioche au chocolat, Nathalie se sentit bien. L’air sentait le printemps. Des bourgeons blancs et roses pointaient au sommet des arbres, et le soleil de ce mois de mars était déjà chaud. Ils parlèrent de leur journée. Un nouveau était arrivé dans la classe. Il y avait eu des frites à la cantine. La maitresse leur avait appris une poésie rigolote sur les fourmis dont il ne se rappelait pas le nom. « Une fourmi de dix-huit mètres… » Pendant que Julien récitait, Nathalie songea à sa routine professionnelle en tant qu’aide-soignante : changer les patients, refaire leurs lits, se forcer à sourire avec optimisme, même quand elle avait le dos en compote. Elle aimait son métier. Mais qu’il était désespérant de travailler autant sans l’assurance de s’en sortir !…Depuis que Marc était partie, son compte bancaire atteignait le rouge dès le 10 du mois. Combien coûtait un poisson rouge avec le bocal et tout l’attirail ? Un pincement d’angoisse. Puis Julien tira sur son bras :
- Maman ? Maman ?
- Oui mon chéri.
- On a des carottes ?
- Des carottes ? Mais je croyais que tu n’aimais pas ça !
- Moi non. Mais un cheval, ça aime ça.
Natalie sentit un liquide glacé couler dans la poitrine. Puis elle se força à faire preuve d’objectivité. Est-ce que cela était vraiment grave ? Si Julien voulait jouer à avoir un cheval et bien…Jouons.
- Oui, je crois. Les ânes aiment ça, alors je pense que les chevaux aussi. Et…Comment il s’appelle ce cheval ?
Elle eut l’impression que Julien hésitait avant de répondre.
- Je sais pas.
- Comment cela tu ne sais pas ? Ce n’est pas…TON cheval ?
Julien avançait en sautillant, on aurait dit qu’il trottait.
- Il me l’a pas dit. T’as vu Maman, je marche comme lui !
Nathalie ne put s’empêcher de regarder derrière eux.
- Il nous suit ?
- Maman…il est juste à côté de moi !
- Ok. Et, comment est-il ? Blanc ? Noir ?
- Marron clair. C’est un alezan.
Où avait-il pêché ce mot ? Dans un livre à l’école ? A la télé ? Nathalie se mit à rire.
- Tu sais, moi je n’y connais rien en chevaux. Et quel tempérament il a ?
Là, elle eut l’impression que c’est lui qui butait sur le terme. Elle faillit se reprendre, mais Julien répondit :
- Bouillonnant. Et peureux aussi parfois. On lui a fait peur, alors il s’est enfui. Pourtant, c’était le plus rapide, il a gagné des parcours d’obstacles. Il a eu deux médailles, la dernière aux championnats de France.
Mais où va-t-il chercher tout ça ?! Nathalie fut tentée de lui demander pourquoi le cheval s’était enfui. Et puis elle se dit que c’était complétement stupide. Elle voulait bien jouer, mais il lui semblait qu’il était nécessaire maintenant de mettre un point final à ces élucubrations. Redescendons sur terre. Ils rentrèrent dans leur petit appartement et, tandis que Nathalie entamait sa deuxième journée de travail, retirant le linge du séchoir avant même d’avoir ôté ses chaussures, Julien se jeta sur le canapé.
- Tu fais tes devoirs Julien. Après seulement, tu pourras allumer la télé.
Mais Julien secoua la tête négativement.
- Je ne vais pas regarder la télé Maman. Après, je vais m’occuper de mon cheval.
Elle fit comme si elle n’avait rien entendue.
*
- Respire fort mon grand, respire fort.
Docile, Julien prit une profonde inspiration. Puis il recommença une deuxième fois, et une troisième. Le docteur Etienne se redressa et l’image du Marsupilami se balança à son cou. Un petit singe jaune à longue queue qui ornait son stéthoscope pour enfants.
- Et bien, tout cela m’a l’air parfait !
Il ponctua sa conclusion en tapant dans ses mains, et Julien se dressa sur le marchepied de la table d’auscultation pour sauter à terre. Nathalie attendait face au bureau du médecin en se mordillant les lèvres.
- Tu veux bien attendre dans la salle d’attente, mon grand, et lire des bandes dessinées pendant que je parle avec ta maman ?
Julien acquiesça et sortit en remontant son pantalon. Le docteur Etienne s’assit face à Nathalie et la regarda par-dessus ses petites lunettes cerclées de métal. Une grosse barbe poivre et sel couvrait ses joues et son menton, le vieillissant d’une dizaine d’années, à en juger par ses cheveux encore parfaitement noirs et fournis.
- Il est en pleine forme ce garçon. Qu’est-ce qui vous inquiète ?
Nathalie s’efforça de lui raconter l’histoire du cheval. Mais au fur et à mesure qu’elle parlait, elle vit que le médecin ne comprenait pas. Il consultait son ordinateur, le visage sans réaction. Elle tâcha d’appuyer ses dires par des exemples qui lui semblaient convaincants :
- Il a entassé tous ses jouets dans un placard pour faire de la place à ce cheval. Il hurle si je marche sur le tapis où il se repose, soit-disant. Il remplit des sacs d’herbe. Il m’a fait acheter une brosse et un cure-pied. Il veut une selle en cuir pour Noël.
Le docteur Etienne se mit à mâchouiller les poils de sa barbe, des poils drus et gris qui se dressaient sous sa lèvre inférieure.
- Il s’amuse. C’est de son âge. Je me rappelle que quand j’étais gamin, je m’étais inventé une sœur ! C’est fréquent vous savez. Cela lui passera comme c’est venu.
Nathalie avait envie de pleurer. Depuis trois semaines, Julien ne parlait que de ce cheval. Et il n’y avait pas eu moyen de lui faire penser à autre chose. Elle en était venue à se dire que son fils basculait dans la folie. Mais elle n’osa pas le dire au médecin.
- Qu’en est-il de son père ? Le voit-il ?
Nathalie dût bien avouer que non. Et puis, elle eut comme une illumination.
- Est-ce que cela peut avoir un rapport ? Est-ce qu’il invente une histoire pour pallier l’absence de son père ?
Le médecin hocha la tête.
- C’est possible. Un animal grand et fort, puissant, cela lui évoque peut-être l’image paternelle. Est-ce que…Il a dit s’il avait un sexe ?...
Elle se représenta soudain le phallus érigé d’un étalon, et elle se sentit rougir.
- Non…il m’a juste dit qu’il s’était enfui…Comme son père. Est-ce que vous pensez que je dois consulter un psychologue ?
Le médecin eut une moue dubitative. Il faisait partie de ces médecins de la vieille école qui pense qu’un corps sain suffit à forger un esprit équilibré. Il lui conseilla de laisser Julien vivre sa vie d’enfant. Nathalie sortit de son cabinet avec plus de questions que de réponses.
Depuis que Marc était parti, elle n’avait pas trouvé le courage de parler à son fils. Comment pouvait-elle lui dire que son père les avait abandonnés du jour au lendemain ? Elle ne savait pas où il se trouvait. Ni s’il était parti avec une autre. Etait-ce pour cette raison que Julien devenait un enfant si solitaire ?
*
Quelques jours plus tard, Julien rentra de l’école avec une grosse bosse sur le front. Nathalie s’alarma :
- Comment t’es-tu fait ça ?
- C’est rien Maman, c’est mon cheval. Il m’a donné un coup de sabot. Mais il l’a pas fait exprès.
Elle le soigna sans commentaires, jusqu’à ce que la maîtresse de Julien demande à la rencontrer. Elle reçut Nathalie après la classe.
- Julien me cause du souci. Il s’est battu. Vous avez remarqué sa bosse ?
Nathalie ressentit une immense culpabilité. Comment n’avait-elle pas compris ? La maîtresse poursuivit :
- Il raconte que vous possédez une grande maison à la campagne, avec un pré dans lequel vous élevez des chevaux. Au début, ses camarades l’ont écouté avec attention, plutôt admiratifs. Et puis hier, Wilfried, un garçon de la classe, a dit que ce n’était pas vrai. Que vous viviez dans un HLM. Il s’est moqué de lui. J’ai dû les séparer dans la cour de récréation.
Nathalie sentit venir le moment où la maîtresse allait lui poser des questions sur sa vie privée. Il y avait une fiche posée devant elle sur le bureau, et Nathalie parvint à déchiffrer à l’envers : famille monoparentale. L’explication à cette convocation était-elle là ? Fallait-il prouver que Nathalie, seule, ne s’en sortait pas bien ? Un enfant avait besoin d’une autorité masculine. C’est ce que la maîtresse devait penser. Alors Nathalie répondit :
- Son père travaille dans un haras. En province. Nous y allons tous les week-ends.
L’enseignante écarquilla des yeux verts globuleux :
- Dans un quoi ?
Et puis Julien les rejoignit et Nathalie n’eut pas à donner d’explication supplémentaire. Elle n’avait qu’une vague idée de ce qu’était un haras et elle aurait bien été en peine d’en donner.
Le soir-même, dès que Julien fut couché, Nathalie se plongea sur Internet. Elle passa une partie de la soirée à se familiariser avec des termes tels que : bride, filet, longe, pansage, débourrage, reprise, trop enlevé, hunter, voltige, barrel race. Puis elle crut avoir trouvé ce qu’elle cherchait et elle alla se coucher satisfaite.
Ce fut une nuit où elle rêva qu’elle faisait la toilette d’un malade avant de s’apercevoir soudain, en entendant un hennissement, qu’à la place du vieux monsieur de la chambre 218 était allongé un animal affublé d’un museau allongé. Sa lèvre était retroussée et des dents jaunes claquaient sur un mors en métal. Il fallait qu’elle enlève ce truc pour lui faire avaler ses médicaments, mais elle ignorait comment s’y prendre, on ne lui avait pas appris ça, elle savait seulement qu’elle devait prendre garde à ne pas se faire mordre. Et aussi tenir les rênes pour ne pas qu’il s’échappe. Car si il s’enfuyait, elle serait définitivement classée dans la catégorie des mauvaises mères. Alors qu’elle secouait la tête pour se réveiller, le médecin rentra dans la chambre. Il mordillait sa barbe et il avait dans les mains une badine de cuir, une cravache souple et fine, et elle sut qu’elle devait à tout prix protéger le cheval.
- Maman ! Maman !!
Julien se tenait debout devant son lit. Il était déjà habillé, prêt à partir pour l’école. Il pleuvait. On entendait l’eau dégouliner avec régularité dans les gouttières et claquer sur les fenêtres. Nathalie chassa l’image fugitive d’un cheval aux flancs bruns trempés par l’orage. Mais longtemps, pendant qu’elle se dépêchait de se préparer, elle ressentit nettement sous ses doigts la sensation d’un pelage chaud, d’une douceur extrême.
- Tu sais, hier soir, j’ai cherché s’il y avait près d’ici des cours d’équitation.
Julien la regarda par dessus son bol avec incrédulité.
- Pourquoi ?
Nathalie émit un petit rire gêné.
- Et bien…Tu ne voudrais pas faire du cheval ? Enfin, je veux dire, apprendre à monter. Dans un club.
Il avala une gorgée, puis parla avec les lèvres ourlées de chocolat chaud :
- Pour de vrai ?
- Et bien évidemment ! Pour de vrai !
- C’est un truc de filles.
- L’équitation, c’est un truc de filles ?
- C’est ce que Wilfried a dit.
- On se fiche de ce que Wilfried a dit. Est-ce que toi, tu en as envie ?
- Où ça ?
- Il y a un centre hippique, pas très loin, on peut y aller en bus. Ce week-end, on se renseignera si tu veux ?
Le regard de Julien fixa le mur blanc de la cuisine. Puis un sourire passa sur son visage, comme s’il était en train de s’imaginer galopant dans une prairie.
*
Les poneys trottinaient à la queue le leu, avec des gamins haut comme trois pommes sur le dos. La plupart des enfants avaient une bombe trop grande qui leur tombait sur les yeux. Au fur et à mesure des secousses, ils n’y voyaient presque plus rien, et les poneys prenaient l’ascendant sur eux, se mettant à sillonner le manège à leur guise. La monitrice, une grande blonde en culotte moulante et bottes noires, se mit à hurler :
- Laura, c’est n’importe quoi !! Victor, reprends les rênes !! Jeanne, c’est toi qui diriges !!
Puis elle se dirigea à grandes enjambées vers un poney couleur café brûlé qui s’était arrêté, et lui mit une tape sèche la croupe.
Julien, le front contre la barrière qui encerclait le manège, poussa un soupir outré et commenta :
- Elle est méchante.
Nathalie lui caressa les cheveux.
- T’en fais pas. Cela ne lui a pas fait mal. Alors…ça te plait ?
Il ne répondit pas et se mit à courir dans la boue et le crottin. Il stoppa devant les box individuels. De grands chevaux passaient leur tête majestueuse au dessus du portillon de bois, contemplant le spectacle d’un œil tout à la fois grave et placide. Nathalie fouilla dans le sac en plastique qu’elle avait amené et en sortit un gros quignon de pain dur qu’elle entreprit de briser en petits morceaux. Julien en saisit deux, en mit un dans sa bouche, et s’approcha avec l’autre d’un cheval noir qui tendait son cou vers lui.
- Mets ta main comme ça Maman.
Nathalie le regarda tendre sa paume et elle se sentit bouleversée. Comme il avait l’air confiant et heureux !
Elle prit un morceau de pain à son tour et imita son fils. Le cheval happa le pain et elle sentit son souffle chaud et humide lui chatouiller les doigts.
- Hi !
Julien éclata de rire.
- N’aie pas peur Maman ! Il ne va pas te mordre ! Il est content au contraire. Regarde ses oreilles. Droites, il t’écoute.
Puis le cheval se mit à frotter son museau sur l’arête de la porte et Nathalie vit, sous ses longs cils, sa propre image qui se reflétait dans son œil.
- Les chevaux savent qui les aiment. Tu vois, maintenant qu’il te connaît, tu peux le caresser.
Julien faisait preuve de gestes à la fois confiants et doux. Nathalie eut l’impression qu’elle découvrait une facette de sa personnalité. Elle en était à la fois fière et émue.
- Tu veux rentrer dans son box pour le brosser ? Et faire ensuite une balade ?
Une jeune fille brune venait de s’approcher avec un seau rempli de brosses et d’étrilles. Julien leva la tête vers elle et lui sourit.
Ce fut une journée inoubliable, prélude à beaucoup d’autres. Chaque samedi, Nathalie et Julien allaient au club hippique, et elle le regardait pendant une heure évoluer à dos de poney, après quoi il semblait prendre autant de plaisir à le bichonner, essuyant sa robe frémissante de sueur, puis le menant au pré pour un repos bien mérité.
Le jour où Julien passa et obtint son premier galop, Nathalie lui offrit un équipement complet. Il avait fière allure et promettait de devenir un cavalier accompli. Passionné, il ne ratait jamais un cours, même en plein hiver. Il avait monté Eclair, Cachou, Tempête, Abricot, Confettis, Titan. Mais son préféré était sans conteste un alezan à la robe d’un brun clair, la crinière blonde, Panache. C’était un petit cheval à la foulée énergique, au caractère têtu. Tous les enfants le craignaient. Pas Julien. D’emblée, il était parvenu à établir une connivence avec lui. Nathalie apprit un samedi l’histoire de Panache : lors d’un concours, deux ans plus tôt, il s’était soudain dérobé sur un obstacle. Sa cavalière, une petite fille de neuf ans, avait chuté contre la barrière, et Panache s’était blessé l’antérieur droit. Pendant de longues minutes, la fillette était restée inconsciente, sonnée, pendant que son cheval perdait son sang dans la carrière. Lorsque les gens avaient accouru, Panache avait pris peur et s’était enfui. On l’avait retrouvé plusieurs jours plus tard, errant aux abords de la ville. Curieusement, il n’avait pas l’air fatigué, ni amaigri. Sa patte avait commencé à cicatriser, son pelage était lustré, son ventre rebondi. Comme si, miraculeusement, quelqu’un avait pris soin de lui. Mais qui ? On ne le sut jamais.
Très joli texte. On se laisse emmener par cette femme délaissée dont l'enfant a un imaginaire " galopant ". C'est sobre et beau.
· Il y a plus de 11 ans ·roigoon