Un matin comme les autres

Marie Laure Bousquet

- Evidemment je ne peux pas être totalement sûr, mais je crois que tu regretteras.  Ce que tu envisages de faire  est terrible, tu le sais bien au fond de toi…crois-moi, tu y repenseras et tu te sentiras mal.

- Ne t’inquiète pas, je ne peux pas avoir de regrets, je pourrais effectivement ressentir quelques remords, mais je ne fais qu’obéir à ma nature, et il faut que je mange. Je vais être mère, j’ai des responsabilités.

- D’accord, vu sous cet angle, je n’ai aucune chance, la négociation est inutile.

- Je le crains, je n’ai pas de haine, tu sais.

- Je vois …tout cela va finir sans cri ni violence, enfin pour toi, moi, je n’ai qu’à me laisser mourir. De toute façon je suis épuisé, je lutte depuis trop longtemps.

- Veux-tu que j’attende que tu meures de faim ? Je crois que ce n’est pas si douloureux, quelques crampes un peu de lassitude et c’est le grand sommeil… je ne suis pas si pressée.

Après un long moment de réflexion au cours duquel aucune décision ne fut prise, une réponse vague finit par rompre le silence.

- Je suis tombé dans ton piège trop tôt… il me semble que je viens d’apprendre à voler. Je me souviens de ce monde sans pitié, à peine étais-je né que j’étais déjà chassé de partout. J’ai toujours gagné ma liberté de justesse, certains appelleraient ça de la chance. Eviter tous les obstacles et les pièges tendus. Quand même, je suis surpris, je me demande si j’ai su apprécier ma vie. J’avais le ciel pour moi, et je l’ai gaspillé en acrobaties. Je ne suis même pas sûre de mettre bien amusé. Je crois que j’ai souvent perdu mon temps à tourner en rond. Crois-tu qu’il y a une vie après la mort …tu ne dis rien, toi qui passes le plus clair de ta vie à attendre seule dans la pénombre, ne t’arrive-t-il jamais de te demander si tout cela a un sens ?

- Je n’ai pas réfléchi à la question. Je suis toujours très occupée à tendre mes pièges, ensuite, je ne pense à rien, je fais ce que j’ai à faire, si je suis trop distraite, la proie peut s’échapper et ma vie en dépens. Ma vie est ce qu’elle doit être.

- Tu crois que si tu me tues sans en éprouver un plaisir particulier, alors tu n’as pas à te sentir coupable ?

- Détrompe toi, j’éprouve du plaisir à ta perte il est le début de la satisfaction de ma faim, le but ultime de tous mes efforts. Tu es ma récompense.

- Vu comme ça… J’avais pourtant cru comprendre que tu ne voulais pas me faire souffrir !

- Je n’aime pas voir mes proies me détester. Je suis sensible, mais je dois manger. Ce serait plus simple si tu étais muet, je pourrais imaginer que tu n’as pas la conscience de ce qui t’arrive et peut-être même, que tu ne souffres pas. On peut faire dire ce que l’on veut au silence.

- Tu soupires ! Tu sais, tu pourrais me délivrer, allons, pitié ! J’ai beaucoup appris, en quelques minutes, à présent, je sais que j’apprécierai mieux la vie, je vais goûter chaque instant, toutes les secondes de plus d’existence je vais les savourer, tu vas voir.

- Non, je ne sais pas détruire mes propres toiles, il faut que tu savoures le temps tout de suite. Je peux en finir très vite si tu veux.

- Non ! Attends je vais respirer l’air, comme il fait doux aujourd’hui. La lumière chauffe mes ailes…

- Tu dors ?

- Non, attends, encore un peu, et repose moi la question plus tard…

FIN

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