un mensonge meurtrier ...
occhuizzo-marc
Dimanche après-midi. ( Joris Vernazobre, le père)
Groggy, il arrive à sortir du lit en bataille. Couinant, il rejoint le coin cuisine bordélique. La cafetière attend au chaud. Dans sa tête ACDC se produit sur scène. Pourtant le hard rock ce n'est pas trop sa tasse de thé. L'étau se resserre et le concert d'ACDC fait écho. Deux aspro pétillent dans un grand verre d'eau. Joris est glacé de la tête aux pieds. Il décide de prendre une douche chaude. La plomberie claque, ça claque les os dans la salle de bains, un déluge de fluide glacial sort du pommeau. Il hurle ! plus jamais ça. Pieds nus, le corps au chaud dans le coton de son peignoir blanc, il imite Rocky en plein désespoir, quand il se tape le Ruscof anabolisérof, une machine de guerre Soviet. Au fil du temps le KO passe. Pour lui-même, Joris sait que tout est perdu… Quant à Rocky, il faudrait revoir le film…
Lundi matin.
Joris Vernazobre part au greffe du tribunal de commerce. Sapé en Armani et sacoche en cuir croûté, en bandoulière sur son épaule, le visage défait, barbe drue de six jours au moins, à rendre jaloux un Taliban cocu dans son harem d'esclaves juvéniles. Il n'y croit toujours pas. Seule pensée positive pour l'instant qui lui monte au cerveau, son père et son oncle ne verront pas le naufrage de SIBEO-Titanic. Les pionniers, des durs à la tâche, étaient partis à un an d'intervalle à cause d'un crabe glouton. Dieu soit bénis, pense-t-il si fort, pour éloigner le mauvais sort.
Dans la rue, il allume une blonde après avoir demandé du feu à un employé de salubrité mahorais affublé d'un chasuble orange fluo. Le balayeur, en salopette rouge, le sigle Société Nicollin sur le buffet. Il faisait corps avec sa carriole et son balai. Lèvres pincées, le fixant l'air étonné, Joris remercie timidement le petit gars qui en revanche lui sourit généreux, exposant ses dominos blancos bien rangés dans sa gargouille d'afro-franchouillo.
Joris embarque dans son Audi A6, les langues d'aspics disent qu'il roule dans son corbillard. En troisième, il passe lentement sur le pont suspendu Sadi Carnot. Fenêtres ouvertes il accélère d'un coup, tout électrique, sur le long de la corniche Brassens. Il prend son pied en inspirant plein ballons l'air humide du marinas, enivrant par la froidure hivernale. Sa Rolex indique huit heures quinze. Pas de temps à perdre, il veut en finir une fois pour toute. Avec tout.
Mardi.
Léo Vernazobre, vingt-deux ans, est chez lui, peinard, hagard. Il crèche dans un ancien mas retapé devenu un lieu chicos discrétos, encadré par des gardiens de pins maritimes et des cyprès d'Italie. A l'intérieur on croit pénétrer une officine pharmaceutique. Du blanc laqué partout et surtout une toile géante offerte par l'artiste peintre Di Rosa, en personne. L'œuvre couvre un bon morceau du plafond. Des personnages déjantés, des spécimens se fondent sous les couleurs criardes. Léo est admiratif à l'art moderne. La maison contemporaine possède un étage. Un toit-terrasse végétalisé domine la mer et un coin de la garrigue escarpée d'où l'on aperçoit deux capitelles délabrées en pierres sèches, que le temps vicieux écroule un peu plus chaque jour. La baie vitrée, en version loupe, aimante le soleil d'hiver poussif, sur les hauteurs du mont Saint-Clair fanfaronnant.
Léo essaie de soigner sa schizophrénie. Une infirmière à domicile, amie intime de sa mère, vient deux à trois fois par semaine. Il séjourne parfois à l'hosto de jour ou en pension complète pour un mois et parfois plus longtemps. En revanche, le personnel hospitalier le connait bien. Presque des amis. C'est sa vie et Léo la vit seul. Cet escogriffe osseux, pommettes saillantes, clair caucasien, regard éteint, absent en société, a longtemps été habité par des gens dans son citron pressé. Un jour sur deux, il était conscient que ses vieux lui voulaient du bien, mais le diable lui tapait sur l'épaule pour lui dire le contraire, de cracher sa haine.
Avec le nouveau traitement, depuis deux ans, il va bien. Il voit son père plus souvent, quand celui-ci peut se dégager d'un planning surchargé. D'ailleurs c'est grâce à lui et à ses relations à la mairie, si Léo a obtenu son emploi à mi-temps, à la médiathèque Samuel Beckett.
Quant à sa mère, il la voit sur WhatsApp. C'est une belle boucle d'or élancée, classe mannequin volant, très polie, l'œil clair en grain de riz, et richement décorée de bijoux et de manteaux griffés, collectionneuse compulsive de sacs de luxe. Elle roule sa bosse dans des beaux carrosses et se prélasse dans des palaces d'or à travers le monde. Elle change souvent de monture, car la routine lui est insupportable.
En ce moment il trimbale un cafard énorme, quand l'automne s'étiole. Léo dégage une tristesse de misère depuis la mort de ses grands-parents paternels qui reposent en paix, à deux tombes de Paul Valéry au cimetière Marin, vue dégagée sur la mer. Le pied ! crie-t-il. Il y a des morts plus veinards que d'autres. Il espère, qu'il restera une place, une suite pour l'éternité
Hier, il a de nouveau fricoté du côté du Lido et des docks à l'angle de la rue de l'Exodus, avec les frères Marquez. Des comiques pas drôles pour un euro, des demi-sel qui se prennent pour Al Pacino et De Niro. Le Tanger mouille à quai depuis trois jours. Léo n'avait plus touché à la dope depuis… mais trop triste décidément, il s'était poudré le groin, avant d'enfourcher son TMAX en direction de son bastion. Le reste de sa merde était à l'abri dans son cuir. Poings serrés, cœur lourd, portefeuille allégé. La vitesse le grise et le vent le gifle. Il sourit presque inepte, fixe la route, évite les nids de poule, oublie le ravin accueillant en contrebas. Les rochers pointus aimantés, les arbres bombants l'écorce, les chiens cinglés errants se mordant la queue, les bandes de jeunes tout aussi cinglés, à moto cross, défiaient le danger et la mort. Des bruits mécaniques envahissent les habitations alentour. Un volet claque au vent. Les gaz d'échappement flinguent l'atmosphère avant la fin de l'ère pétrolière.
Les graviers giclent en gerbe, mitraillent en rafale les côtés de la chaussée désherbée. Le cul lourd, le scooter furibond chasse un peu de l'arrière dans les épingles. Il manque de se coucher en faisant des étincelles. Léo se reprend à temps en position crayon allongé sur le guidon, face au vent du nord colérique. Le soleil rentre en force dans ses yeux éblouis. Même avec ses lunettes Aviator, il a un mal fou à tenir le cap sur la route.
En sens inverse, un livreur de colis, gueulant tout seul dans son Bluetooth, dévale à plein régime la pente en direction du centre-ville historique. Le camion coiffe Léo de très près. Ses jambes flageolent sous un jean à la mode déchiré à l'achat, pendant qu'il klaxonne en continu, injuriant le type poivre et sel frisotté, à bord dans sa cabine en compagnie de ses peluches à la con. Le scooter se met à accélérer de plus belle dans un bourdonnement d'insecte mécanique. Peut-être un peu prétentieux ? toujours est- t'-il, qu'il donne l'impression de se croire au Bol d'Or. Léo crie de folie, panique, un cri sauvage sourde. L'engin ralentit, broute le bitume. Le pilote rit jaune, frisonne en rentrant chez lui. Il ouvre le portail à télécommande, gare le TMAX au fond du garage, à sa place habituelle entre le matériel de jardinage et l'établi de menuisier. Il se dégourdit les cannes et remonte le large escalier en dalles, arboré de diverses variétés de plantes méditerranéenne et de grosses vasques d'argile. Dans le jardinet en espalier, calcaire et brut, trône deux nobles IPN rouillés, torsadés, martelés, boulonnés, soudés, œuvre primaire de l'artiste-captain JP Rives.
Pressé de rien, les gestes emmêlés, Léo déverrouille la porte d'entrée à trois points. L'alarme fonctionne, ainsi que la caméra de surveillance, légèrement parasitée depuis les derniers orages titanesques d'octobre. Il a vérifié vite fait, dubitatif. Son casque de motard, poser à l'envers sur le meuble de l'entrée, ressemble à une corbeille sans fruit. Désinvolte, il se vautre sur le canapé d'angle. Voilà qu'en moins de deux il se met à bouder, visage élastique tiré vers le bas, sans éclat apparent. Il a pris vingt piges en un claquement de doigts. Perdu dans ses pensées, il regarde la mer écumeuse, aquarelle marine en mouvement, et admire ses nouveaux cactus en pot, qui décorent la terrasse en bois exotique. Le silence règne dans toute la maison. Léo somnole sur les coussins chamallow, dans son sommeil il rumine un truc amer. Au centre de la pièce, le chat surveille les flammes électriques foldingues dans la fausse cheminée installée au hasard. Aux pieds du canapé le chien repu dort en ronflant bizarrement. En silence, la tortue affamée dévore sa laitue comme si c'était son dernier festin. Léo se sent moins seul au milieu de son zoo intime.
Et voici Léo et son pauvre esprit tourmenté...
· Il y a presque 5 ans ·Louve
Sur la place st Marc son aura est marquée bar-javelle et pas Machiavel…. ;0)
· Il y a presque 5 ans ·flodeau
merci, trop de gras est mauvais pour tout ....
· Il y a presque 5 ans ·occhuizzo-marc
J'ai apprécié, bien écrit avec du nerf sans gras !
· Il y a presque 5 ans ·yl5