un métier

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Un métier

          « Plus de poste, c’est comme ça » m’avait rétorqué la secrétaire. A l’époque nous étions en pleine réinvention du paysage, on cherchait encore beaucoup de porteurs de rivières, d’emboîteurs de sables, d’enfouisseurs de collines et bien sûr aussi de déplaceurs de montagnes. Alors j’avais naïvement pensé avoir mes chances, mais la place était déjà prise. Comme je restais debout, le regard vide, la secrétaire m’a déclaré : « Vous savez, il reste un autre poste à pourvoir mais je ne suis pas certaine qu’il puisse vous intéresser ». Elle m’a tendu l’annonce et j’ai souri. C’est ainsi que je me suis retrouvé « déplaceur de brins d’herbe ».

            J’aime beaucoup mon métier, il exige une certaine minutie, un rythme à soi, un travail indépendant en quelque sorte. On s’assied par terre, on trie, on sélectionne, car tous les brins d’herbe ne sont pas déplaçables, tous ne sont pas équivalents. Je mesure la taille, j’analyse la couleur, je détecte la senteur et le degré de picotement. C’est là que mon regard d’expert devient primordial. Dans cette vaste entreprise de réinvention du paysage, je suis un rouage souterrain, invisible mais ô combien essentiel. C’est à moi qu’il appartient de signaler les brins choisis et de les affecter à la colline ou montagne correspondante, d’harmoniser le tout. Tâche extrêmement délicate et soumise à toutes les intempéries, labeur de patience.

            Depuis que je suis dans la profession, j’ai vu des brins d’herbe à foison, je ne m’en lasse pas car aucun ne ressemble au suivant. A la réflexion, j’ai eu beaucoup de chances, les déplaceurs de montagnes, ils ne font pas long feu, leurs dos accuse le coup au bout de quelques jours. Moi, je m’allonge dans l’herbe et cela fait partie de mon travail.

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