Un perroquet sous la neige

Julien Vigneron

Nous marchions, Lisa et moi, sur une allée couverte qui menait à un mini lac, avec au milieu, une île, des perroquets sur les arbres et une cabane en bois style pirate, le Red Parrot. Toutes les chambres donnaient sur ce paysage artificiel. Au-dehors, la ville restait sous la neige de décembre, un décalage total et absurde. Ça semblait irréel, en tout cas très dépaysant. Hôtel, motel, j'avais toujours confondu les deux et j'avais une préférence pour les motels qui étaient toujours au centre de l'action dans mes lectures. Nous étions dans le Vermont, en plein hiver dans un décor en carton-pâte qui donnait l'illusion de beau temps et d'exotisme, sans doute le décor le plus kitch que je connaissais. Nous avions choisi le Red Parrot au hasard. Quelque chose clochait dans notre histoire, le décor où nous ?

Lisa a monté le chauffage quand nous nous sommes installés dans la chambre et elle est allée prendre une douche. Notre chambre n'avait presque aucun charme, moquette épaisse, lit immense, couvre lit en chenille, seul intérêt peut-être, l'île des pirates. J'ai mis la télévision en marche, ouvert les rideaux et j'ai regardé rêveusement l'île aux trésors. Je me demandais bien pourquoi on avait atterri là. J'ai repassé dans ma tête les quelques jours qui venaient de s'écouler.

J'étais arrivé de France pour deux semaines de vacances aux Etats-Unis. J'étais venu voir Lisa qui étudiait depuis septembre et pour un an dans une université prestigieuse de Boston. J'avais atterri à Logan, pour mon premier voyage aux Etats-Unis et nous étions partis pour Stowe, dans un chalet immense. Les quelques jours avaient été sympathiques mais terriblement protocolaires. Nous avons fêté Noël dans le Vermont, Avec les parents de Lisa et leurs amis, Richard et Jill.

Nous avions fait du ski, des promenades, des visites et passé des soirées devant la cheminée à jouer au Trivial Pursuit en anglais où j'avais été totalement nul avec toutes les questions de culture américaine. Nos hôtes et les parents de Lisa avaient rivalisé de bonnes réponses. Jill qui nous accueillait était chroniqueuse de mode et grande spécialiste de cinéma, Richard, son mari était professeur d'histoire. La mère de Lisa connaissait l'histoire et son père le sport. Lisa était calée en littérature et moi je passais mon temps à remettre du bois dans la cheminée. Ils essayaient tous de m'aider avec condescendance. Tout le monde avait passé de bonnes soirées, animées de discussions sur les films, les livres, ou les événements historiques. J'étais juste un petit français perdu à l'autre bout du monde.

Au bout de deux soirées, j'ai prétexté du travail à la cuisine pour ne pas participer encore une fois à une humiliation. J'exagérai un peu le trait, en racontant cela à Lisa :

— Je n'ai pas envie d'être ridicule, vous jouez mieux sans moi.

— Je ne comprends pas, personne ne te juge.

— Je ne suis pas à l'aise, je préfère vous laisser jouer. Je vais préparer la cuisine, comme ça on pourra faire une promenade demain.

— Ok ! a-t-elle répondu d'un ton sec.

Ce soir là, j'ai préparé la cuisine en prenant mon temps, je prenais plaisir à faire ça. J'avais le statut de français qui savait faire la cuisine et j'en profitais. Chaque jour, j'avais sorti quelques plats français, magrets au miel, bœuf bourguignon, filet mignon en croûte, mousse au chocolat. Le dîner préparé, je suis allé prendre une douche.

Le lendemain soir, Jill m'a demandé de l'aider à préparer le repas de noël. Nous avons commencé à cuisiner pendant que les autres jouaient. Jill était allé au lycée français de New York et parlait parfaitement français avec un petit accent. Je lui ai dit :

— Je me sens bête quand je joue au Trivial Pursuit, vous êtes tous tellement intelligents, les anecdotes sur Jefferson, les petits indices dissimulés en blague. Je me sens bête et je parle un anglais de lycéen.

— L'intelligence se résume-t-elle à quelques connaissances sur Jefferson ?

— Non c'est sûr.

— Tu as bien répondu « L'oro y plata » pour la devise du Montana. Personne ne la connaissait.

— C'est juste que j'ai lu Jim Harisson.

— Il ne faut pas avoir honte de ce que l'on est.

— Oui, mais je ne suis pas le gendre idéal. Je ne suis pas le genre, grand reporter barbe de trois jours, intellectuel polyglotte ou étudiant au sourire ravageur. C'est comme si on avait changé le décor depuis que Lisa est venue étudier à Boston.

— Chacun cherche son nouveau monde.

— J'ai l'impression d'être un pirate dans une soirée non déguisée.

— Un pirate c'est bien, ça ne se pose pas de questions existentielles !

J'ai commencé le dessert. Des petites charlottes aux framboises. Jill m'a demandé :

—Tu t'y connais, en tant que français, en lingerie ?

J'ai tourné la tête vers elle, gardé le silence quelques instants puis j'ai répondu :

—Tu vois, Lisa porte un ensemble en tulle à pois, couleur crème. L'ensemble est assorti aux chaussettes, j'ai montré les chaussettes à pois, du doigt, ainsi qu'avec son pull, beige clair.

Jill m'a regardé avec insistance en fronçant les sourcils. Alors je lui ai raconté les manies de Lisa sur les sous-vêtements. Elle prenait toujours un soin particulier à assortir sa lingerie, bien sûr ensemble, mais également avec ses chaussettes ou collants et si possible avec sa tenue, pour être en harmonie. Il n'y avait que moi sans doute pour savoir tout ça et imaginer ses sous-vêtements par les couleurs de sa tenue. Jill a souri et a dit :

— Je reviens.

Elle a rapporté un dossier, qu'elle a posé sur le comptoir et m'a montré des photos de lingeries avec plein de modèles différents. Elle a demandé :

— Je dois faire une chronique sur les tendances du printemps. J'aimerai avoir le goût français, tu vois ?

J'ai feuilleté les pages. Elle m'observait tranquillement, puis j'ai commencé :

— Celui-ci, une ligne simple, noir.

Elle a pris quelques notes dans son carnet. Je lui ai montré deux modèles blancs avec dentelle corail, un autre tout corail puis une culotte avec ruban violet et j'ajoutais :

— Ça fait joli, chic et décontracté.

— Arrêtes, tu piques mes répliques ! répliqua-t-elle.

Je lui montrais enfin un body, j'étais en train de mélanger la chantilly avec le coulis de framboises et j'ai dit :

— Pour le côté rétro.

Jill a écarté les pans de son kimono qui lui servait de tenue du soir et j'ai vu le même body que sur les photos. On voyait ses seins au travers de la dentelle. Elle a chuchoté :

— Bon choix, ça peut servir pour réveiller les vieux caribous.

Je remarquais sur sa cuisse un perroquet tatoué. Elle m'a fait un clin d'œil. J'ai souri et j'ai mis le dessert au réfrigérateur, j'ai fait la vaisselle et rangé la cuisine. Elle était assise à un tabouret en buvant une tisane. Elle a dit :

— tu vois c'est pas si grave, le Trivial Pursuit, tout ça. Je suis là avec toi et tu me reluques les seins. D'ailleurs, ça me flatte, ça veut dire que je peux encore plaire.

— Non c'est pas si grave, mais, j'ai juste fait cinq mille kilomètres pour apprendre ça.

— Et cinq mille kilomètres pour voir mes seins !

— Sérieusement, toi qui es une femme de lingerie, qu'est-ce que ça signifie ? Qu'est-ce qu'il y a derrière ces dentelles ?

— A part les seins ?

— Ah, il y a l'envers du décor… La vérité.

Plus tard dans le lit, je caressais paresseusement Lisa, en espérant lui suggérer quelque chose mais elle semblait aussi absente que les perroquets dans le Vermont. Elle avait gardé ses sous-vêtements, comme parfois elle aimait le faire et je me débattais avec sa culotte. Lisa m'a demandé :

— De quoi avez-vous parlé avec Jill ?

— De son travail, puis elle m'a raconté ton début d'année.

— Ah bon ? A-t-elle chuchoté d'un ton étonné.

— Oui, elle m'a dit que tu te plaisais beaucoup à l'université et que tu avais rencontré plein de gens ! Elle t'a trouvé très épanouie lors du dernier week-end où tu es venue la voir.

— Allez, tu as bien joué, on dort !

 

Le lendemain de noël, Nous avons quitté tout le monde et Richard nous a emmenés dans l'après midi à Burlington pour louer une voiture. Après des adieux avec tout le monde où Jill nous a gratifié d'un « soyez prudents les enfants, le temps change vite dans le Vermont », Lisa et moi rentrions à Boston pour passer le reste des vacances à sa colocation. Je n'étais pas mécontent de quitter parents et amis pour me retrouver seul avec Lisa. Nous avons pris le temps à Burlington de faire une promenade au bord du lac Champlain dans le waterfront park. Nous avons mangé un morceau avant de partir, nous devions arriver dans la nuit. Durant le trajet, nous avons été pris dans une tempête de neige, alors nous avons décidé de nous arrêter pour la soirée. Attiré par les néons rouges sous la neige, nous avons atterri au Red Parrot.

Je suis sorti de mon rêve quand Lisa est sortie de la salle de bain en peignoir et m'a dit :

— Va te doucher si tu veux.

Je suis allé sous la douche puis en sortant j'ai regardé par la porte pour voir si elle n'était pas encore habillée. Heureusement non, elle était sur le lit dans un ensemble noir coordonné, à regarder la télévision. Je suis sorti tout nu et suis allé sur le lit. J'avais une folle envie d'elle car nous n'avions pas fait l'amour depuis mon arrivée. Elle m'a laissé lui faire l'amour sans prendre une grande part à l'envie que j'avais. Puis nous sommes restés allongés sur le lit un moment, je sentais comme une distance. Je lui ai demandé :

— Tu n'avais pas trop envie ?

— Si, mais c'est un peu compliqué après tout ce temps. Ne t'inquiète pas.

Elle est venue près de moi. Mais la gêne entre nous me trainait dans la tête depuis plusieurs jours. Il y avait une distance que j'avais attribuée au protocole avec ses parents. Elle est retournée à la salle de bain. J'étais sur le lit attendant qu'elle s'habille, en me levant, j'ai bousculé son sac. Un livre est tombé sur la moquette s'ouvrant sur la page de garde. En haut de la page était inscrit « Merry Christmas Lisa with love. J.A. ». Il y avait donc un certain J.A.. La discussion avec Jill était prémonitoire. J'ai entendu du bruit alors j'ai remis le livre en place et le sac fissa. Elle a ouvert la porte, vêtue d'un ensemble en dentelle rouge et m'a dit :

— Allons faire la fête au Red Parrot !

Lisa s'est habillée, pantalon noir et haut rouge. Le tout assorti au lieu de notre sortie, une perfection colorimétrique. Nous avons marché jusqu'à l'île, un petit pont menait au bar entouré de faux palmiers de quelques vraies plantes, cordages et perroquets. Nous sommes entrés et avons choisi une table dans un coin. Il y avait des perroquets empaillés, une écœurante odeur de noix de coco et peu de monde. Nous avons commandés des bières. J'ai dit :

— Exotique cet endroit dans le fin fond du Vermont.

— C'est sûr, c'est plus kitch que Stowe. A-t-elle répliquée puis après une gorgée elle a ajouté, j'ai beaucoup aimé notre promenade le long du lac.

— Oui, la lumière d'hiver était très belle.

Les Bee Gees qui chantaient en même temps que la serveuse ne faisaient qu'inciter à une discussion légère mais les mots débordaient de ma bouche pour lui parler sérieusement :

—Il reste quoi entre nous ?

— Tu te poses trop de questions, c'est difficile de se retrouver après tout ce temps et que tout redevienne comme avant.

— Oui, mais je sens bien que tu as changé et il ne s'agit pas d'un reproche.

— Ah ! Les cours, les rencontres, la vie à l'université, je me sens tellement libre, Thomas !

— Oh je comprends. C'est une nouvelle page.

— Non que la vie avec toi ne soit pas bien, mais tu sais bien que j'attendais ça depuis longtemps, de me confronter au monde.

— Oui, un nouveau décor.

Elle a pincé les lèvres et a dit :

— Tu sais que tu es quelqu'un de bien.

— Mais je sais que je ne corresponds plus à ton univers.

— C'est…

— Et quelqu'un a pris ma place.

— Non, je…

— Je l'ai bien compris, mais c'est la vie. Même si je t'aime encore, je ne peux rien faire contre cette force que tu as.

— Il n'y a rien de… A-t-elle hasardé, je ne veux pas te faire du mal. Tu as tout deviné bien sûr.

— Oh ce n'est pas grave, je préfère savoir la vérité.

— On peut se laisser du temps, j'ai besoin de vivre ce que je vis.

— Oui je comprends.

— Je suis désolée de gâcher la fête, et d'une voix fluette, ton voyage ici…

Le bar a changé d'étude d'ambiance. Les perroquets n'étaient plus en train de rire. La croisière ne s'amusaient plus du tout. Après un long silence j'ai dit :

— Je te raccompagnerai demain à l'université et puis j'irai ma balader.

— Tu peux venir à la colocation, on trouvera une solution.

— Je vais plutôt aller visiter quelques trucs !

— Quoi comme trucs ?

— Je ne sais pas, il doit bien y avoir quelques Hall of fame, villages de sorcières, des baraques à sirop d'érable, ou carrément Cap cod.

— Ne me fais pas ça, Thomas, pas à moi, pas de cynisme s'il te plait.

Elle avait raison, il y avait du cynisme dans ma voix. En même temps, elle me laissait tout seul. Elle a repris :

— Tu peux venir fêter le premier de l'an à la maison, ça me ferait plaisir.

— Je vais voir.

— Tu sais que je t'apprécie beaucoup et… On n'a pas de reproche à se faire.

Nous avons regardé nos bières, il ne fallait pas rentrer tout de suite à notre chambre. Je m'apercevais qu'il y avait autre chose derrière le paysage. Derrière les sous-vêtements bien choisis, il y avait une personne qui ne me désirait plus, Lisa voulait reprendre sa liberté. Nous avons écouté encore la musique et jeté un regard circulaire au décor chargé du bar, lampes, sabres et autres trésors. Dans un coin un squelette était transpercé d'un sabre, quelle métaphore ! Elle m'a souri timidement. Puis nous avons eu un fou-rire. Nous étions arrivés au dénouement, Les perroquets du Red Parrot n'avaient pas menti.

Le lendemain matin, nous sommes partis pour la Boston University, quelques heures de voiture dans le silence de neige et sous un soleil éclatant. Quelques standards de country plus tard, nous sommes arrivés à sa collocation. Notre couple avait volé en éclat dans les dentelles et la neige du Vermont. Après le noël chez Richard et Jill, le Red Parrot avait été notre frontière, les perroquets avaient chanté la liberté. Je suis resté prendre un café. Nous étions timides et empesés dans nos gestes, comme si l'intimité et les secrets avaient gelé dans la nuit. Plus tard, je suis ressorti et je me suis retrouvé à la porte de chez Lisa, seul avec mon sac. Je laissais derrière moi trois ans de vie commune, un peu d'amour et un peu d'amour propre. Il me restait dix jours de vacances aux Etats-Unis et une voiture de location. Je me suis senti abandonné au milieu de nulle part, cinq mille kilomètres loin de chez moi. Je suis retourné à la voiture. Je ne savais pas trop où aller. Installé au volant, j'ai regardé dehors. Il fallait que je démarre. Si elle regardait par la fenêtre, elle allait se demander ce que je faisais là. J'ai tourné la tête, bien sûr, elle était derrière son carreau à me regarder. J'ai souri et fait un petit geste dans sa direction. J'ai mis la marche avant et j'ai descendu doucement la rue.

 

  • Ecriture qui me fait penser un peu à du Bukowski (sur la forme). C'est un style particulier mais que j'affectionne, donc c'est agréable. Par contre, je trouve qu'il n'est pas facile de comprendre le lien entre les personnages, cela mériterait quelques précisions.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Elephantinsnake

    etiful

    • Merci pour ce commentaire et les conseils qui vont avec.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      20110428172113 1990f9ff

      Julien Vigneron

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