Un peu de Moix

petisaintleu

Je suis arrivé à Moulins-sur-Allier au 2e trimestre de ma scolarité de 5e.

Ce fut un choc pour plusieurs raisons.

Quitter un environnement à 12 ans est un crève-cœur. Vos repères sont totalement chamboulés. Ceci se ressentit tout de suite au niveau de mes résultats.  Fort heureusement, la culture fut là pour me servir de garde-fou. Je basculai du Club des 5 vers des lectures moins puériles.

Pour la première fois, je fus séparé de mon frère jumeau. Si ça ne me dérangea pas trop de mon côté, je découvris une autre facette de mon alter ego, qui ne supportait pas que je puisse avoir mon propre cercle d'amis et s'arrangea dès lors pour casser mes relations ou se les accaparer (il en fut de même un peu plus tard avec mes dulcinées).

J'ai toujours eu peu de relations avec ma sœur ainée, pourtant à peine plus âgée de treize mois. La déportation en terre auvergnate sonna définitivement le glas de nos années d'innocence. Sa rébellion fut plus discrète que la mienne, préférant mettre les voiles vers l'Allemagne le jour de ses dix-huit ans pour fuir une pression d'un papa un peu trop kinesthésique.

Je venais d'une petite ville du Cambrésis (Caudry, connue dans le milieu de la mode pour ses fabriques de dentelle). Mes camarades étaient alors tous issus d'un milieu populaire. Dans la capitale des Bourbons, je fus amené à côtoyer les enfants de la bourgeoisie locale (médecins, avocats etc.). Mon père avait été promu directeur adjoint au sein de l'agence locale de la Société Générale. Je découvris l'entre-soi. Heureusement, mon paternel était toujours là pour me rappeler nos origines familiales, le monde ouvrier nordiste, à coups de martinet et d'humiliations.

Toutefois, l'école républicaine jouait encore son rôle d'ascenseur social. Je me souviens de Noureddine et des 12 frères et sœurs. Il me fascinait par son intelligence. Au lycée, il partit pour faire un bac E. Je ne sais pas ce qu'il est devenu. J'espère qu'il a marché sur les traces de son grand frère qui faisait des études d'architecte. Il y avait aussi Richard, tout autant brillantissime que prompt à se jeter dans la bagarre. À ce jour, il est colonel de gendarmerie. À l'inverse, Michel avait tout pour réussir par ses origines sociales. Sa mère au comportement folcochien (cf. Vipère au poing d'Hervé Bazin) le poussa à tout envoyer valdinguer alors qu'il était sur le point de décrocher son titre de notaire. J'ai préféré rompre les ponts avec lui il y a quelques années. Mon empathie et mon amitié ont des limites. Je ne suis pas psychothérapeute.

Avec l'âge, on a sans doute tendance à magnifier ses années d'adolescence. Si elles ont forgé ce que je suis aujourd'hui, il serait illusoire d'espérer les revivre.

Il y a quelques années, je suis repassé à Moulins. Quand j'y débarquai en 5e, la préfecture était pour moi une mégalopole. Désormais, je n'y vois qu'un trou paumé de 20 000 âmes. J'avoue que je pense souvent à y migrer. Pour quoi faire ? Il est vrai que les biens immobiliers valent une bouchée de pain. Ce n'est que la partie visible d'une ville provinciale sous perfusion. Il n'y a guère que les administrations ou l'hôpital qui soient en mesure de vous offrir un emploi. Les bords de l'Allier pourraient me servir de prétexte à des balades solitaires. Ils seraient sans doute le moteur à alimenter la nostalgie de mes premiers émois amoureux. J'ai même poussé le vice à rechercher la trace de Cécile sur les réseaux sociaux dans une posture modianesque. Elle était folle amoureuse de moi. Je ne compris pas ce qu'elle pouvait me trouver derrière ma timidité et mon acné. J'avoue que son inculture précipita sa chute. Il fut plus facile de rompre pour m'isoler dans la fiction romanesque de Zola ou de Balzac.

Il ne me reste que l'écriture pour réécrire l'histoire, la fantasmer ou la magnifier, pour rattraper toute l'eau qui a coulé sous le pont Régemortes.

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