Un peu de mort fine - Extrait

bertrandb

-EXTRAIT-

Je me suis retrouvé mort, ce matin, au beau milieu de mon salon. Enfin, pas exactement au milieu. Un peu sur le côté, sur le tapis à poils gris, entre le canapé et la table basse, les pieds face à la porte de la cuisine.

Ma mort fut un choc, je ne m'y attendais vraiment pas. Heureusement, on était dimanche.

Comment en étais-je arrivé là ?

Hm. Pas facile de faire le tri dans mes souvenirs avec un mal de crâne pareil, mais il me semble que j'étais en pleine conversation avec mon oreiller. Oui, c'est ça. Mon oreiller, ergonomique, qui, du haut de son confort incomparable et hors de prix me reprochait la biture de la veille. Et là, sûrement un bruit sourd au salon, ou à la cuisine, qui m'a tiré de ma traditionnelle gueule de bois dominicale. Je me souviens m'être levé péniblement, avoir enfilé le jean et le T-shirt pas frais de la veille et avoir traversé mollement le couloir, en me demandant probablement lequel d’Euclide ou de Fibonacci, mes chats, avait encore pu causer une catastrophe.

Je veux bien admettre que, dernièrement, ma mémoire m’a fait défaut et, qu’il s’agisse de l’âge ou des excès éthyliques de mon presque récent célibat, mes souvenirs sont parfois bien brouillés. Mais, par contre, ce qui vient de se passer est une certitude. Je suis entré dans le salon et je me suis retrouvé, disais-je, mort au pied du canapé. Et je n'ai rien vu venir. Je persiste à le dire, je ne m'y attendais vraiment pas.

D'ailleurs, qui s'y attendrait ?

En même temps, c'est souvent comme ça que les drames se font. On pense à autre chose, ou à rien et, hop, tout bascule. Il n’y a que dans les mauvais films qu’une épaisse musique nous mets la puce à l’oreille avec ses gros sabots en fer forgé.

Et mettez-vous à ma place, rien qu’une minute ! Il y a quand même de quoi en rester bouche bée. Et puis ce n’est pas comme si je luttais contre une longue maladie – je n’en ai pas de connues –, que je vivais sous les bombes, ou que j’étais membre actif de la mafia. Rien ne laissait présager ma mort. Pas à court terme, j’entends.

Bien sûr, passée la surprise de l’événement, les questions se bousculèrent.

De quoi étais-je mort ? Là, pour l’instant, rien ne m’apparaissait évident.

Alors, qu'est ce qui avait bien pu me tuer ? Je n'avais rien vu, rien senti, rien remarqué. Aucun détail anormal ne m'avait sauté aux yeux. Et puis, au lieu de « Qu’est-ce », si je me demandais « Qui » a bien pu me tuer ? Eh oui ! Serais-je la victime d'un meurtre ? Mais qui donc pouvait m'en vouloir au point de m'assassiner ? Un voleur, peut-être, que j'aurai surpris et dérangé en plein forfait ?

Après un rapide coup d’œil, rien n’avait l’air de manquer. L’écran plat était toujours fièrement accroché au mur. Mon baladeur numérique (l’auteur n’a pas reçu l’autorisation d’en citer la marque) trônait sur le meuble en résidu de bois compressé scandinave, à côté de la liseuse. Ma chaîne hi-fi et l'ordinateur portable, tout ce qui faisait de moi un mec du vingt-et-unième siècle, étaient encore bien là. Mon portefeuille, comme toujours laissé négligemment ouvert sur la table basse - cette habitude me perdra - ne semblait pas avoir bougé. Même mon paquet de clopes était toujours là. De façon générale, le léger bordel de la pièce semblait le même qu’à la fin de la soirée de la veille. Une bouteille de Whiskey - irlandais, vingt ans d’âge, une merveille - presque achevée, quelques verres sales, des bols de miettes et quatre bouteilles de rouge vides, un excellent Merlot par ailleurs, pourtant bradé au supermarché du coin. Eh ! Je ne pourrai pas dire qu’avant d’y passer je ne me serai pas fait un dernier chouette apéro. Même si je ne me souvenais plus très bien de la fin de soirée. Ni des invités, du reste.

Donc, rien n’avait bougé. Ça ne collait pas spécialement avec un vol. Et puis, si j’avais effectivement dérangé un voleur, quelle serait l'arme du crime ?

Je n’avais pas spécialement le meilleur angle de vue, mais je ne décelais nulle trace de sang. Pas non plus de couteau, ni de flingue, ni tout autre moyen de tuer plus exotique. Alors, serait-ce un objet contondant, quelque chose qui ne laisse pas de traces... Comme... une batte de base-ball ? Non, j'aurais sûrement eu le crâne enfoncé et du sang aurait giclé tout autant. Et il aurait apporté la sienne, puisque je n’en avais pas. Or, il faut bien admettre que ce n’est pas très commun, ni très commode, pour un voleur, de se déplacer avec ce genre d’instrument.

Ou alors…

Ou alors… on m'avait brisé le cou. D'un geste maîtrisé. Le coup du lapin. Le genre de truc super impressionnant que l’on voit dans les films d’actions, quand la tête tourne en faisant « crac ». Un professionnel, donc. Ou un ninja. Le fumier. Ah si un jour j’attrapais le mec qui m’a tué… Je le tuerais. Aussi. Ok. Bon. Hormis cette hypothèse, ne restait-t-il alors que le poison ?

Mais, à nouveau, qui m'en voudrait au point de vouloir m'empoisonner ? Mon ex était loin, que ce soit dans l’espace et dans le temps. La précédente ne devait même plus se souvenir de mon prénom malgré cinq années de vie commune. Et je ne pense pas qu’elles me haïssaient à ce point, ces deux pintades. Et qu’auraient-elles pu espérer de ma mort ? Mon employeur me tolérait, je n'avais pas d'ennemis connus et ma famille ne se préoccupait que peu de moi... Oh ! Maintenant que j’en étais là, il est trop tard pour se voiler la face. Certes, ces dernières semaines, je n’étais pas dans mon assiette, plutôt grognon, voir carrément exécrable. Sûrement le fait de mal vivre de vieillir, d’essayer de ralentir la clope, un peu tout ça. Et c’est vrai, ma mémoire n’était plus très fiable, ça devait contribuer à m’angoisser. J’avais peut-être eu un mot un peu fort ou une remarque désobligeante. Mais, merde, de là à me tuer ? Qu’est-ce que j’aurais bien pu faire ou dire qui justifie un assassinat ?

Je passais alors mentalement en revue tous les gens qui pourraient m’en vouloir, tous mes ennemis potentiels. À première vue, aucun profil ne convenait. Et de toute façon, ma mort n'aurait apporté de crédit ou de bénéfice à personne. En terme légal, j’entends. Je n’avais pas d'héritiers, en tout cas pas de connus ni de reconnus, et pas de vraie fortune. Je n’étais pas spécialement dans la dèche, mais rien d’extravagant. Si ce n'est cette maison, presque finie de rembourser. Mais personne n’habiterait une maison où il y a eu un meurtre, surtout s'il en est l'auteur, ça ne tenait pas debout une seconde.

Alors, si ce n'était pas un crime, on en revenait à l'option de la mort naturelle. Et si une crise cardiaque avait eu raison, en un clin d’œil, de mon pauvre palpitant ? À ma charge, je l’avais déjà bien malmené par une tabagie intensive, trop de rouge, pas assez d’eau et des siècles de sommeil en retard. Merde. Si c’était ça, je savais bien que j’aurai dû reprendre le sport plus tôt. Et acheter une cigarette électronique.

Et si mon assassin était, en fait, l’un de ces mots exotiques qui claquent en bouche et qui donnent tant de prestance à celui qui les prononce d’une voix grave et d’un air entendu ? Choc anaphylactique ? Rupture d’anévrisme ? Infarctus ? Lupus Érythémateux ? Je ne connais que ceux-là, et je dis ça sans évoquer tous les autres, dont je n'ai même pas idée.

Bon, dans tous les cas, c’était forcément un arrêt du cœur. Quelques soient les circonstances, on meurt toujours, finalement, d’un arrêt du cœur.

Et merde. Merde, regardez moi ça ! Qu'est ce que j’allais faire ?

Qu'est ce que j’allais faire de moi, de mon pauvre cadavre gisant là, comme ça, comme une négligence ? Et qui commençait sûrement déjà à pourrir, ces choses là n'attendent pas. Ah ! J’entendais déjà les mouches me tourner autour, toutes disposées à faire ce que la nature attendait d’elles.

C'était clair, il me fallait agir.

Certes, je ne savais pas ce que je devais faire. Mais je devais le faire. Vite.

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