Un remède qui ne guérit pas mais permet de souffrir plus longtemps

bonsmaux

Pourquoi m’a-t-elle suggéré de me joindre à son cours ? Et pourquoi l’ai-je écoutée, cette Marcella Char, professeure de théâtre  présentée par une amie après notre rupture avec Lance ? Enfin, lorsque je dis « notre rupture », je devrais plutôt parler du moment où il a décidé que c’en été fini et qu’il préférait convoler à la recherche de la femme qui siéra convenablement à ses attentes de paternité. Oui parce que je n’en étais pas digne. Trop immature, trop éloignée du sens des réalités. Pour preuve ? Mon instabilité. Situationnelle d’abord : « intermittente du travail », passant de CDD en boites d’intérim pour des missions de soutien psychologique. D’après les standards, ce n’est pas ce qui convient le mieux à l’éducation d’une progéniture. Pour cela, il faut mieux « un vrai travail ».

Comportementale par la suite : introvertie, rêveuse, déambulant seule dans la ville durant mes échappées nocturnes, ayant une faculté à ne pas répondre à ses appels. Tout ceci n’arrangeait rien. Il ne manquait plus qu’un seul cliché pour dépeindre le tableau de ma morne existence: une consommation périodique de marijuana. Ça, il me le reprochait plus que tout. Ses amis et lui-même pouvaient passer leur temps à se trouver des excuses pour boire ; ils avaient beaucoup de choses à fêter : le changement d’heure, le solstice d’été, la victoire de St-Nicolas-de-Navarre-les-deux-jumeaux au tournoi de pelote basque subaquatique d’Irouleguy-de-Baïgorry-le-vieux ; cela n’avait rien à voir avec mon « autodestruction chanvrière ». Bien sur ! « Une fuite pour ne pas voir la réalité en face ». Voilà ce qu’il en pensait, le généraliste émérite. Car il n’ignorait rien des effets du Cannabis. En face de ses allégations, je ne pouvais que me taire. J’ai bien tenté un jour une allusion au rapport sur les drogues qui classe cette substance en deçà, en terme de dangerosités neuropharmacologiques, de l’alcool, mais rien n’y a fait, il avait ses certitudes.

Pouvait-il penser que je passais mes insomnies à le contempler en me demandant comment je pouvais intéresser quelqu’un comme lui ? Pouvait-il s’imaginer que j’évacuais ainsi mon angoisse, celle liée à l’insatisfaction de ne pouvoir entièrement le contenter ? Je ne suis pas aussi idiote que j’aime à le laisser croire. Je ressentais bien qu’il n’était pas pleinement épanoui malgré les, non pas efforts, mais attentions que j’entreprenais pour lui plaire.

Mais arrêtons de nous perdre dans nos pensées ! Concentrons-nous un instant sur la fin de cet enseignement dramatique qui tend à s’éterniser. Tiens, non d’ailleurs, elle semble enfin finie cette session où j’ai du céder aux invectives de mon enseignante. Elle n’a eu cesse de me réclamer de jouer divers personnages, portant perpétuellement un masque : « Ne soyez pas naturelle, devenez ce mensonge que je vous demande d’être ! Une femme éperdument amoureuse, je vous ai dit ! Un homme froid et distant ! ». Et une fille, une sœur, une tante, une mère, heureuse, rieuse, extravertie, éloquente, taciturne, sportive, littéraire, scientifique…et je ne sais quoi encore. J’avais du en permanence jongler avec les souhaits de cette voix qui pesait Surmoi.

Elle s’approche de Moi pour me parler et me soutient que j’ai correctement endossé tous les rôles, comme beaucoup de ses étudiants. Mais elle ressent une obsession plus importante pour mon jeu d’acteur, une once de conviction indispensable aux plus grands artistes. Elle la reconnait et veut m’aider à en prendre conscience. Elle me dit de fermer les yeux puis me parle de l’histoire de la première femme de la mythologie grecque, Pandore, et de sa boite contenant tous les maux de la terre. Tous se sont échappés, sauf un, trop lent à réagir. « Lequel à votre avis ? », me demande-t-elle de répondre dans l’obscurité. Je fais appel à mes souvenirs, lointains, à mon enfance. Ces minutes de méditation me paraissent des heures. Je le sais pourtant, c’est là, enfoui au plus profond de mon être. C’est…euh…

« L’espérance. C’est l’espérance » assure-je en rouvrant les yeux. Les murs du théâtre ont disparu. La professeure ? Envolée. Il n’y a plus que Moi. La scène ? Celle où tous les individus que je croise se mélangent et ne sont que des acteurs d’une méga production, tragi-comédie sentimentale, dont je suis l’actrice principale et qu’on appelle ma vie, tout autant qu’il peut m’arriver de l’être pour les leurres…elles aussi.

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