Bloque

Marina Damestoy

D'instinct, je jalonne mon errance par des notes – témoins de papier arpentant ma détresse. La vie de SDF est un non-lieu que je combats avec des mots arrachés à la rue, au bruit, à l’inexorable décadrage de soi. Partager la matière de cette vie par textes en pointillés - petit poucet – s’y trame les multiples postures mentales d'une femme, s’y étrangle aussi l’auto-censure - ma génération. Rester dans le juste, dans le ton = paresse, lâcheté, désamorçage par l’ensemble. Comment dire, sinon en crabe ? Je ne fais que biaiser, mon miroir au travers, comme ce plafond de verre au-dessus posé par la génération des parents. Trouver la brèche, la respiration possible parmi tant d’embûches, une vie à construire comme des décombres et cependant placée en plein luxe. Bientôt 33, aussi bien insérée que le Christ, la qualité prophétique en moins. Le cœur à beau s'enfler, la détresse est de celle qui ne mène nulle part - pas de toit - d'emploi - pas de perspectives – pas d'inspiration – pas de vie et d'enfants, j + 33 x 365. Juste le temps qui coule, me laissant en deçà de moi, au derrière de ma vie.

Au sol sale, un bonnet et un petit carton. Petit panneau aux genoux de nous-même, assise à l'angle des marches extérieures d'une banque parce que je ne vaux rien, rien de plus que le poids de ma viande : « Mangez moi » Camera subjective. De l'air, je suis du vent, ne plus laisser de  traces sociales, un épouvantail  invisible à quelques pas du normal. Où suis-je ? - 115 - dortoirs réfectoire douches collectives - Constater le reflet de mon visage ravagé par l’alcool et la souffrance - Porter à bout de bras le peu que je possède - Revenir vers nulle part - Ici, on ne sert pas les clochards - Faire entre deux voitures- Ma douche : les chiottes des cafés. Gestes mécaniques des jours répétés. Méchanceté qui progresse. Intolérance selon la preuve par soi.

Rêve, grève dans la rue, pour rien, pas un clou, ma chair dans le caniveau... même pas un billet, même pas un bout de métal , rien. Éviter les coups contingents. Un coup de pied à la volée, venu de je ne sais où. Le rythme, le rythme, le rythme... n'a rien à voir avec le mien, des moteurs. Je suis dans la rue, duvet bleu, un folio avec ma lampe de poche, il fait jour, à quoi bon. J'ai remonté le monde bleu bien au-delà de ma tête, j'ai plongé faute de pouvoir en décider, dans les pages bleues de mon folio. Plonge dans l'histoire d’autrui, dans mes mots aussi , ceux qui me raccrochent aux autres, me rappelle que je suis littéraire, oui j'ai le droit de lire. Non, pas le droit à la légitimité mais peux-être puis-je lire, au moins, non ?Si mon folio coupe le rythme-son-fou, mon cahier de note se tarit aussi parce qu'abrutie.Une femme toque à mon sac de couchage, elle me fait perdre le fil. Je dézippe, il neige, ce n'est pas la première fois. Elle voudrait m'indiquer un appartement à squatter en face du sien. Elle me dit qu'elle peut organiser le pied de biche et la scie sauteuse avec un
pote. Très bien. Merci. Je rezippe. Mon roman. Froid, neige pénètre. Je suis dans la rue Montmartre, j'ai le même age qu'elle. Apparemment elle a galéré aussi avant de se retrouver dans un appartement, je suis saoulée, c'est bien mais elle, elle est loin du son.
Lendemain,  elle revient , même roman dans ma main, mon bleu fou le camps, j'ai mangé comme j'ai pu. Dans son regard, nous sommes les mêmes, elle souffre. Je ne peux pas gérer. Rien à dire, oui, non, merci. Dur, c'est gens qui rentrent comme ça, je rezzippe. Surlendemain, je tisse un collier, tête en dehors cette fois-ci,  ne suis pas dans le bleu. Le bruit s'infiltre, poison rampant. Elle voit mes perles de verre, perles de verres, perles de verres, à l'infini .... Je vois ! Elle m'explique - alors que je m'en fou, forcement - que manque de chance l'appartement vient d'être loué mais qu'elle téléphone au DAL avec moi, là sur le trottoir avec son portable, pour trouver une solution tout de suite, c'est la neige qui la fait flipper. Moi c'est le son et son portable aussi, attribut de l'intégrée parfaite ... Le son, pas idée ! Roues, freins, klaxons, bus, scooter dans ma tête, y'a même plus de phrases à tisser, juste l'impact, l'épilepsie. Je la jette, elle a « Babar » au bout du fil, je l'emmerde, je ne bougerai pas et eux veulent que je me déplace, non. Non, rien à faire, pas moyens, trop de coups déjà, trop de nuits pour rien ici et là. J'ai mon porche, je ne crois plus.

Couchée au fond d’un parking- invisible- j’ai fumé dans le ciel béton une cigarette.Frappée de torpeur, somme, gouffre chaud, aliénant. Je ne ressens plus que le sommeil.Tombée SDF car punie d’exister autrement. Tombée dans la rue, on me roule ta bosse dessus. C’est ma vie sans toi, en roue libre. Je rejoins la légion ordinaire des chiens errants sur le chemin de croix. Monsieur Cloche, je vais me mettre là, regarde, juste dehors. Tombeau-neige. Dans la nuit où nous sommes fous, les os ont froids et me dévorent. J’ai manqué ne pas être en vie - Sol-douleur. Refus d’aide. Au bout du chemin, je coupe les mains tendues et c’est moi qui ronge la gangrène et le temps qui me porte, trop lourd. Ne soit pas une loque, asticot gelé dans ma plaie. Ne te répands pas par terre. Même plus le courage de me lever tellement j’ai fin.

Cadre pour cinquième acte assez réussi. Je vais crever… voyez !

-       Neige
-       Lueurs molles et ivres
-       Parfois les réverbères sont des lunes déchues.
-       Dans l'empreinte nocturne d'une tempête blanche, l'idée de la fleur d'oranger.

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