Un reste de craie

christinej

Bonjour mademoiselle, vous êtes nouvelle ?

Vous cherchez peut être quelqu'un ?

Moi aussi je cherche une personne.

Mais….. je ne sais plus qui.

 

Vous savez que je fais toujours le même rêve.

 

Le soleil est sur le point de se coucher, sa lumière s'étend sur les champs, les bordant d'un drap doré.

Je suis dans mon habit du dimanche, celui en velours noir.

 

Maman aimait me le faire porter. C'est étrange, je me souviens du velours, de l'effet que cela faisait sous mes doigts. Mais son visage, son sourire si précieux pour moi, s'est estompé a ne devenir qu'une incertitude.

 

Je me sens compressé dans ce costume, il commence à être vraiment trop petit pour moi, surtout mes chaussures, elles me font mal aux pieds.

Mais je sais que je dois être présentable, de toute façon c'est le seul que je possède, alors...

C'est celui que je mets pour la messe ou les enterrements, vous voyez, pour les grandes occasions uniquement.

 

Je l'ai mis pour l'enterrement d'un grand oncle ou d'un cousin, je ne me rappelle plus de son nom, mais je me rappelle qu'il avait un œil en verre et un bras en moins.

Il me fait très peur quand il vient nous rendre visite…..

 

Je disais quoi déjà…

 

Je…

 

Oui, je vous parlais du rêve que je fais chaque nuit.

 

Je porte mon plus beau costume.

Je marche à vive allure, je sais que je dois me dépêcher d'y aller.

Là-bas près du chêne.

Vous savez, là où elle m'attend.

Je transpire, je sens la sueur me couler sur le visage et le long de mon dos, mais je ne dois pas faiblir, je ne peux pas la faire attendre plus longtemps.

Je l'aperçois et mon cœur s'emballe comme dans le grand huit.

Sa main est posée sur l'écorce du chêne.

Elle porte une robe blanche, aux manches de dentelle, de petites sandales bleues ciel. Je suis sûr qu'elle a accroché sur sa poitrine, sa broche libellule, celle qu'elle préfère.

C'est son porte bonheur, vous savez.

C'est moi qui lui ai offert, enfin je crois, j'ai le sentiment de l'avoir fait, c'est comme le souvenir de son sourire, si tendre, si doux, quand je lui ai donné, je ne sais plus si c'est pour de vrai.

Ni même le baiser chaleureux qu'elle a timidement posé sur mes lèvres, avec tellement de pudeur qu'il avait un gout de sucette à la fraise, c'était peut être, juste un rêve, je ne sais plus, je voudrais être certain de moi mais….

Cela fait tellement mal de douter, de n'avoir que de la noirceur derrière les paupières.

Je….

 

Son chapeau, dont le ruban bleu danse sur les caprices du vent et m'empêche de voir son visage.

Au moment où je vais lui retirer, je me réveille, c'est à chaque fois pareil, enfin je crois.

C'est si difficile d'être sûr aujourd'hui.

Vous savez ma mémoire me joue des tours, je ne suis plus tout jeune, mais pas si vieux que ça non plus.

Bien que, quand je regarde ces mains, mes mains.. peut-être que si en fin de compte, j'ai, peut être atteint un âge canonique, qui tourne en poussière mes souvenirs.

Mais je sais, je sais avec certitude que chaque nuit, ce rêve vient me hanter.

Et chaque nuit je sens que je m'émiette avec lui.

Comme si la ligne continue de ma vie s'efface au rythme de mes soupirs et de mes larmes d'impuissance.

Vous savez, je suis capable de me rappeler du nom de ma maitresse en maternelle, Madame Pivert. Elle avait une fine moustache et elle avait une façon très particulière de rouler les r.

Je me souviens de l'air que ma mère me fredonnait le soir avant de m'endormir, de cette caresse, de cette tendre chaleur qui venait me toucher le cœur et qui le faisait frissonner, même encore aujourd'hui, alors que les rides ont creusé mon visage.

Je me souviens de la couleur de ma première voiture, rouge, brillante, vibrante.

Mais tout ce qu'il y a autour est plongé dans un brouillard, je sais que c'est là, mais je n'arrive plus à mettre des mots et des images sur ces moments.

Comme cette femme dans mon rêve je sais que je la connais mais je ne sais plus qui elle est.

Ma mémoire est comme un puzzle dont je perds les morceaux un par un, dans le gouffre de ma vieillesse.

Parfois dans le miroir je ne reconnais pas l'homme qui se tient devant moi.

Il me regarde avec tellement de tristesse que cela m'écrase le cœur. Il est si vieux, si fatigué, il ressemble à quelqu'un que j'ai connu autrefois. Il a les yeux de mon père, mais je sais que ce n'est pas lui, il n'a pas la même dureté dans son regard.

Je n'arrive pas à me rappeler pourquoi je ne suis pas chez moi. Pourquoi on m'oblige de rester dans cet endroit si terrible.

Je ne suis pas comme eux.

Un fantôme.

Je ne suis pas encore mort.

Je m'accroche aux bribes de ma vie, même si elles sont insignifiantes.

Je ne suis pas une coquille vidée de son essence, de tous ses souvenirs.

Je me rappelle, pas très clairement, oui, mais je me rappelle.

Je sais mon nom, je m'appelle ….M….A….

Enfin je ne suis pas fou, je le sais. Je me suis présenté tellement souvent dans ma vie et l'oublier maintenant c'est juste une mauvaise plaisanterie de ma vieille cervelle.

Allons, c'est tellement idiot, je m'appelle….

Mon premier chien s'appelait Prosper.

Mon poisson rouge Gaspard.

Mon meilleur ami en primaire André.

Je peux réciter le nom de tous les présidents français, des pays du monde et de leur capital.

Mais mon nom, ma propre identité se dérobe sous ma langue.

Peut-être que je ne vaux plus le cout, peut être que je suis trop vieux pour être nommé ou mentionné.

Pardonnez-moi, Mademoiselle, du délire d'un vieux sénile qui perd la tête. Je suis ce que l'on peut appeler un anorexique de la mémoire.

Je me sens comme un reste de craie sur un tableau mal effacé.

J'avais pourtant de si beaux souvenirs.

D'ailleurs je cherche ma femme vous ne savez pas ou elle est ?

 

Oh papa, maman est morte, cela fait cinq ans maintenant tu ne te rappelles pas ?

 

Vous me rappelez quelqu'un, on s'est déjà rencontré ?

Vous savez que je fais toujours le même rêve.

…..

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