Un si doux adieu...

pourquoilavie

un nouveau départ...

J'ai peine à croire que c'est mon dernier jour. J'effectue des gestes de tous les jours. Des gestes du passé qui n'ont pas de droit d'entrée dans ma nouvelle vie à laquelle je me suis préparé. Des gestes qui appartiennent à la vie simple et triviale. J'ai peine à croire que c'est le dernier soir que je les exécute.

Je referme les volets. Avant,  je contemple ce paysage de campagne qui s'offre dans sa plus belle des nudités, entaché d'aucun artifice. Un pré à la déclivité légère, adossé aux pieds de la montagne. Des arbres qui font office de tours de garde sur notre maison entourée de ce magnifique jardin à la pelouse verte, impeccablement tondue. Le long de nos murs, des parterres massifs de fleurs en pleine éclosion. Je m'enivre de leurs parfums. Ils me sont plus doux, plus capiteux que celui de la vie. Ils me grisent. Ils me transportent. Ces parfums je parviens à les retenir, à les fixer. Au contraire des souvenirs qui filent comme les feuilles des arbres s'éparpillant à l'automne. Au contraire du parfum âcre de la vie qui a continuellement exacerbé mon mal être, cette incompréhension de figurer ici-bas.

Mon regard s'attarde. Je pense, un moment, me promener parmi cette allée fleurie et effleurer avec mes mains les pétales aux couleurs somptueuses. Ce serait dangereux. Se faire du mal inutilement.  Ruiner ce détachement auquel je suis parvenu. Me promener c'est m'imprégner donc me désavouer.

Lumière douce aux rayons du soleil qui caressent tendrement la nature. Lumière ambrée qui ouate l'atmosphère. J'admire et je me méfie car cette beauté en son sein cache l'insidieuse tentation de se réconcilier avec la vie. Oh non ! Ne me tentez pas. Je ferme rapidement les volets. Il ne faut pas que la nostalgie me submerge. Les volets sont fermés. L'obscurité qui emplit la pièce est en rapport avec mon dessein. Surtout ne pas laisser la vie s'infiltrer à nouveau. Ce serait un drame, un échec. Le début du doute. Mais il n'y a plus de place pour les doutes. Je me rassure.

Je parcours la maison vide. Mes pas résonnent. Mes yeux se font à l'obscurité. Il faut bien. Ce sera bientôt leur façon de voir.

Le plus dur n'est pas de dire ‘'adieu'' mais de se convaincre que c'est bien un adieu. Pour cette raison, je traîne encore à l'intérieur de la maison. Les souvenirs m'ont devancé, ils ont déjà quitté la maison. C'est mieux ainsi. Vide la maison. Vide dans sa tête.  

Je pense aux personnes. C'est étonnant car d'elles, seules me parviennent leurs voix. Plus aucune image de leurs visages ou de leurs physiques. Bannir ce qui évoque l'émotion. Effacer à tout prix ce qui pourrait me retenir. Me faire craquer. Me faire renoncer. C'est hors de question.

Il faut que je quitte la maison le plus vite possible. Pourquoi retarder ? C'est un non-sens. Les jeux sont faits. Une dernière vérification. Tout est en place. Je ne voulais pas laisser derrière moi le moindre désordre.

L'acte le plus difficile c'est de fermer la porte à clés. C'est le geste le plus fort car, à cet instant précis,  vous scellez votre destin comme on appose un sceau en cire pour cacheter son enveloppe. En refermant la porte,  ce qui était encore, il y a, à peine, quelques minutes, même quelques secondes, de l'ordre du probable, une conjecture parmi tant d'autres, s'impose comme un choix irrévocable.

Mais, une fois ce dernier geste accompli, j'ai ressenti une indicible libération. Il faut juste s'habituer à son nouveau corps. Plus aucun poids sur les épaules. Plus aucun trouble de l'esprit. Une belle lumière, vive, enivrante vers laquelle je me suis envolé facilement  comme ces papillons que j'avais tellement enviés.

C'est ce qu'on appelle je crois la réincarnation. Il n'y a rien de tragique. Je vous souhaite du fond du cœur qu'elle soit aussi douce que fut la mienne. 

Signaler ce texte