Un somnambule à Akureyri

triton

Participation au concours Airbnb

 

      Je n'avais pas eu d'autre choix que de prendre cet avion. Depuis qu'elle était partie, un garrot s'était déposé sur ma vie. Je me morfondais dans mon studio parisien, passant le plus clair de mon temps à dormir, tandis que mugissait sur un écran lointain un énième film érotique allemand.
         Ce matin-là, je me réveillais comme à l'accoutumée, aussi piteux que la veille. Déployant mes bras au-dessus de la table de nuit pour étirer mon corps, seul acte audacieux de mes sinistres journées, ma main vint à heurter une enveloppe. Je l'ouvris lentement, avec le même intérêt que je nourris pour l'haltérophilie en justaucorps ou la parade nuptiale des loutres d'Amérique latine. Je découvris à l'intérieur deux billets d'avion pour l'Islande, ainsi qu'une adresse griffonnée maladroitement. Les billets étaient à mon nom et l'écriture me semblait familière sans que je parvinsse à identifier le propriétaire. N'importe qui aurait pu rentrer dans mon appartement ; je ne fermais plus rien, n'ouvrais plus rien. Elle avait été la dernière à claquer cette porte.
          Assis dans l'avion, je cherchais en moi-même ce qui m'avait décidé à quitter mon lit, dont le matelas était si profondément imprimé par l'affliction.
- "Il fallait que je m'en aille", voilà tout ce que je répétais.
       Je marchais maintenant en direction d'Akureyri, à l'affût de l'adresse inscrite sur mon morceau de papier. Soudain, je la vis : une villa magnifique sur les hauteurs, ceinte par d'imposantes montagnes aux pieds desquelles coulait un fleuve tranquille. L'aspect de la bâtisse était moderne, les lignes étaient nobles et le mélange du ciment et du bois lui donnait un caractère intemporel.
     Je poussai l'huis, et au beau milieu du salon se trouvait une dame d'une corpulence imposante avec un oiseau sous le bras. C'était un superbe macareux au bec multicolore.
- "Massage de bienvenue !" dit la femme gironde dans un français approximatif.
Elle me saisit le bras vivement, me projetant sur la table du salon. Elle m'ôta d'une main mes vêtements, grimpa sur la table afin de m'immobiliser avec ses genoux. Alors, elle appuya sur mes muscles dorsaux avec le bec du macareux qui se débattait et fournissait par cette agitation un roulis vigoureux sur mes lombaires fatiguées. Je tentais de me débattre comme le macareux, mais la puissante masseuse nous retenait tous deux. Les trois premières heures furent difficiles, mais à la cinquième, je commençais à me détendre. La masseuse au macareux me quitta sur les coups de dix-huit heures et c'est la mine satisfaite que je la raccompagnais jusqu'à l'entrée.
        Revenant dans ce magnifique salon, je vis en face de moi un écran géant devant lequel une émission sur la nature était projetée. Je trouvais l'image incroyablement vivante, aussi me mis-je à chercher la télécommande pour examiner cette technologie si fidèle à la réalité. Au bout de quelques minutes, je découvris qu'il s'agissait en fait de la baie vitrée : cette vue sublime se déversait dans mes yeux pour y creuser le puits d'un souvenir immortel ; un parfum lustral remplissait mes poumons malingres qui se gonflaient du panorama alentour, comme pour faire de ma chair un territoire nouveau du paysage islandais.
      Puis, j'aperçus au-dehors le jacuzzi. Une très forte envie d'y tremper mon corps me saisit, cependant je distinguais une forme interlope qui bougeait à sa surface. J'approchais doucement lorsque je découvris un phoque qui baignait dans les bulles innombrables du bassin. Il m'invita à le rejoindre d'un signe de sa nageoire, et nous liâmes connaissance rapidement. À ses "wouirgh" énergiques, je répondais des "wouargh" allègres. La débonnaireté de cet hôte nous permit une amitié aussi franche que prompte. Je lui appris à maintenir une bière sur sa tête, ce qui fit de lui un précieux compagnon de beuverie.
        La nuit tomba rapidement. Le ciel convia sur sa toile une lune blanche qui offrait à la surface du fleuve sa jumelle, que le vent rendait turbulente. Je quittais "wouirgh" pour regagner l'intérieur de la villa, tandis qu'il continuait à jouer avec mes bières vides.
Désireux de découvrir la chambre, j'évoluais à travers le mobilier au style contemporain, dont les couleurs chaudes se mêlaient à des tapisseries noires et blanches. Ma bouche n'avait cessé de marquer son admiration par la large ouverture qu'elle affichait : elle avalait comme des petits-fours ce superbe et exubérant décorum.
Pénétrant dans la chambre, je fus surpris de trouver sur la couverture brunâtre du lit une nouvelle enveloppe. Je la déchirai vite, curieux de savoir qui m'avait offert ce périple.
- "Heureusement que je suis somnambule, et que la nuit, rien ne m'empêche d'offrir des voyages ! À toi, et à celle que l'orgueil t'empêche de rappeler. Signé : Toi."
Brusquement, j'entendis sur la porte retentir les heurts délicats d'une main familière.

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