Une brève histoire du taon (À la recherche du taon perdu)

petisaintleu

Longtemps je me suis couché de bonne heure, près d'une bouse. J'en étais piqué  à tel point que mon père me taquinait par un : « Le taon t'accule ». Moi, je préférais observer mon tabanidae sous toutes ses facettes.

Un jour, il n'est pas venu. J'étais inquiet car je m'étais pris d'infection pour lui. Le médecin m'avait diagnostiqué des crises d'urticaire à cause du caractère mordant du diptère. Il avait pourtant tout pour être heureux. La prairie accueillait un troupeau de limousines carrossées comme des bêtes de concours, les veines saillantes.

Au-delà du pâturage, on cultivait du blé. On pouvait y entendre une mouche voler. Il faut dire que toute espèce animale y avait été proscrite depuis que les haies avaient été arrachées et que les semelles de labour avaient asphyxié les lombrics. Au printemps s'y était produite une hécatombe d'étourneaux. On avait d'abord pensé à un coronavirus ; les analyses ne donnèrent rien. Il fallut une enquête de la Ligue de Protection des Oiseaux pour suspecter une intoxication liée aux épandages chimiques. Les pouvoirs publics nièrent. On peut les comprendre. Une nappe phréatique stagnait en sous-sol alimentant un bassin pour un demi-million d'habitants. Il avait été jugé préférable de balancer aux orties cette affaire. Les relations avec les agriculteurs n'étaient pas au beau fixe. On se contenterait des discours d'apparat lors de réunions sur le climat où on y jetait de la poudre de perlimpinpin aux yeux de l'opinion.

Je me morfondais tous les après-midis, allongé dans le ray-grass d'Italie. Parfois, très rarement, une abeille bourdonnait près de mon soda pour repartir dépitée. Mon chat  me rejoignit tout chagrin de ne pas m'offrir un campagnol pour preuve de son amour. Cela faisait belle lurette que les rongeurs s'étaient civilisés en optant pour la bombance des poubelles. J'aurais pu aller me rafraîchir dans les eaux du ruisseau qui jouxtait le pâtis. Mais il était à sec depuis trois ans. Quand la chaleur se faisait oppressante, je me réfugiais sous un saule pleurant sa splendeur passée.

La fin de l'été approchait. Il n'est pas réapparu. Je lus dans le regard des bovidés leur agacement d'avoir battu stérilement leur queue dans le vent. Aux vacances de la Toussaint je découvris son corps qui reposait sous un tas de feuilles jaunies. Des émissaires de Thanatos terminaient de lui faire la cuticule.

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