une drôle de vie

gendrele

Je n'ai jamais aimé mes parents. Ils me l'ont bien rendu. Mon père

m'a sorti du vagin de ma mère. Il a coupé le cordon, puis le contact.

Il m'a parlé pour la première fois, j'avais vingt ans. J'étais moche,

gros et dépressif.

Il avait besoin de mon aide sur une aire d’autoroute un soir de

septembre.

Je suis arrivé, j'avais tout préparé. Ca n'a pas duré longtemps.

Il s’était accroupi, ne comprenant rien à sa panne de moteur. Moi,

j'avais tout compris depuis un bon moment.

J'ai pris le cric de la roue de secours et j’ai frappé au bon endroit.

Rapide, précis, travail bien fait. J'avais potassé la notice dans un vieux manuel "Comment assassiner votre voisin”. Je n'ai jamais voulu tuer mes voisins. J'ai flingué le père.

Il n'a pas souffert. J'avais apporté une bouteille d'eau pour pouvoir

me laver les mains. Ne pas me sentir trop sale.

La soirée commençait bien, j'avais enfin une voiture à moi.

La veille, j'avais perdu mon boulot. Mais ce soir-là, j'étais un

homme libre.

Je n'avais plus envie de travailler, mon père était déjà refroidi et j'avais la bagnole. La vie commençait.

Je roulais vers ma liberté, un bon repas s'imposait.

J'avais repris dix kilos les derniers mois. Tout au long du retour,

je ne pensais qu'à l'immense assiette de bulots mayonnaise que

j'allais me goinfrer mais où ? Puis, tout à coup, une superbe tête de

veau sauce gribiche envahissait mes pensées.

Au fil des kilomètres, mon ventre se gonflait de plaisir.

Son portable  avait sonné, deux fois. C'était sa femme, elle nous 

cherchait partout. “Ne t'inquiète pas, maman, demain, on te livrera son corps, c'est déjà çà". Je me disais que j'allais quand même mener une drôle de vie. 

 

Dorénavant, j’entamerais ma cure d’amaigrissement. 

Je ne devais plus ressembler au mauvais fils mais à celui qui allait être le nouvel orphelin du papa qui m’a tant haï et qui n’est plus là.

Heureux, mince, positif. Mon premier vrai défi de cette nouvelle vie. Je respirais de grandes bouffées d’air au bord d’une route sordide où n’importe qui d’autre aurait eu envie de se flinguer, moi, j’étais là,  libre de tout faire maintenant. Ce n’était pas que des mots mais un sentiment si violent de liberté, un désir si fort, enfin c’est toujours comme çà au début, non ? Il suffit juste d’y croire. Maigrir puis séduire et devenir, oui c’est çà devenir quelqu’un. Maman ne me laissera jamais faire. Donc, partir. Oui, c’est çà, partir, loin, très loin, pour perdre tout ce poids. Le poids de « l’avant-vie ». C’est fini Roro, non, plus Roro, on ne m’appelle plus Roro s’il vous plaît, mais le beau et svelte Rodolphe.

En fait, je ne savais pas par où commencer. Ce qui était idiot, c’était de ne pas avoir un seul ami à qui demander conseil. Je n’avais pas d’amis. Je venais de réaliser que je n’avais personne à qui je pouvais confier mon immense désir de maigrir. « Mais mon chéri, qu’est-ce qui te prend de vouloir commencer un régime ? C’est la perte affreuse de papa qui t’a bouleversé » « Non, maman, c’est la liberté » « Arrête de dire des sottises, on va aller au restaurant, aujourd’hui c’est tête de veau, ton plat favori ».

J’ai dit oui, comme d’habitude, puis ai vomi toute la nuit.
J’avais décidé d’adopter la technique des petites mannequines. Bien s’enfoncer les doigts dans la gorge jusqu’au résultant probant. 

Objectif premier, aller acheter une balance. Pourquoi n’y a t’il jamais eu de balance dans cette foutue maison ?

J’ai volé quelques billets dans son sac à main et suis parti à la recherche de la fameuse balance qui serait, c’est décidé, l’objet le plus important de ma vie pour les cinq prochaines semaines, mois, années, enfin faut pas exagérer, perdre quelques kilos ne demande pas tant de temps. Je venais de lire dans un magazine que DeNiro avait pris puis perdu vingt kilos en quelques semaines pour les besoins d’un film. J’étais plus sérieux et plus motivé que ce de Niro. 

Je suis rentré fièrement chez moi avec Ma magnifique balance design. J’avais aussi décidé de faire du sport. Rien que cette idée me faisait sourire. Faire du sport. Fallait vraiment que le nouveau Rodolphe, ait changé. Le simple mot sport me rendait malade à l’école. Ce qui est formidable quand on est obèse c’est qu’on te fout une paix royale. Comme souvent, on est la honte du groupe, à part les sales merdeux du lycée qui vous balancent toujours des surnoms immondes, les autres vous regardent avec des yeux tellement éplorés que tout ce cirque m’arrangeait bien. Le combat est lancé.

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