Une fuite sans fin
sali
Ceci n'est pas un journal intime mais un journal de bord, un carnet de fuite en quelque sorte.
Il arrive un moment dans la vie de chacun où la perpétuelle routine, les inlassables habitudes pèsent et rendent le quotidien fade jusqu'à l'insupportable, c'est étrangement ce qu'il m'arrive.
Paris m'oppresse, ce mélange de foule et d'anxiété vide mon esprit et accapare mon énergie et si ce n'était que cela, si malgré tout ma vie personnelle était remplie, joyeuse et innocente dans ce cas là ce ne serait qu'un bref moment de déprime saisonnière alors que non bien au contraire, je la trouve particulièrement insipide et ce depuis longtemps.
Tout me pousse à partir, l'impression de n'avoir aucune attache, la sensation de perte de contrôle sur sa propre existence, le manque cruel de sens dans chaque acte, mais ne me prenez pas pour ce que je ne suis pas, j'aime la vie, c'est la vie qui ne m'aime pas ces derniers temps voilà tout.
Le voyage est le seul remède, je m'en vais donc vers de nouvelles péripéties, vers de nouvelles histoires à pouvoir raconter au cours de mes vieux jours.
Le train n'est pas encore arrivé, ce dernier quart d'heure interminable où tout semble possible, je pourrais renoncer à ma future liberté là maintenant, tout de suite, mais je n'hésite pas, il n'y a plus rien à garder de mon ancienne vie.
J'attends là sur le quai, les traits fatigués, profitant de ce dernier instant de réflexion possible pour encrasser mes poumons du goudron d'une des nombreuses cigarettes que je fume à longueur de journée.
Il est là, enfin, je m'envole vers l'inconnu, je ne suis en rien anxieuse, au contraire le soulagement m'envahit, j'ai l'impression de prendre une première bouffée d'air frais.
" - Votre billet, mademoiselle, s'il-vous-plait ... deuxième cabine, au fond, à gauche. "
On aurait dit une machine, il semble totalement robotisé, la routine s'est comme emparé de lui, c'est fou comme il me rappelle la vie que je laisse derrière moi, soudainement la morosité s'installe et si c'était une mauvaise idée de partir, si la sécurité des douces habitudes valait mieux que le feu de l'action et des aventures ? Non, le moment n'est pas à l'indécision, je m'installe à coté d'un homme ni beau ni laid banal au possible.
Le volume sonore de mon mp3, au maximum ne m'empêche pas d'entendre ce qui semble être un murmure de mon voisin :
" - Vous n'avez pas de bague, vous n'êtes pas mariée ? " demande-t-il, sans aucune gène le sourire en coin.
Je suis surprise et surtout déstabilisée, cet inconnu touche d'emblée le point sensible, point où ça fait mal, que me veut-il celui là encore ?
" - Quel esprit perspicace ! Cela devrait bientôt arriver.
Je n'ai absolument pas honte de lui mentir, qu'il me fiche la paix, avec sa technique de drague ratée, il vient de me vexer sans le vouloir.
" - Ah c'est bien dommage, et quelque chose aurait pu se passer ? Vous êtes très charmante en tout cas. dit-il "
La conversation se termine sur cette phrase, si j'étais aussi charmante qu'il le prétend pourquoi Lucie serait-elle partie, pour quelles raisons m'aurait-elle abandonné sans aucune explication ? Je l'aimais tellement.
Moi, qui voulais fuir toutes ces pensées, je me retrouve de nouveau hantée par le souvenir de son souvenir. Mon amour propre a été piqué au vif, je me dégoute de penser encore à elle.
Je regarde par la fenêtre, le tableau est magnifique, la couleur, les passants, la nature, l'automne, je photographie tout de mes simples yeux. On dit souvent que les plus beaux voyages ont lieu dans le train, cette phrase sonne étonnement juste.
Le reste du trajet se déroule calmement, plus de nouvelles du voisin maladroit excepté le fait qu'il me fixe sans aucune discrétion de son regard pervers, on arrive à destination : Bordeaux.
Le vent est moins fort ici, l'ambiance semble plus chaleureuse rien que dans les rues, je prend mon pied à terre chez Ben, l'ami de l'amie d'un ami, gérant d'une petite brasserie dans le quartier Saint Michel, je l'ai jamais vu mais il a la réputation d'être toujours serviable et accueillant.
J'arrive devant le restaurant, il est fermé mais Ben m'attend devant, il a les cheveux mi-longs d'un blond étincelant, il est légèrement bronzé malgré le temps, ses yeux bleus rappellent l'océan, à cet instant je ne regrette vraiment pas mon départ.
" - Bienvenue, je suis Ben, j'espère que tu as fait bon voyage, suis moi je vais te montrer ta chambre. dit-il de son joli accent australien
- Enchantée, Roxane ! "
Et voilà, son charisme me subjugue si bien que je ne trouve plus rien à dire, enplus d'être bel homme, il s'avère également bavard ce qui détend l'atmosphère et me met plus à l'aise, il enchaîne :
" - Donc tu viens de Paris, ah la capitale ! J'y ais vécu un temps moi aussi, très belle ville mais tellement étouffante. Tu verras, ici tout est plus simple, les gens sont peace, you know ? Mais tu as l'air fatiguée, nous bavarderons demain, au petit-déjeuner.
Je n'en demandais pas tant,juste à la recherche d'une colocation je me retrouve avec des papillons dans le ventre au moindre mot prononcé par Ben, je suis un vrai coeur d'artichaut je vous jure ... cela dit ma fuite ne pouvait pas mieux commencer. Malheureusement, la discussion s'achève là et je file dans la chambre douillette mise à ma disposition.
Alors que je rejoins lentement le pays des rêves, j'entends Ben parler, il est au téléphone soudainement les paroles se transforment en cris puis le silence. Tout à coup, un hurlement de désespoir est suivi d'une vive cascade de sanglots. Et de nouveau le silence, tout se déroule en quelques minutes si bien que la douce chaleur du confortable lit entretient ma paresse. Je ne bouge pas, on verra ce qu'il se trame demain.
Après cette nuit légèrement agitée, je me réveille assez tard, brosse soigneusement mes boucles brunes, et enfile l'une de mes robes préférées, celle dont le vert et celui de mes yeux se confondent. Je me dirige avec hâte dans la cuisine où j'attends Ben plus d'une heure devant une tasse de café froid. Par la fenêtre, j'aperçois son restaurant, quelques clients passent devant, constatant sa fermeture.
Je m'avance vers la chambre de Ben, je frappe et hue son nom, aucune réponse, aucune trace de Ben, seul le son de sa voix sur sa messagerie.
La porte est fermée à clefs, je prend de l'élan et fonce tête baissée contre la porte qui vibre à peine. Je file chercher une barrette afin de forcer la serrure, visiblement cette technique n'est efficace que dans les films.
J'abandonnes ! Le pauvre Ben sûrement bien portant ne se doute décidemment pas que sa nouvelle colocataire est complètement folle et surtout inquiète pour un rien.
Profitant de cette belle journée ensoleillée, je flâne dans les rues, m'arrêtant Place de la Bourse où je dessine tranquillement l'immense statue en face de moi.
Je rentre à la nuit tombée, et toujours pas de nouvelles de Ben, le mot laissé sur la table est toujours à sa place, je prend le téléphone et appelle un serrurier.
Le gros homme moustachu ouvre la porte et la vision d'horreur juste sous mon nez me glace le sang.
Le corps sans vie de Ben flotte dans l'air, il est là, pendu, tête baissé le visage pâle sans aucune émotion, un glapissement jaillit de ma bouche.
Par mes hurlements, je crache toute la tristesse, la haine, les remords et la peur qui m'envahissent à cet instant. Je m'ecroule à genoux sur le sol, un mélange de spasmes et de larmes me torturent.
Il est mort, j'étais là et je n'ais rien fait, cette culpabilité me ronge terriblement et revivre ce genre de situation me bouleverse, je dois déjà de nouveau changer de ville.
Synopsis :
De nos jours, il existe deux types de jeunes femmes, les premières, la majorité qui ne croit pas en l'amour véritable mais y voit plutôt un assortiment de plusieurs palettes de sentiments passant de la jalousie à l'admiration.
Quant à la minorité, elles voient en l'amour quelque chose de métaphysique, qui surpasse toutes autres émotions, une sorte de religion, Roxane appartient à ce genre de femmes pour qui l'amour est mystique, ce qui la conduit à de nombreuses péripéties.
Dotée d'une certaine intelligence, elle ne prend pas toujours en compte son sens aiguisé de l'intuition, Roxane, hypersensible, souvent malmenée en amour, n'arrive pas à se relever, à oublier les durs paroles et actes d'une certaine Lucie qui ont été la goutte d'eau faisant déborder le vase ce qui la pousse entre autres à fuir.
Elle n'est pourtant pas à plaindre, sa vie est juste parsemée de hauts et bas en somme une personne comme vous et moi, une jeune étudiante que vous pouvez croiser au détour d'une rue, pour qui le quotidien toujours trop routinier pèse énormément sur le moral et qui décide du jour au lendemain de prendre le train pour une destination choisie au hasard.
Ballotée d'histoires plus troublantes les unes que les autres, toutes et toujours centrées à leur manière sur l'évasion de la mort en passant par l'amour et les paradis artificiels, Roxane est parsemée de doutes, elle ne se l'avoue pas en se trompant elle même, mais elle se questionne sur le sens de la fuite. S'agirait-il de simple et franche lacheté ou au contraire de liberté à l'état pur ?