Une histoire Des histoires

fjenny

Une histoire. Des histoires.

La Folie nous guette à Méricourt et la Fontaine au Roi nous abreuve le jour et la nuit sans répit. Jules Ferry est un boulevard. Le plus court de Paris sans doute et le Faubourg du Temple tombe dedans avec Franprix et Mac Donald en proxénète de viandes hâchées jusqu’à 1 heure du matin.

Une histoire. Des histoires.

Je ne conduis plus mon fils à l’école Parmentier, il y va tout seul. À 10 ans on va à l’école tout seul et on traverse le quartier du bas vers le haut sans mollir. À 10 ans l’école est encore l’endroit le plus excitant avec les histoires de copains qui se foutent sur la gueule et les filles qui changent d’amoureux comme de chemise. C’est toujours comme ça les filles ? Non mon fils, c’est parfois bien mieux et parfois bien pire… comme les garçons. Je te dis ça, parce que je ne sais pas quoi te dire d’autre, je ne suis pas sûr d’en savoir plus que toi sur le sujet.

Une histoire. Des histoires.

La brasserie du carrefour, de Bonne Bière s’est changée en Phare du Canal pour se rapprocher du canal St Martin, mais Amélie Poulain n’y jette plus son poisson rouge depuis longtemps. Elle montre son visage en rouge à lèvres Chanel sur les affiches des arrêts de bus, c’est tout. Le marchand de journaux à l’accent brésilien a vendu sa place à des chinois. Plus de journaux, rien que des débardeurs qui sentent encore la sueur des ateliers à l’autre bout de la terre. Peut-être à Shanghaï chez Madame Wang qui dans Libération raconte qu’en Chine, on peut virer qui on veut, quand on veut, et que c’est très bien comme ça. Elle devrait venir ici, dans mon quartier, et voir comment des mères de familles chinoises arpentent deux par deux les trottoirs avec leurs parapluies téléscopiques qui se balancent au bout des doigts comme jadis la matraque blanche des îlotiers de la police nationale. Mais Madame Wang ne sait peut-être pas que ces femmes dorment à 10 dans des studios sordides entre les passes à 20 euros avec des hommes originaires du nord de l’Afrique qui baissent les yeux après avoir obtenu la grâce d’un soulagement rapide.

Une histoire. Des histoires.

Le Phare du Canal est condamné à une fermeture administrative de 30 jours. « Merci à Vincent, Jean-Michel et Jérémy… » C’est le patron qui a écrit ça sur la porte « … grâce à leur comportement nous sommes fermés ! ». La police avait fait une descente à 9h15 en plein service, en plein matin, pour serrer trois serveurs qui, selon la rumeur, faisaient du deal de substances interdites. Le quartier bruisse toute la matinée contre la police qui saigne les petits patrons, contre les crétins de serveurs qui auraient pu être discrets au moins, contre les deals en tout genre, contre le temps qui est pourri et contre tout ça qui nous met dans la merde. Les histoires de quartier sont bien plus puissantes que la crise dont on nous rebat les oreilles.

Une histoire, des histoires.

J’ai remarqué que la vieille qui stationne devant le Franprix et qui depuis des années lancent à tous les passants le matin « Bonne journée » et le soir « Bonne soirée » avec un accent qui m’a bien l’air de chanter la Serbie ou la Croatie, j’ai remarqué qu’elle s’était rapetissée au fil des années. Rapetissée et fripée. Je réponds toujours merci à ces « Bonne journée » et « Bonne soirée » pleins de rrrr de l’ex-Yougoslavie. À moins qu’elle ne vienne d’ailleurs. Je ne lui ai jamais demandé.

Une histoire des histoires

Azziz le fleuriste me parle de ses enfants. Sa fille aînée qui a 16 ans et dont la beauté transpire le mystère vient d’avoir un 20 en dissertation avec les félicitations de son professeur. Azziz est heureux et fier. Sa fille veut devenir photographe. Ça aussi ça le rend fier. Lui qui a quitté l’Algérie en 1989 pour fuir le climat intégriste et qui de déménageur est devenu fleuriste avec talent. Il connaît tout le monde et tout le monde le connaît. Lui l’aîné et son frère, et sa sœur, et son plus jeune frère, toute la fratrie vient se construire un avenir à l’abri de l’aîné qui assume son rôle avec conscience mais parfois aussi avec lassitude. Tout comme Malika la Marocaine qui travaille avec une énergie passionnée à faire prospérer son petit restaurant de pâtes et pizza. Elle aussi est embringuée dans les histoires de famille avec sa mère qui l’aide à la cuisine et son jeune frère qu’elle a été obligée d’embaucher sous la pression maternelle. Malika rêve de partir loin pour ne plus subir la tyrannie familiale. Elle n’a pas le caractère d’une victime. Elle a embauché Bappi, un bengali qui a fui son pays pour des raisons politiques et religieuses. Il a fallu qu’il monte un dossier pour obtenir un permis de séjour en France. Malika l’a beaucoup aidé. Il parle français avec hésitation mais fait preuve d’une constance dans la gentillesse et dans sa volonté de s’en sortir. Il parle bien mieux l’anglais et c’est dans cette langue que nous bavardons. Il m’a appelé hier soir pour m’annoncer que son dossier avait été accueilli favorablement. « I’m so lucky and so happy » qu’il répétait sans cesse. Ce matin, il a apporté des gâteaux aux proches du quartier pour fêter ça. Tout le monde est content pour lui. On a juste envie de le serrer dans nos bras, mais personne n’ose vraiment le faire tant il fait preuve de pudeur derrière son sourire lumineux.

Une histoire. Des histoires.

Depuis ma fenêtre les jambes des femmes cisaillent l’air en cadence. Elles viennent de passer devant la vitrine de l’agence de voyage qui vous promet l’expédition à la Réunion pour pas cher tout compris et devant la boutique de vodka russe tenue par un ancien de l’armée rouge à ce qui se murmure. Ce n’est pas lui qui dira quoique ce soit, il ne parle avec personne du quartier.

Pascal, le cuisinier du restaurant en dessous de chez moi, revient de chez Western Union où il a envoyé la moitié de sa paie à sa famille en Haïti. Il pleut là-bas, me dit-il, et c’est une bataille incessante pour attraper un sac de riz humanitaire.

Une histoire. Des histoires.

Et Paris qui bat la mesure, Paris qui mesure notre émoi chantait Brel…

  • Je passe tous les jours devant cette vieille dame généreuse en bonjour... Bien seule devant un défilé de bonhommes pressés aux visages durs.

    Une belle tranche de canal !

    · Il y a presque 14 ans ·
    Benhoguet blue

    benhoguet

  • c'est pas si pire tes comparaisons sont biens , essais que la fluidité soit moin redondante au début mais cest ok

    · Il y a presque 14 ans ·
    Chtulu orig

    marcoux666

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