UNE JOURNÉE FANTASTIQUE

franck75

       Une journée fantastique

J'en suis sûr maintenant: ma journée d'hier restera gravée à jamais dans mon souvenir.

Tout a commencé dès le matin. Il devait être un peu plus de huit heures quand soudain, une sonnerie: c'était le réveil. Je me lève et me dirige machinalement vers la douche. Je tire le rideau, j'ouvre le robinet et à ma grande surprise, l'eau jaillit. Il y avait en effet des risques de coupure du fait de travaux dans l'immeuble, et je n'étais pas du tout certain de pouvoir me doucher.

Rassuré, je procède à mes ablutions puis je déjeune, je m'habille, et à neuf heures, sans avoir eu besoin le moins du monde de me presser, je quitte l'appartement. Dehors il fait soleil, encore un peu frais pour la saison certes, mais ça n'est que le début de la journée et je veux croire qu'il fera plus chaud d’ici quelques heures. La météo d'ailleurs l'a assuré à la radio et rien, à cet instant précis, ne permet de mettre sa parole en doute ; sans déflorer la suite de mon récit, je peux même certifier qu'elle avait vu juste. Cette journée fut une vraie journée de printemps.

L'humeur légère et le pas décidé, je me rends donc à mon bureau distant de quelques centaines de mètres. Les trottoirs se noircissent de monde et la circulation sur la chaussée est déjà très dense. Parvenu à un carrefour, je dois bientôt stopper. Le feu est vert pour les voitures, c'est-à-dire rouge pour les passants. La foule immobile s'impatiente. Je me souviens qu’à ma montre, il était neuf heures sept. Soudain, de vert qu'il était le feu passe brusquement au rouge; en un instant, la foule traverse la rue et change de trottoir.

La scène n'aura duré en tout que quelques secondes.

En arrivant au bureau, la secrétaire du directeur m'informe que celui-ci désire me voir à 14 heures pour quelque chose d'important. De quoi peut-il s'agir ? d'une augmentation ? d'un changement de service ou d'autre chose encore ? Cette question me taraude durant toute la matinée ; pourtant au fond de moi je sais pertinemment que je devrai attendre quatorze heures pour en savoir plus.

A treize heures, en entendant mes collègues se lever, je comprends tout de suite que l'heure du déjeuner est arrivée. Disposant de soixante minutes avant la reprise du service, ma décision est vite prise : je vais aller manger un sandwich à la terrasse d'un café. Avec le soleil, ce sera sûrement agréable.

Sans hésiter je m'installe à la terrasse du Père Tranquille à deux pas du bureau, ce qui est bien pratique, et je commande un sandwich au pâté avec un demi-pression. Je déploie mon journal acquis quelques minutes plus tôt avec la ferme intention de le lire, lorsque sans crier gare, une fille superbe vient s'asseoir à la table à côté. Enfin, une fille normale, pas très jolie même, mais en tout cas seule.

L'air de rien, elle se met à l'aise, allume une cigarette, commande une menthe à l'eau et promène lentement son regard autour d'elle. A ce stade, je devine qu'elle m'a remarqué mais curieusement elle n'en fait rien paraître. Est-ce de la timidité ? est-ce un jeu? Je l'ignore. Le fait est qu'elle prend bien soin de ne pas croiser mon regard ni d'esquisser un geste qui trahirait ses intentions.

Je ne suis bien sûr pas dupe de son manège et après une courte réflexion, je décide moi aussi de feindre l’indifférence en me plongeant dans mon journal. Cela dure quelques vingt bonnes minutes. Peu à peu, elle me paraît perdre de sa belle assurance et je crois déceler chez elle un brin de fébrilité. Puis tout s'accélère : en un instant la fille se lève, paie sa consommation et s'en va.

Je me suis dit alors qu'avec un peu de chance, je la reverrais peut-être un jour.

Avec tout ça il était déjà treize heures quarante-cinq, c'est-à-dire plus que temps que je retourne au bureau car l'un de mes grands principes est de jamais laisser ma vie sentimentale empiéter sur mon travail. Et puis un rendez-vous important m'attendait avec le directeur.

A peine arrivé dans le service, le téléphone s'est mis à sonner : c'était la secrétaire du patron qui m'annonçait que le rendez-vous était annulé. Contre toute attente, l'après-midi s'est donc déroulée normalement. J'ai seulement noté qu'il n'y avait ni plus ni moins de travail que d'habitude.

A dix-huit heures, j'ai quitté mon poste et je suis rentré directement chez moi sans faire de détour par l'épicerie, car je ne passe à l'épicerie que le vendredi soir et hier nous étions mardi.

C'est justement alors que j'étais sur le chemin du retour que m'est venue cette curieuse impression d'être suivi. A plusieurs reprises, je me suis même retourné pour en avoir le coeur net et bientôt, j'en ai eu l’intime conviction : je m’étais trompé.

Je suis donc arrivé chez moi à dix-huit heures trente. J'ai mangé une tranche de jambon avec un reste de purée puis j'ai regardé la télévision jusqu'à vingt trois heures trente. Après quoi, je me suis mis au lit en repensant aux événements de la journée.

Que la vie est palpitante ! me suis-je alors dit en fermant les yeux, mais quel dommage quand même que les journées n'aient que vingt quatre heures !

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