Une partie à trois ?

mistermaster

Instants vrais et autres divagations

Le concert venait de se terminer et, du bar où j'avais servi une partie de la soirée, j'observais le reflux des spectateurs vers les portes de sortie. Même si la salle n'était pas pleine, les gens étaient venus se détendre à peu de frais, l'ambiance avait été chaleureuse, et ce coup-ci, pas de conversation de pochtrons à supporter.

J'étais là à me dire - courage, c'est pas fini, 'faut encore passer la serpillière… quand j'ai vu ces deux filles discuter à deux pas de la porte. Elles se tenaient par la main, et continuaient d'échanger tout en lançant régulièrement des regards dans ma direction. Puis elles sont venues à moi comme on décide de se jeter dans le vide.

Leur démarche était gauche et au fur et à mesure qu'elles avançaient, je distinguais mieux leurs traits et leurs attraits. Pour les deux, de grands yeux bleu-pale, un joli sourire, une épaisse chevelure blonde et pas mal de rondeurs.

Je m'interrogeai sur ce qu'elles allaient bien pouvoir demander, au bar, on n'offrait plus que du café aux plus imbibés pour s'assurer qu'ils rentrent chez eux en meilleure forme.

Souvent certains fans voulaient rejoindre les artistes dans les loges pour une photo ou un autographe, mais certaines femmes, elles, n'hésitaient pas à demander le nom de l'hôtel où étaient descendus les musicos pour leur signifier physiquement à quel point elles avaient apprécié leur prestation scénique. Mais ces deux-là… qu'est-ce qu'elles voulaient ?

- C'était sympa ce concert…

La plus grande qui venait de m'aborder me fixait, tout sourire. J'acquiesçai, me penchant sur le comptoir. L'autre fille avait un visage plus ingrat mais son jean moulant offrait des perspectives très alléchantes. Après un regard complice entre elles, la première reprit sans me lâcher des yeux :

- Et sinon, vous faites partie de l'association qui organise les concerts ?…

Cette fois, la conversation prenait une tournure toute personnelle et, en un éclair, j'entendais déjà les questions suivantes : Vous finissez à quelle heure ? Vous faites quoi après ? Ça vous dirait de poursuivre cette soirée avec nous ?… J'imaginais nos corps enlacés dans une valse lente, les lumières tamisées d'une chambre parfumée, nos mains aventureuses sous nos souffles chauds et humides...

La vie m'avait appris à mes dépens qu'il fallait oser si on ne voulait pas voir s'échapper ce qui pourrait constituer ne serait-ce que quelques instants de bonheur. C'est une question de timing. Après l'heure, ce n'est plus l'heure, disait mon grand-père.

On croit toujours que ces trucs n'arrivent qu'aux autres, mais cette fois – YES ! - c'était pour moi. Mon cœur tremblait, mes yeux transpiraient, mes genoux faiblissaient … J'étais sur le point de me pincer pour vérifier que je ne rêvais pas quand la grande enchaîna, très vite interrompue par une petite voix :

- Et … vous faites qu…

- Coucou papa ! T'as bientôt fini ?…

S'agrippant de ses petits doigts au comptoir, ma fille n'intervenait pas au meilleur moment.

- Oh... mon cœur ! Vous n'êtes pas encore parties ? File vite voir maman et dis-lui qu'il faut encore tout nettoyer, je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer…


Quand j'ai relevé la tête, les deux nanas avaient déjà pris le large, me saluant amicalement. Bye Bye, donc. Et merci pour le souvenir. Ce fut la partie à trois la plus courte de l'histoire !

Si je me souviens bien, j'ai fini de nettoyer le bar avec mes larmes.


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