Une révélation à Santa Fé

Mathilde Thomas

Perdue au milieu de la foule dans le grand hall de Roissy, je souriais à ma mère, promettant pour la dernière fois de faire attention à moi. À 18 ans, le bac à peine en poche, je partais explorer l'Amérique, bien décidée à m'émanciper une bonne fois pour toutes. J'embrassais ma famille et me hâtais vers la porte d'embarquement tentant d'ignorer leurs regards pleins de tristesse. Un mois, après tout, ce n'était pas si long, nous nous reverrions bien assez tôt et j'en avais besoin tant j'étais hésitante concernant mon futur. Toute trace de culpabilité chassée de mon esprit, je montais dans l'avion, le cœur léger, convaincue que ce voyage m'aiderait à y voir plus clair.

Ma première destination était Santa Fé, j'avais choisi cette ville à cause de la chanson du même nom, celle du groupe « Beirut ». Après un voyage qui me parut durer une éternité tant j'étais impatiente, l'avion atterrit à Albuquerque. Je devais rejoindre mon hôte devant l'aéroport et mon ventre se serra d'appréhension alors que je récupérais rapidement ma valise.

Je le reconnus immédiatement, il était grand, mince, le visage carré surmonté d'une touffe de cheveux grisonnants lui donnant l'air d'un savant fou et se tenait légèrement voûté comme si la route à venir le fatiguait d'avance. Il s'avança vers moi d'un pas mal assuré et m'indiqua d'un geste amical une vieille voiture garée à quelques mètres.

Dans la voiture, il commentait sans cesse les endroits que nous traversions, me suggérant randonnées tout en me contant l'histoire des monuments que nous croisions. Je l'écoutais, bercée par le mouvement de la route et envoûtée par le paysage qui s'étendait devant nous. Nous roulions dans les grandes étendues désertiques, parfois meublées d'immenses rochers rouges. Nous dépassâmes une rivière tarie et je fus émue en voyant le minuscule filet d'eau qui subsistait malgré la sécheresse au fond du ravin, creusé par ce qui était autre fois un fleuve abondant.

Après une heure de route, nous arrivâmes devant l'immense maison. Je savais que je séjournais cette semaine dans la plus belle demeure de la région, mais je ne pus retenir une exclamation en voyant se dresser devant moi l'impressionnant dôme blanc qui servait de toit à ce château presque indien au milieu du désert. Mon hôte surprit mon expression et m'invita à entrer. Les yeux écarquillés j'observais tantôt les tapis qui ornaient sols et murs tantôt les canapés orientaux que l'on trouvait dans tous les coins. Nous passâmes dans la cuisine où la mosaïque de petits carreaux vernissés qui recouvrait la table me rappela celles des vieux harems d'Istanbul tant le travail était minutieux. Mes yeux étaient avides face à ce monde nouveau où l'influence indienne trouvait sa place entre les fameux piments du sud des Etats-Unis qui pendaient devant la porte et les murs en terre cuite comme rougis par le soleil qui caractérisent l'architecture latine. Il me semblait que cette maison et son propriétaire, un homme lettré, attaché à ses terres, étaient à eux seuls l'image du « melting pot » dont on vante les mérites aux quatre coins du monde et dont seuls les américains ont la clé.

Je m'attardais sur chaque détail, et malgré la fatigue du voyage, j'appréciais la compagnie discrète de Frank. Il me conta avoir fait l'acquisition de cette maison après des années de travail dans la finance, lessivé par Manhattan, il s'était retiré dans ce qu'il appelait son «havre de paix. Il ne savait rien de l'histoire de la demeure qu'il avait achetée telle quelle mais une vieille légende dirait qu'elle aurait appartenu à une magnifique princesse venue des Indes des siècles auparavant. Cette histoire me plu, j'imaginais la princesse arrivant dans cet immense palais construit en son honneur.

Lorsque j'atteignis ma chambre, il déposa ma valise au pied de mon lit et se retira, m'invitant à le rejoindre pour le dîner dès que je serais prête. Après une longue douche, je traversais le long couloir auquel la lumière tamisée donnait un air de passage secret, pour me rendre à la salle à manger. Je pris place à l'immense table et une douzaine de visages souriants se tournèrent vers moi. Il y avait là des Italiens, des Danois, des Japonais, tous logeaient ici et une fois encore, le mariage de toutes ces cultures me frappa. Le repas fut agréable et enjoué. Mes voisins, un couple d'Italiens voyageant dans le sud des États-Unis, me promirent de me faire visiter la ville dès le lendemain. Je savourais la nourriture finement épicée autant que le moment en lui-même.

Le dîner achevé, je regagnais ma chambre et dans la fraîcheur de la nuit, je sortis mon carnet de voyage et me mis à conter l'histoire d'une sublime princesse quittant l'Orient pour arriver dans une magnifique maison aux alentours de Santa Fe. Tout cela m'était très naturel. C'était ça, peut être, la naissance d'une vocation… Des années après, devenue romancière, je ne manque jamais d'envoyer une copie de mes livres à cet hôte qui a changé ma vie.

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