Une si jolie planète

bech

Pour XXX, comme promis, pardon à elle si je suis fou,

Mais oui, les coups et les douleurs, ça se discute.

  

L’écriture m’est une tâche, à moi qui ne sent plus rien. Une tache si sale que quand je frotte Paris, je brûle mes mouchoirs secs de solitude et rince les paupières enchâssées de l’amour. Pleine de néons sombres en dedans, ruisselante de yeux translucides en dehors, Paris est une femme, une calligraphie… Une ville belle comme un mensonge qu’il faut lire, aimer et quitter dans un même souffle.

Mais non. Rien. Ce soir, je n’ai pas d’inspiration.

Je peux toujours écrire, noircir des pages, dactylographier les sentiments qui me perlent aux yeux et structurer la sueur de mon cœur. Mais ce n’est pas ça l’inspiration. L’inspiration, c’est cette bouffée d’air prise au monde et transformée en un souffle tiède par ce chauffage sanguin que l’on a dans le ventre. C’est comme un jet de vapeur qui nous soulage la tête et qui nous passe par les doigts. C’est une métamorphose réussie, une révélation à la face du monde, c’est quelque chose de caché et qui éclate comme une bombe à bulles, quelque chose d’unique comme une lecture, comme un tramway circulant sur les rails de l’universalisme jusqu’à un terminus unique, palpable, jouissif, propre à la contemplation. Une métamorphose qui très vite n’est déjà plus une métamorphose, mais qui emprunte tant d’aspects à la genèse originale qu’elle devient publiquement une création ex nihilo, parce que d’aucuns soutirent la sève d’une plante inconnue, rare ou méprisée, parce que d’autres possèdent cet art, ce savoir-faire sublime de saigner avec grâce et distinction les arbres les plus vulgaires.

Voilà, je me suis expliqué.

Ce soir je suis dans une plaine aride de fin de soirée, les dernières effluves d’alcool de cette foutue soirée sont loin, je n’éprouve pas de joie ni de terreur particulière, et rien ne m’absorbe autant que mon lit. Rien ne chauffe en dedans, rien ne circule, rien ne se transforme, point de colombe, point de magie, point de paix, point de salut. Je ne suis rien d’autre qu’un marais salant, mes vagues ne sont jamais très hautes, mon niveau est souvent bas, et mon eau est visqueuse. Je sens des algues se promener dans les tirants du fond comme le long d’une valse lente, répétitive et langoureuse, caressées par le sable de mes artères, comme si tout mon corps s’accouplait tout seul, dans l’obscurité, en un ensemble disharmonieux et vaguement ennuyeux. Ce sont ces maudits bas-fonds, cette maudite valse, cette maudite opacité qui me font écrire, me font noircir des pages, dactylographier de vagues sentiments qui ne me montent plus aux paupières depuis longtemps, qui m’obligent à structurer la sueur que je récupère goutte à goutte, jour à jour, aux quatre coins de mon cœur, comme s’il me fallait presser un gigantesque cosmos pour récupérer un peu de concentré d’étoiles. Ce n’est même pas douloureux, c’est obligatoire. Je demande pardon à celle qui n’est pas moi et qui s’abreuve de cette potion indigeste. Mais j’écris comme je vomis. Ce n’est pas sacré, c’est biologique. Et puis parce que je suis dans un état d’attente et de latence qui dure. Celui qui me sépare d’une promesse que je me suis faite quand je ne savais pas encore écrire, quand je ne savais pas encore où mon cœur battait, quand j’étais encore plein d’imagination, quand je me nourrissais encore du monde, de sa sève et de ses fruits… Une promesse parmi tant d’autres mais sans doute la plus grande gageure de toute ma vie, celle d’être heureux.

Avec ou sans histoire pour toi. Avec ou sans inspiration pour toi. Avec ou sans toi.

Je parlais tantôt de jeux de mots et m’apprêtais à demander à la pièce orange si elle les trouvait amusants… Non, je ne parlais même pas, il n’y avait que des morceaux de mots sur le papier, trois ou quatre, pas plus, ébauchant déjà la forme inélégante d’une question, jetés sur le clavier comme une vulgaire gamme, ne se prenant pas même la peine de passer par mon cou bancal et ma tête lourde, refusant ces routes étroites et engorgées par la glaire d’un sang vicié, sans vitamine, sans but, tournant sur lui-même depuis une origine inconnue, autour d’une origine émoussée, vers une origine certaine et mortelle. L’origine, l’origine, toujours l’origine… Comme si toutes les questions n’avaient pour dessein que de trouver ce qui se cache derrière ce mot, l’origine, multipliant des efforts vains de recherche dans l’enquête et le langage, la forme et le fond, comme s’il fallait encore les séparer comme on sépare deux ennemis dans le berceau, comme on coupe la fleur du chardon, parce que cette fleur donnera d’autres chardons, parce que le berceau partira en mer ou en flammes, parce qu’il n’est rien de plus bleu qu’une fleur de chardon, parce qu’il n’est rien de plus beau qu’un berceau.

Mais de quel droit bon sang… De quel droit me faut-il user de ces mots, de ces lettres, de ces sons… Si je ne repasse que des gammes, si je ne pense pas, pourquoi m’approprie-je ce que d’autres se battent pour faire reconnaître ? Ce droit à la question, ce droit de connaître son origine et de la faire reconnaître, ce droit à la naissance, ce droit à la fleur, ce droit à la brûlure de l’aiguille dans le cœur, ce droit à la liberté des champs pour profiter de l’étroitesse des villes à pleines gorgées azotées, ce droit enfin à la beauté, à la candeur, à l’innocence, à tout ce qui rassemble, mobilise, émeut, révolte et conquit.

Moi j’écris comme ça, vulgairement, bêtement, méchamment, pour détruire la terre avec et sans majuscule et construire des mondes, me moquer des hommes et aimer les femmes, tirer sur la vérité et prôner le conte, cracher sur les étoiles et bénir les rivières, brûler la chair, crever les cœurs et serrer des mains, pendre les dernières princesses, noyer les premières fées et rétablir la lumière de l’ombre, l’ombre de la lumière et sa douleur indicible. Une gamme après l’autre, on escalade des milliers de pianos, on gravit des millions de touches, on brise des milliards de notes, et on ne se souvient pas d’un seul accord. Jamais on ne déteste, on n’aime plus, on se souvient, on ne languit rien et on ne regrette que quand la vie nous dit merde. Je suis fatigué, je ne fais rien pour aller mieux et cela me fatigue encore davantage. Je est on et je suis un con. Le monde est ainsi et je suis comme ça, lui élégant et tellement grand, moi crochu et microscopique. Lui méprisé, et moi méprisant.

On ne se bat plus que contre les choses qui nous entourent et les individus qui nous doublent, mais on ne se bat plus contre les choses qui nous doublent et les individus qui nous entourent. La philosophie va à la poubelle, la religion à la poubelle, l’homme à la poubelle, moi au feu et ce que j’écris aux chiottes. Je trouve plus de réponses qu’il n’existe de questions, je ne trouve que des phrases bêtes, et j’oublie de chercher la question intelligente. Je peux partir d’ici sur le canapé, oublier de me coucher, casser la tête à Pinocchio, baiser Barbie, avoir mon bac des milliers de fois, échouer une fois, boire une fois, vomir des millions de fois, tirer une fois et me tuer des millions de fois. Tout va trop vite, même la route, et  moi j’ai tout raté.

Tout. Le début. La fin. L’écriture. La relecture. L’intelligence et la haine. La musique. Le talent. L’amour. Tout.

Le meilleur moyen d’oublier est de se faire oublier. Une nouvelle terre, un autre air, de l’eau entre eux et moi, oui de l’eau, beaucoup d’eau. Un mur de pluie sur un socle de mer, avec de l’opacité plein les nuages et de la vapeur plein les mirages. Comme si je devais rejoindre un endroit que d’autres pourraient tout juste voir, mais jamais atteindre sans se perdre à jamais, le corps moite, les yeux salés, et la bouche irrémédiablement sèche.

Le meilleur moyen d’oublier est de s’exiler, sans aucune idée du futur qui pourrait se cacher au détour du torrent, qu’importe le roc, qu’importe l’écueil, qu’importe la branche, qu’importe la chute. Parce qu’il est tellement difficile de ne pas parler d’avenir quand le présent ne porte plus. Comme si le fait de parler de quelque chose qui ne peut plus se produire n’engageait à rien, et que par maladresse un mot résonne trop fort, trompe la vérité, se joue d’elle, devienne elle, et que l’imprévisible au départ arrive sous la forme d’une inénarrable histoire, une histoire pourtant si vraie que personne ne la pourrait croire à moins de me voir disparaître à jamais. Et le mot qui résonnait si fort par le passé, comme une gabegie en forme de blague, comme une blague en forme de tambour, comme un tambour en forme de rire, comme un rire en forme de pleurs, ce mot de misère que chacun était heureux et presque soulagé de tourner en ridicule, de commencer à répandre cet indicible malaise perpétué par pire que la mort : la perte de la mémoire, la perte de la vie, l’oubli et toute sa recherche posthume signée par la main de l’exil.

Le meilleur moyen de s’exiler est d’arrêter de parler et de prendre le premier train sans crier gare, comme si déjà le fait d’être arrivé sur le quai devait suffire pour dire adieu à tous ceux que je regretterais. Mais en est-il seulement ? Qui vaudrait que je reste à me scier la tête, à me pétrir le cerveau de la main droite, débusquant un passé heureux derrière une vitrine pleureuse, et lui de rire dans son cockpit de métal brûlant et de buée froide, oui, de rire de façon ignominieuse, se mêlant avec les grâces de l’absurdité et de l’horreur avec mon imagination douloureuse. Et le sens du réel de se mêler à la danse, en me chuchotant encore et encore que non, décidemment, je suis encore bien loin de la vérité, que décidément, je ne l’accepterais jamais, et qu’il n’est de film que quand passe dessus un générique de fin. Moi, je l’ai eu mon générique de fin. Je le sais bien, je me le repasse en boucle. Je le connais par cœur. J’ai essayé de le retourner avec les armes, sans les armes, avec les larmes, sans les larmes, avec des adieux en forme d’oiseaux, avec des fleurs, avec de l’amour, avec des insultes, avec du venin, avec des coups de couteau en guise de préliminaires à mon cannibalisme primitif. Pour tuer et faire disparaître. Pour que rien ne paraisse plus de cette putain de planète pour me rappeler que ne serait-ce qu’une de ces secondes a été réelle et qu’elle m’a fait souffrir plus que de raison.

Le meilleur moyen de prendre le premier train est de sombrer dans l’absurde et se répandre dans la folie. Je rêve de meurtres, de blessures aussi profondes que des gouffres, de giclées de sang comme des vagues de sève dans le fond d’un évier quand on dépèce un jeune cèdre encore poisseux. Je rêve de pouvoir massacrer la vie à son origine, pour que plus jamais elle ne montre son visage de traînée, pour que peu à peu tous autant que nous sommes nous pourrissions, nous disparaissions, seuls, sans futur et sans âme, sans raison ni religion, sans personne pour nous sauver, même virtuellement. Des enfants sans songe, des parents sans avenir pour leurs enfants, des enfants qui ne deviendront jamais parents, des parents qui cesseront d’être parents de toute façon.

Au départ, il était question d’oubli, d’exil, de folie. Peut-être parce que le monde dans lequel je vis est un monde d’oubli, d’exil, de folie, c’est lui qui m’inspire et c’est lui qui m’aspire. Moi je le ferai expirer, et je verrai tout cela de très loin, de mon oubli retranché, de mon exil inexpugnable, de ma folie forteresse. Au départ, je ne voulais que fuir. Mais on ne fuit pas le monde, on vit dedans. Alors on l’accepte, ou on le tue. Et ce faisant, on se tue, parce qu’en oubliant le monde, on s’oublie aussi.

La fuite des ombres éclaire le long fil d’Ariane, et avec lui retourne à l’origine, à la liberté, à ma naissance, quand tout était encore possible, que rien encore n’avait commencé, que je ne la voulais pas encore morte cette garce, elle, si petite, si grande, si loin, si proche, omniprésente mais jamais là, insignifiant grain de sable dans le cosmos, imposante comme une planète, une planète pure comme la notre, avec des continents rouges dessus, et un sourire narquois en forme d’éclipse vue depuis la Lune. La Lune… Ma folie. Mon seul exil. Mon seul oubli possible.

Oui, pour l’oublier, oubliez-moi, et donnez moi la Lune.

Je suis infiniment désolé XXX, une aussi jolie princesse ne devrait pas être rincée par l’écume noire d’autant de tourments. Ma soirée fut affreuse. Un grand vide trop vide et pas assez grand pour remplir ne serait-ce qu’une case de calendrier. Moi j’aurais voulu y écrire des pages de poèmes, des livrées de fleurs, des bouquets de rayons et des parfums de lune. Pour rendre hommage à ce merveilleux sourire que j’ai vu osciller entre les battants du frigo et ceux de la fenêtre. Pour rendre justice à ce regard entre ciel et mer parfois pris dans la vapeur de ta cigarette. Parce que moi aussi j’ai aimé faire ta connaissance. Que de phrases courtes. Sujet, verbe, complément, ce n’est pas difficile, mais je suis à bout de force. Dommage. Un jour, si tu veux, je t’écrirai une histoire d’enfants qui deviennent adultes, avec des enfants qui se rencontrent dans une station de métro, elle dans son wagon, et lui sur son quai. La station est belle, le métro est souriant, les deux enfants se font des signes, et elle compose dans son haleine chaude et humide contre la vitre froide un cœur du bout de son index rose. Puis le métro soudain devient gris, il tremble, il ronfle, il part, et déchire les derniers mots silencieux des enfants. Plus tard, c’est lui qui est dans le métro. Le métro est resté gris, l’enfant rose est devenu un adulte gris, il est seul et contemple le quai noir dans la grisaille jaune des néons. Et puis il la voit passer. Adulte, belle, blanche, reine, elle passe. Il la reconnaît et veut lui faire signe, mais jamais elle ne détourne la tête. Toute sa vie, à elle, sera dans son regard en forme d’escaliers venant mourir sur le quai. Toute sa vie, à lui, restera en équilibre sur son profil, à elle, furtif mais distinct. Le métro gris quitte son port de fortune, et lui debout contre la porte, voit le cœur dessiné par elle des années plus tôt réapparaître quelques secondes juste devant sa poitrine, avant de disparaître peu à peu, saigné par le ruissellement chaud de l’atmosphère, tandis que le tunnel vertigineux le dévore avec son navire et son souvenir, dans un cri de métal assourdissant.

Oui, j’aurais dû t’écrire quelque chose dans ce genre. Mais l’inspiration… Voilà, la boucle est bouclée. Je m’arrête. J’ai encore deux petites heures de sommeil que je vais tâcher de ne pas manquer. Maudite soirée.

En attendant de mieux te connaître et de pouvoir écrire sur toi, juge-moi.

Je suis attentif aux sentiments d’une nouvelle et si jolie planète.

  

Je t’embrasse,

  

bech

  • Oui, en fait pourquoi je me permet un conseil, faut écrire comme on sent, et il vaut mieux qu'il y en ait trop que pas assez. Clément a raison, on écrit pour soi, à partir du moment ou on écrit pour les autres, c'est foutu!

    · Il y a presque 13 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

  • Je ne suis pas d'accord!
    On n'écrit que pour soi. Et s'il arrive parfois que l'on réchauffe le coeur des hommes, c'est parce qu'on a brûlé le sien sans aucun calcul autre que celui de libérer son âme de l'influence de ce morceau de viande qui donne le tempo, qui bat la mesure de la petite musique qui nous rapproche de la mort. C'est cette sorte de sacrifice, d'immolation, qui nous fait aimer les poètes.
    Et puis, il n'y a pas d'embrouille, c'est dit dès le début: "j’écris comme je vomis. Ce n’est pas sacré, c’est biologique"
    Moi j'aime bien ton vomis, Bech! Et j'en profite pour te dire ceci: Tu ne penseras jamais mieux aux autres que nous sommes qu'en écrivant pour toi-même... Qu'en t'écrivant!

    · Il y a environ 13 ans ·
    Un inconnu v%c3%aatu de noir qui me ressemblait comme un fr%c3%a8re

    Frédéric Clément

  • Tu touches juste. J'ai pris la sale habitude d'ecrire pour moi-meme.
    Pour mieux respirer, pour moins rêver.
    Sans jamais penser à l'autre.
    Résultat: c'est assommant quand ce n'est pas incompréhensible.

    · Il y a environ 13 ans ·
    Default user

    bech

  • Tu as une belle écriture, j'ai pas été jusqu'au bout du texte parce que euh, c'est trop dense, tu vois c'que j'veux dire....Trop riche quoi. Ya des romanciers connus y mettent même pas dans trois cent pages ce que tu as mis là (je citerai pas de noms!). Continue, t'as du potentiel, mais élague (si je peux me permettre un modeste conseil).Les gens aiment le simple tu vois, le simple, ils sont simples, ils ont déja assez à faire avec leurs propres vies...

    · Il y a environ 13 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

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