Une vie à peine

gordon-prach

         Guillemette Espère - ça m’est revenu, la vacataire… Seconde année de DEUG d’anglais.

   Fille gentille. Un brin pathétique. Physique définitivement hors de rapport avec l’attente minimale du dernier choix de mâle… Jupe écossaise, chaussettes pur coton ! (Je dis rien de l’accent qui poussait plein vent côté Soubirrrrrous.)

   Du pain, de l’amour et de la lumière pour border notre séjour sur terre, même ça, Dieu le chipote à ses créations…

   Alors que, saisie de frénésie sexuelle,  la majeure partie d’une folle jeunesse prenait sur elle de déverrouiller les ultimes non-dits de la vie charnelle, Guillemette Espère avait fait le choix, elle, des Témoins de la Foi qu’une des sous chapelles Occitanes de la IVème Internationale avait proprement réduite au servage. La Masse Prolétarienne Combattante – la MPC - issue d’une série de fusions fissionnelles entre la Nouvelle Avant-Garde Prolétarienne et – pour ce qui m’en revient – une entité qui pouvait aussi bien s’appeler le Rassemblement Mondialiste International des Forces Unitaire du Travail pour la Refondation du Bloc Ouvrier-Paysan  (Je blague mais à peine !)

écourté en BOP – Bloc Ouvrier-Paysan - sur motion conjointe Pyrénées-Languedoc de la brève et unique Convention mort née (deux blessés légers…) de fin 76.

  Le casse-croûte ouvrier (…et paysan !) confectionné par les camarades de la coopérative agro-alimentaire « autôgestionnée» du Lauragais,  je leur lance au micro un « Grand Bravo !», elle avait bien aimé Guillemette. L’ambiance brouillonne et fraternelle, les grands coups de gueules vite essorés, le micro qu’on se tend, les « camarades » qu’on débitait comme du pain frais, l’avaient enrobée dans une sorte de couette.

- Motion : « Front Unique Ouvrier ». Prise de paroles de la camarade Espère Guillemette... 

  Dit en passant, le Bloc Ouvrier-Paysan était tous ou presque des fonctionnaires ou des étudiants…

  Machine à alcool et polycopes : elle pétitionnait rondement non stop chaque bref espace de pris sur la vie comme d’autres bichonnent leur GTI.   

  Une obsessionnelle du signé de crayon - y a pas d’autres noms…

  Chaque précieux moment où la vie fait pas dans le préétabli, elle pétitionnait à n’en plus pouvoir. Chaque précieux instant qu’un diktat hargneux ne s’arroge pas sans crier gare.  

  Chaque instant de chaque jour – pas de dimanche qui tienne plus que de nouvel an ! – Guillemette couraillait derrière les quidams. Chaque petiote bouchée où le cours du temps n’était pas sous le coup d’un mandat d’amené prioritaire (genre : catapulter un caddie © couineur entravée d’une paire de mômes à la traîne prêtés par sa soeur, des bacs de congelés au « même, taille 37, mais repose ce « paingue » au chocolat !!! Veux-tu bien le remettre où tu l’as pris !?! Allez zou que ça pète !!! - Vous en avez-vous ? Ils me font venir chèvre !!!), elle le vouait, Guillemette Espère - cet infime segment et la part de vraie vie qui est à l’intérieur - à briser l’élan de malheureux passants que leur pas déportaient vers le sombre recoin d’où elle les guettait. Vertement mis en demeure d’apposer un paraphe tremblé sous les trois feuillets de la résolution pour l’abrogation-des-lois-scélérates-sur-la-spoliation-des-jours-fériés-qui-retirent-de-la-bouche-le-rare-temps-de-loisir-de-l’ouvrier !!!

   Comme des bons points, elle ramenait ses liasses où neige et pluie laissaient planer de vagues nostalgies.

  Frisquet ce matin ? En tout combien ? Clin d’œil météo et preste recadrage des fondamentaux. Suivant les marées, il ajoutait le chef de secteur « Bon ! », « Bien !», « Le compte est bon !!! » tandis que d’un placage synchro des deux paumes, il rentrait dans le rang les bouts de feuillets qui dépassaient. « Je veux voir qu’une tête ! ».

  Elle, pas peu fière…

  Le moindre autographe venu du plus obscur arpenteur de rue, Guillemette le voyait sous forme de grenade brandie à la face du Grand Capital.

  Dix mille gribouillis : les forces de l’argent tanguaient fâcheusement sur leur axe médian.

 Cent mille et, ça y est, le monde culbutait dans le bonheur pur !!!

  D’autres font nonnes ou cruciverbistes, elle, s’était Trotsky qu’elle avait fait sien.

  Comme Virginia Woolf – cailloux dans les poches – entrait dans le courant, elle s’était fondue dans le bazar ambiant.

 Une forme de chaleur qu’elle y trouvait…

 De positionnement tactique en fractionnement idéologique la MPC a disparu de la surface de la terre. Le feu nourri des pétitions une fois tari, rien ne pu endiguer le bruit de bottes effroyable des Forces de l’Argent déferlant par vagues sur le pays.

  Va comme je te pousse, Guillemette rempila à l’OCI.

  On peut sérieusement valider une vie en couchant des noms sur du papier ?  Non, vous me direz.

  Un jour où l’autre, on quittait le machin sur la pointe des pieds. Se désencarter, c’est se débrancher à imaginer qu’on soit, par exemple, une lampe qui brille. Dans un premier temps, une sorte de voile noir vient tout claquemurer. Ensuite - après –, vaste, inexplorée, la vie jette sur vous sa pleine et entière potentialité.

  Mais le train de la vie est déjà loin pour les Guillemettes…

  Au guichet de la poste : l’air pas mal en retrait de celle qui reprenait pied dans « la vie d’ensuite ».

   A à ce que j’en savais…



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