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darf

– Fait chier, j’ai une merde juste au bord et qui ne veut pas sortir, genre un petit truc coincé dans un coin et j’ai beau pousser y’a rien qui vient.

– Ça va t’inquiète pas, elle sortira plus tard !

Matin, motel de l’ouest américain mythique à souhait dans sa déco sixties cheap et ses ajouts hasardeux d’objets brinquebalants encore assez poussiéreux. On traverse les Etats-Unis d’Est en Ouest, la voiture louée à New-York pour la rendre à San-Francisco, Highway 78, 77, 44, 35, 15... A Coney Island, sur la longue promenade en bois des années 40 on s’était arrêtés dans un bar dont le comptoir ovale presque perdu dans une salle immense assurait un bon espace vital aux buveurs solitaires. Sur les murs des photos en noir et blanc, l’âge d’or, avec ses costumes, chapeaux et robes, sourires de joie étoilée dans les mâchoires des hommes et les yeux des femmes. Dans un coin on prépare des hot-dogs et malgré le vide l’esprit danse comme un joyeux fantôme. Dehors la grande-roue paraît désaffectée encore qu’elle semble être entretenue et pouvoir tourner les jours de fête. Sur la plage on n’y est pas restés, des seringues entre les rochers, des papiers gras secoués par le vent, trop lourds pour s’envoler. Une ambiance de plage du pauvre aux abords de la mégalopole rappelant la Russie et ses gamins plongeant joyeusement dans les eaux sales des ports infectés de déchets. Encore qu’à cette époque je n’y pensais pas, je ne sais pas ce qui m’est venu, plutôt un sentiment de décrépitude, de pis-aller pour rendre la vie meilleure, comme ces familles (il y en avait beaucoup sur cette plage de Coney Island) qui vont passer leur dimanche à faire un barbecue sur les bords du lac artificiel d’une banlieue quelconque, simplement.

Au bout il y avait l’océan. Comme un rêve d’indicible, une image trop riche d’inconnu. Les plages y seraient presque vides, nous les partagerons avec de grands oiseaux de mers déambulant autour des poubelles cylindriques, gris, blancs et pas farouches. Les larges vagues empliraient l’horizon et on s’y baignerait, en reste quelques photos souriantes et naïves.

Dangereux. Motel sur le bord de la route, de longues baraques en bois disséminées entre les arbres. Le propriétaire, un vieux toxo à canne (il boîte de la jambe droite) nous répète pour la troisième fois « C’est un t’wès bon p’wix » sur un ton d’arnaqueur des rues de Brooklyn. Ancien physicien, il a repris ce motel dégueulasse où l’on croise des types édentés qui ont dû terminer la guerre du Vietnam bourrés d’emphétamines et d’héroïne, yeux cernés et moustache tombante. Je ne crois plus en la résurrection. Il ne restera rien de mon esprit. Mon corps participera à la vie plus longtemps que lui, à travers le cercueil et la terre, les animaux souterrains et les racines des plantes, nourrissant par effet d’entraînement tout ce qui vit alentour, à quelques mètres à la ronde.

La chambre est triste, un peu sale et de guingois, la climatisation ne fonctionne pas.

Parfois on se croirait en Afrique, grandes étendues herbeuses et désertes, toujours cultivées, habitées, avec au fond des montagnes bleues isolées qui s’estompent dans le ciel. Sous une pluie de fin du monde on a écouté NTM à fond dans l’habitacle, perdus sur une route de montagne au milieu des arbres noirs.

Radieux, Rodolphe danse sur la piste, lui qui n’a pas l’habitude de boire.

- He’s young and naïve ! nous dit le gars avec qui il a discuté un moment.

Bitume rythmé de lignes blanches, la route s’élance à travers le sable jusqu’à une muraille de roches rouges s’assombrissant sous de gros nuages dorés par le soleil. Plié en deux sur le bas-côté, Rodolphe nauséeux saigne du nez, il a saigné toute la nuit mais a avalé son sang pour ne pas nous réveiller. Plus tard sur les bords estompés du lac Page il gravera dans un rocher R+Y=BB. Elle le quittera à Las Vegas, au téléphone, le laissant pour une nuit d’errance dans une ville malade tandis que nous sentirons son absence dans la plus petite chambre d’un immense Resort & Casino.

Accoudés au plus grand comptoir de l’Arizona, les discussions seront devenues sérieuses. Nous jouerons et perdrons au billard contre des éleveurs du coin mais je crois que c’est ce soir là que Rody nous a dit qu’il commençait à flipper.

Après l’atterrissage, ce sera chacun pour soi.

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