Vous partez à Pataya, racontez-nous, concours.

zoeylou

A vous que je m’apprête à quitter ce soir, je destine cette lettre, espérant que vous en tirerez quelques menus enseignements et ne commettrez pas l’erreur qui a rongé ma vie entière.

Lassé de la grisaille d’une vie en demi-teinte, je préfère tirer ma révérence encore empli de souvenirs merveilleux issus d’un ailleurs qui me semble s’éloigner et perdre de sa réalité à mesure que le temps passe. Il y a des années de cela, la chance m’a été offerte de réaliser le plus somptueux des voyages. J’ai fait l’erreur de croire qu’il s’agissait de l’opportunité d’une vie, celle qui ne se présente qu’une fois. J’avais participé à un concours, comme j’en avais l’habitude à cette époque : sans croire une seconde en mes chances de gagner, par simple automatisme.

Quelques mois plus tard, lors de la publication des résultats, j’avais oublié avoir participé. Je n’en espérais rien, et n’en avais jamais rien espéré, pour tout dire. Me découvrir lauréat m’a interloqué, puis comblé de joie lorsque j’ai réalisé que je « m’envolerais à la poursuite de mes rêves les plus fous », dès la semaine suivante. J’ai rempli une foule de questionnaires sur mes goûts, mes envies, mes désirs les plus fous. Une équipe entière s’est pliée en quatre pour satisfaire le moindre de mes caprices, afin de faire de mon périple, le rêve d’une vie. Je n’avais que 20 ans, et je ne réalisais pas encore la tristesse d’avoir réalisé l’entièreté de ses rêves si jeune.

 N’essayez pas d’imaginer le bonheur qui m’a envahi une fois le pied posé sur le sol de cette destination dont le secret ne me serait jamais révélé, vous n’y parviendriez pas. Si vous souhaitez seulement approcher la sensation qui m’habitait en cette période, songez à votre destination favorite. Ajoutez à cette pensée le climat que vous préférez, celui-là même qui a le pouvoir  de vous rendre heureux. N’oubliez pas d’emmener avec vous les personnes que vous portez le plus haut dans votre cœur, et concluez par une confrontation à une culture à mille lieues de la vôtre mais qui vous correspond en tous points, comme créée à votre attention. Les fruits y seraient meilleurs que partout ailleurs, ainsi que les poissons, produits de la mer et autres denrées locales. Chaque découverte fantastique ne s’effacerait que pour céder le pas à une merveille plus intense encore.

N’est-ce pas l’idée que vous vous faisiez du paradis, jusqu’à aujourd’hui ? D’un Eden, taillé à votre mesure, et seulement à la vôtre ?

Croyez-moi, tout cela n’est rien en comparaison de ce que j’ai vécu. De ce qu’on m’a permis de vivre pour un laps de temps si court – à peine deux mois – avant de me le reprendre, me vidant ainsi de toute substance, de toute envie, de tout désir. Je ne savais pas, à cette époque, que plus encore que réaliser un rêve, c’est de courir après celui-ci qui nous rend profondément vivant. Le réaliser nous shoote à l’euphorie, nous inonde les veines d’une sérénité qui se dispute à la violence de la passion, mais nous laisse rapidement exsangue, aux proies d’une mélancolie dévorante et assassine.

A quoi bon dresser une carte postale – si parfaite soit-elle – de ce voyage initiatique qui m’a tant apporté ? Vous ne feriez que me jalouser, et je ne pourrais vous offrir le moyen de vous y rendre : jamais il ne m’a été permis de connaître la localisation exacte de ces lieux. Et si par malheur, vous finissiez par parvenir à vous y rendre, vous seriez brisés par un retour à la vie réelle.

Il est temps de clore cette lettre  et de m’effacer, en vous enjoignant à rêver. Rêver tant et plus. A ne pas découvrir les plus belles choses que le monde a à vous offrir trop rapidement, au risque de vous retrouver dans ma situation : celle d’avoir connu le meilleur, et de n’avoir plus la force de vivre pour le reste.

Ce soir, je serai mort. Si le paradis existe, je poursuivrai mon voyage. Priez pour moi.

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