Utilité publique

isamou

Un doux rêveur se plaît à imaginer la révolution que le monde attendait.

J'ai eu plus d'appels que je ne pensais. Passer une annonce dans un journal gratuit pour lyncher le pire des salauds ça motivait tout de même quelques personnes. J'imaginais déjà les réunions à l'ancienne dans les caves, l'organisation des cellules de résistance, la mise en place des sabotages contre l'ennemi, les consignes lancées de façon clandestine! Waouh, elle avait du sens ma révolution! Des terroristes internationaux organisés pour l'utilité publique et tout ça sans verser une seule goutte de sang. Ca changeait de celles de 1789, de 1917, de 1830 ou 1848! Quelle prétention ma révolution! Libérer l'humanité d'un personnage immortel, sournois et invincible depuis des siècles, tout ça sans faire de morts! Les esprits libres se mobiliseraient pour s'unir. On trouverait un Oulianov fédérateur à l'ère internet! On ferait la révolution de la propreté planétaire, tout le monde se parlerait et se regarderait différemment après cette action collective à but humaniste. Un sursaut de conscience contre Le liberticide, celui là même qui nous étouffait tous. L'action était très simple même si elle nécessitait une organisation presque militaire, puisque cet enfoiré était partout: tous les miroirs devaient être brisés! Le sang coulerait uniquement à cause des éclats de verre perdus. Avec l'éradication complète du narcissisme, on se regarderait de nouveau. Plusieurs siècles de dictature vicieuse et d'ordre trop établi renversés. Et bien sûr, on pouvait prendre peur en entendant tout ce verre exploser. Mais le coupable c'était lui! Personne ne s'en était rendu compte. On avait trouvé un responsable à nos chagrins inutiles. Tour à tour, l'accusation avait été portée contre l'argent, l'éducation, la reproduction des élites, la nature humaine... Certains pensaient couper la tête des politiques véreux de tous bords alors que le corrupteur était ailleurs, avec ses indics et ses relais partout. Ce vaurien de miroir. On ne tuerait personne, on ne supprimerait aucune vie, juste un objet sans charme. La mort du salaud serait spectaculaire et grandiose, on l'entendrait crever dans un bruit détonnant. Le premier génocide pertinent, planifié pour exterminer le narcissisme purement et simplement sans atteinte à la dignité humaine! "Un grand pas d'abord pour l'homme et surtout pour l'humanité". Un progrès historique pour le bourgeois petit ou grand, mais cela importerait peu puisque nous nous verrions enfin les uns les autres et sans miroir les uns aimeraient peut-être tous les autres. Le nanti serait libéré des chaînes du narcissisme. La soumission au culte personnalisé pourrait être enfin ébranlée. L'occidental moyen triompherait de sa bêtise. Je voyais déjà les grands titres inscrits en majuscules sur mon miroir. On parlerait d'un événement sans précédent. Qui sait on voterait même une nouvelle constitution. L'ennemi était là chez nous à nous surveiller depuis si longtemps. On s'était soumis, on avait rampé pitoyablement devant lui, sans se douter une seconde de la bassesse de ces actions. Tous les matins, ce charlatan nous induisait en erreur. J'entendais les animateurs de radio qui prendraient un ton d'euphorie que l'on n'avait plus entendu depuis les libérations des villes européennes en 1944. Le journaliste s'enflammerait comme pour une victoire de finale de coupe du Monde. Toutes les télévisions voleraient en éclats, exécutées sans jugements, fautives d'avoir servies les intérêts des miroirs, ces sous fifres obéissant aux basses besognes de leurs leaders sans charisme. Des vauriens ayant eu foi dans la loi du beau, des bandits à la solde des ennemis de la dignité humaine. On confierait l'explosion des télévisions aux anciens propriétaires des chaînes. Nous n'irions plus travailler pour un salaire minimum parce que le liberticide, l'esclavagiste, l'âme damnée de la classe moyenne était morte. Une disparition utile puisque la plaisanterie avait assez duré. La pièce était mal jouée depuis si longtemps. Il fallait un autodafé mondial de ce livre d'une écriture médiocre et trop de fois édité, enfin réduit. On reprendrait le texte original de qu'on appelait les belles idées ou les Droits de l'Homme et du Citoyen. On se mettrait à genoux devant ceux dont on s'était moqué, qu'on avait vidé, trompé lâchement juste sous l'influence de cette putain qu'est le narcissisme. La lutte des classes serait terminée puisque le nanti avait tué son père et sa mère; le miroir et la glace. I had this dream.

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