Va-t'en gros loup méchant ! (Album du Père Castor, Flammarion)

Jérémy Gallet

L'incrimination permanente du loup dans la littérature enfantine demeure un motif de sidération intellectuelle.

"Va t'en, gros loup méchant !" ne déroge pas à cette tradition.

J'ouvre le livre.

En exergue, cette dédicace : "Offert par Tante Dédé. Toussaint 2004".

J'aimerais bien savoir qui est cette dame. J'aurais deux mots à lui dire.

Bref.

L'histoire : trois lapins qui vivent dans un tronc d'arbre décident d'aller chercher des fraises des bois.

En chemin, ils entonnent une chanson provocante, incantatoire : "Hou ! Hou ! Va-t'en loup, gros loup méchant ! Va-t'en, va-t'en !"

Le destinataire de ces paroles est à sa fenêtre. Il a tout entendu. Il va agir, parce qu'on l'a provoqué. Il va agir parce que le gibier s'offre en tant que gibier. Mais si les lapins avaient chanté des psaumes à la gloire de Jésus, le loup n'aurait jamais pensé à manger. Gommé de l'énonciation, il n'aurait pas investi le récit.

Or, il va intervenir.

Hélas, le loup est à poil. Je ne sais pas ce qu'il a fait jusque-là

Il procrastine.

Donc, il s'habille en toute hâte pour pouvoir sortir.

L'élastique de la culotte craque.

Le loup se saisit d'une aiguille.

Ensuite, c'est la chemise qui pose problème. Il lui manque trois boutons.

Je postule que si ce loup n'était pas célibataire, quelqu'un lui aurait signalé tous ces défauts. L'autre hypothèse, adossée à la première, c'est que le loup chasse par ennui.

Rien ne va.

Lorsqu'il sort, il brise son lacet. Puis il tombe dans les ronces. Le bruit alerte les lapins qui ont fini de cueillir des fraises et courent jusqu'à leur terrier.

La rencontre entre le loup et les lapins n'aura jamais lieu. Pourquoi ?

Parce que le récit est construit sur le principe du montage parallèle. C'est fort dommage. L'auteur oublie que l'intensité d'une histoire a un corollaire : la densité de la situation conflictuelle. Or, comment voulez-vous qu'on s'identifie à un loup aussi maladroit et à des lapins aussi tranquilles, jamais réunis dans le même champ, si l'on me permet cet emprunt lexical au domaine cinématographique ?

C'est consternant.

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