Vagues à l'âme...
cerise-david
J'ai un putain de mal crâne. Comme le bourdonnement d'une abeille juste dans l'oreille. Et pourtant, ce silence. Tout est blanc, tout est froid. Mes membres sont douloureux. Je soulève mon bras avec peine, perfusion au bout des veines… Quelqu'un rentre. « Elle se réveille ». Et ressort. Oui, je crois bien que j'ai dormi longtemps. Trop longtemps. Un jeune homme entre dans ce cagibi qu'on appelle chambre d'hôpital… il est plutôt mignon. Il me regarde et comme si on se connaissait depuis toujours, vient m'embrasser avec tendresse.
- Il était temps que t'émerges, j'ai défoncé la machine à café et j'ai le Bac dans 2 jours…
Je dois le regarder comme une ahurie quand le docteur arrive. Le silence devient plus intense. L'abeille reprend son envol. La pièce s'assombrit.
- Votre sœur a perdu la mémoire. Tous ses souvenirs se sont évanouis avec le choc, comme une boîte aux lettres qui explose.
- Elle a tout oublié ?
Le regard du jeune homme se voile. Je suis triste pour lui. Moi je ne ressens rien…
- Çà peut revenir, ou bien disparaître pour toujours. Ça dépendra d'elle. D'une infime particule ou d'un million de détails.
- Et je fais comment moi, je connais même pas le code de son téléphone...
Il a répondu avec une telle assurance, une telle évidence, j'ai commencé à rire.
- Et toi tu te marres ?
Il m'a lancé un regard noir, enfin bleu foncé. Avec des yeux aussi limpides il ne pouvait pas faire mieux… Je lui ai dit de se calmer. Je crois que c'est ce qu'une grande sœur aurait fait. Quoique grande j'en suis même pas sûre vu sa taille. Il est vraiment mignon. Je crois que j'ai super mal au crâne, mater son frère c'est crade. Bon, on se concentre. Le docteur me décrit l'accident, moto, vitesse, impact avec un poids lourd. C'est le camion qui a gagné. J'ai des fractures, des contusions et un trou de gruyère dans la tronche. On va essayer de me stimuler mais ça risque d'être rude. Je m'en fous, j'écoute pas. Je cherche, j'ai des millions de questions… la première :
- C'est quoi mon prénom ?
Mon frère me regarde, s'approche, me serre fort à m'en faire mal, mais j'ai des côtes cassées alors ça doit être normal.
- Franchement avec ce coup-là t'aurais pu t'appeler « Pomme », comme celle qui tombe de l'arbre… Mais c'est « Cerise ».
- J'ai un noyau dur alors… çà devrait aller.
Je lui demande pourquoi les parents sont pas là, nos parents et leurs prénoms au cas où. Il répond que j'en aurais pas besoin. Que c'est moi les parents. D'ailleurs j'ai pas payé son téléphone ce mois-ci. J'éclate à nouveau de rire. J'aime sa répartie.
Les jours passent, la rééducation des membres fonctionne, je remarche, je fais des courses de fauteuils dans les couloirs, les échecs aussi, je me rappelle. C'est un bon point. Je sais toujours manger, parler. Des fois, çà aussi on oublie. Moi j'ai de la chance. Mes « amis » sont venus me visiter. J'avais aucun souvenir de les avoir jamais vu. J'ai bien vu qu'ils étaient tristes. J'étais juste gênée. Mon frère a passé son Bac, et l'a eu. Il est le « Benjamin ». J'ai une sœur aussi, enfin, si on peut appeler ça comme çà. J'ai cru voir rentrer une mannequin dans ma chambre, et elle collait pas avec mes potes, mais apparemment mes potes aiment bien se coller à elle. C'est comme un puzzle. Immense. Sauf qu'à la fin il manque toujours les coins. C'est chiant.
J'ai fini par sortir, je suis rentrée chez moi. Mon frère a son appartement, je gagne bien ma vie. Je l'aide. J'ai reçu des lettres du boulot me disant que je serais conviée dans quelques semaines pour faire le point. Le point sur quoi, j'en sais rien. Mon frère a dit « plus tard ». Il m'expliquerait. Chez moi, c'était sombre, vide. Rangé. J'ai pas aimé. Je suis allée dormir chez mon frère. Y'avait des odeurs, on a fait à manger ensemble. Un carry. C'est indien et je sais cuisiner ça. Comment ? j'en sais rien. Benjamin affirme qu'il avait le même goût qu'avant. Alors…
Les jours passent et rien ne se passe. Aucun contact sur le moteur. La clef tourne dans le vide. Je croise mon regard pâle tous les matins. Je touche mon crâne bosselé et le masse. On sait jamais c'est peut-être comme un muscle, faut le stimuler. Un matin, j'en peux plus de cette tronche de conne dans la glace. Blonde, les cheveux longs. J'ai l'impression d'être Barbie. Vide. Je sors. Je vais courir un peu. Je passe devant chez un coiffeur. Je rentre. Il me reconnait, me demande comment je vais.
- On coupe les pointes comme d'habitude ?
- Y'a plus d'habitude, on coupe tout, et en prime j'ai une envie de chocolat…
Il me regarde septique. Je le regarde maussade. Il hausse les épaules. Il me parle de moi, me demande si on a des nouvelles de ma mère, je réponds un peu au hasard. Je ne sais pas qui je suis… je crois juste que je ne veux pas trop de cette vie-là.
Le soir même, je décide de faire mes valises. Je demande à mon frère s'il veut se joindre à moi. Il répond qu'il doit bosser jusqu'à mercredi, après il aura ses congés. J'ai trois jours pour me retrouver. C'est le bon mot. Je ressens de l'amour pour lui, je me dis que je finirais bien par retrouver mon chemin. Il me lance mes clefs de voiture.
- Évite les camions ce coup-ci…
Je m'installe au volant, je ne suis même pas sûre de savoir comment faire. Je tourne la clef, des images reviennent. Le contact se fait. J'embraye. Je roule. Je fonce. Je prends une route au hasard, suis des panneaux aux noms biscornus. « Mimizan ». C'est mignon. Au bout, l'océan. Je grimpe la dune, je sens le sable, l'humidité entre mes orteils, les embruns sur mes joues, l'odeur des pins qui montent de plus bas. Le soleil a déjà passé la ligne de l'autre côté du monde. Je m'assois. Inspire, expire. Les vagues vont et viennent, dévorent le sable et se retirent. Je ferme les yeux et les rouvre. Rien n'a changé, presque rien à vrai dire… C'est infime, c'est léger, vaporeux, j'ai de nouveau mal au crâne. Le ressac est comme un tambour. Je me rappelle cette odeur, celui de la mer.
Je me rappelle pourquoi je suis venue ici, sans hésiter, sans me tromper de route ; cette route où j'ai eu l'accident.
Je me rappelle la couleur du camion. Le bruit assourdissant de la moto. Comme cette putain d'abeille.
Je me rappelle que je voyais mal dans mon casque. J'étais triste, je pleurais. Je venais voir l'océan, je venais la trouver, avant qu'elle ne reparte encore. Je venais scruter l'horizon, pour apercevoir le voilier.
Je me rappelle lui avoir dit de rentrer au téléphone. De sa voix. Qu'elle serait bien avec nous.
Je me rappelle que je roulais vite parce qu'au fond je savais que j'arriverais trop tard. Je voulais qu'elle voit Benjamin à sa remise de diplôme. Qu'elle soit une maman normale…
Mon téléphone sonne :
- Oui, tout va bien Benjamin, pas de camion ce coup-ci. J'ai bien réfléchi. Je vais re-décorer l'appartement en rentrant… ou le vendre tu as raison, il est trop grand… Appelle le boulot pour moi, dis-leur que je prends quelques vacances… Oui, tout va bien… Je me disais juste que quitte à recommencer, à réécrire, autant le faire en couleur… Oui, oui, on ira chez Ikea…
Je sais pas pourquoi, je savais qu'il dirait çà. Il reste un truc dont je ne me rappelle pas. Ma moto. Tant pis, on changera aussi…
ton histoire est bien menée ... j'ai aimé l'ambiance et les gens
· Il y a plus de 9 ans ·Et j'aurais surtout apprécié que le texte ait une suite ! Si je me fais bien comprendre ....
woody
Woody?! Toi ici. Merci pour ton commentaire. Tu veux une suite à celui là ou à un autre ? Non je n'ai pas compris... rires.
· Il y a plus de 9 ans ·cerise-david
J'aime bien! Quelques phrases qui ressortent et qui donnent le sourire, bref, cool!!
· Il y a plus de 9 ans ·dreamcatcher
J'ai remporter le défi... donc c'est plutôt cool oui ! Merci pour la lecture !
· Il y a plus de 9 ans ·cerise-david
Félicitations alors ;)
· Il y a plus de 9 ans ·dreamcatcher