Valleuse

valjean

Valleuse

Je n’ai jamais aimé les grandes marées. La mer cogne contre la falaise, arrache tout. Il n’y a qu’à voir les bunkers, écrasés sur la plage depuis 10 ans déjà. Et la belle maison de Monsieur de Virmont. Le grand jardin qui dominait la mer n’existe plus. Mangé. Avec les arbres centenaires. Le bel escalier en pierre s’apprête lui aussi à faire la plongée. Elle ne fait pas de sentiment la mer. Elle creuse, c’est tout. Ce matin, j’ai vu des gendarmes au pied de la falaise. L’auraient il trouvée ?

« Y parait qui s’ont trouvé des os » Jean-Pierre, il aime bien dire des bêtises au café. Mais y les dit pas au premier verre. Alors là mon Picon bière, il a du mal à passer.

« Où c’est qu’ils l’ont trouvé, j’lui dis », faussement penché sur mon tiercé.

Ben au  pied d’la falaise d’aval. Bon sang, je pense, c’est exactement là où elle se trouve ! Mais la marée, elle monte pas jusque là. Quand le chasse marée s’est échoué, il est resté là bas accroché pendant des années sans que la mer vienne lui lécher la carcasse. Même qu’on y jouait. J’étais le capitaine. «  Tu t’en rappelles Jean-Pierre ». J’me lève- Remet ma casquette, prétexte le bois à rentrer avant la pluie. Est-ce qu’y faut que j’dise tout à Bérénice ?

En passant sur la jetée, j’ai vu la camionnette des gendarmes, suis allé saluer le brigadier chef. C’est un gars du pays.

L’air de pas y toucher, j’lui ai demandé ce qu’il faisait.

Il m’a dit qu’un bateau de plaisance avait disparu avec ces 3 passagers. J’en ai pas cru un mot. Un bateau de plaisance, avec cette tempête ? Même les gars d’la marchande, y sortent pas.

J’ai la gorge serrée. J’crois que je vais recommencer à fumer, j’ai besoin de ressentir le bon goût d’une cigarette. J’ai arrêté depuis qu’elle a disparu.

A l’époque, j’avais dit à Bérénice que c’était pour mieux me rappeler d’la Josette, en solidarité, quoi. J’l’aimais bien la Josette, belle femme à 50 ans ; veuve de marin, pour peu j’aurais préféré la mère à la fille.

Mais j’l’ai pas regretté. Elle m’a donné deux beaux bébés la Bérénice.

Et on s’aime comme au premier jour. Plus, même, avec ce qui s’est passé.

La Josette, c’est quand elle a perdu son mari, tombé de son bateau, qu’elle a commencé à perdre la tête. J’comprends. Moi-même, j’aurais sans douté été pareil. Imaginez que votre mari revienne de plusieurs jours de pêche, salue la petite maison aux volets bleus et tombe à la mer, juste au moment où sa femme, la Josette et sa fille, ma Bérénice lui rendent son salut. Il y a de quoi devenir fou, non ? Encore heureux que ma Bérénice ait, elle, tenu le coup.

Sa mère, elle, cela lui a fait perdre le bébé qu’elle avait dans le ventre. Comme çà, d’un coup.

Alors quand Bérénice me l’a présenté pour la première fois, j’ai tout de suite pris en pitié la Josette.

Elle a emménagé chez nous, on supportait ses crises, ses lubies. Comme aller saluer tous les jours la mer à l’endroit oû elle avait vu l’Armel pour la dernière fois. Des fois que çà l’aurait fait remonter du fond de l’eau.

Puis est arrivé notre bébé. Un beau pt’it gars. Appelé Armel comme son grand-père. Moi j’voulais pas trop de ce prénom là. Mais il plaisait à Bérénice. Et moi, quand quelque chose plaît à Bérénice, cela me plait aussi.

Elle l’a tout de suite aimé notre Armel, la Josette.

Vas y que je t’embrasse, que j’aille jusqu’à Rouen pour qu’il ait le meilleur pédiatre. Les plus beaux cadeaux aussi.

Les gendarmes sont revenus avec d’autres hommes revêtus de combinaisons blanches et de gants. Cela a fait les gros titres du « Quotidien dieppois ». Le bateau de plaisance a été retrouvé au large. Il s’était détaché de son ancrage au port sous la force de la marée, donc sans ses occupants. Ce ne sont donc pas eux que la gendarmerie recherche. On dit qu’ils auraient trouvé des restes humains. Seraient ce ceux… ?

Armel a vécu presque 2 ans.1 an, 11 mois et 11 jours. Je hais le chiffre 11. La « mort du nourrisson » comme l’a dit le médecin de famille. C’est la Josette qui gardait le bébé quand c’est arrivé.

Josette a vraiment sombré dans la folie ce jour la.

Elle allait désormais à son « rendez vous avec la mer » tous les jours, tenant dans ses mains une peluche de son Armel. J’ai tenté de cacher toutes les peluches. C’est alors qu’elle a tenté de me frapper. Je n’ai rien dit.

Je devais préserver Bérénice et moi-même, pour que nous ne sombrions pas à notre tour, pour la mémoire d’Armel, de « notre » Armel.

Alors je lui ai laissé les peluches qui sont vite devenues des objets informes, délavés par les larmes de Josette et les embruns.

Et Josette partait et rentrait de plus en plus tard de plus en plus longtemps, guettant le retour de ses Armel, serrant une des peluches désarticulées dans ses bras.

Un jour, elle n’est pas rentrée. Bérénice, affolée m’a demandé d’aller la chercher. Josette était à son endroit habituel, droite, au dessus de la falaise, insensible aux trombes d’eau qui ruisselaient sur elle. Je me suis approché. Lui ai posé la main doucement sur l’épaule en prononçant son nom.

Elle s’est jetée sur moi, m’a griffé sauvagement au visage. Sa force était comme décuplée.

J’ai eu beaucoup de mal à la maîtriser. Ce soir là, j’ai cessé de l’aimer.

« Il parait qu’ils vont faire des tests A.D.N. J’en avale de travers mon Picon-bière. Jean-Pierre, il a pas l’habitude d’employer des expressions qu’il ne connaît pas.

- Des tests A.D.N. ? 

- Oui regarde, c’est marqué là. 

Jean-Pierre me tend le « Quotidien dieppois » du jour. Joël, le tenancier, renchérit.

-Oui, mais c’est bien écrit pour « les personnes qui sont d’accord »

Et ceux qui sont pas d’accord, ils vont être mal, je pense.

- Ouaih, celui qui voudra pas faire le test, y sera suspect, y répond Jean-Pierre. D’abord, ça veut dire quoi des tests A.D.N. ? Tu crois qu’ils vont tester mon Picon-bière.

Mon Picon-bière, il a du mal à passer. Je repense à la Josette, ce fameux soir. On l’a placée. Pas de gaieté de cœur. Ma femme s’y est résolue. Elle était dangereuse pour elle comme pour les autres.

Y lui ont fait passer des tests. « Accès de démence sénile » qu’ils ont conclu.

Mais la Josette, elle a pas supportée d’être enfermée. Elle a arrêté de s’alimenter. Et comme la Bérénice et moi on voulait pas entendre parler de sonde, on l’a reprise.

Et çà été de nouveau l’enfer. De jour et de nuit elle criait dans la maison la Josette en marchant de long en large dans sa chambre. Et quand elle criait pas, elle s’enfuyait. Toujours au même endroit, toujours avec sa peluche délavée. Cela a duré des jours, des semaines, ou des mois. Je ne m’en souviens plus très bien après toutes ces années.

Un soir, la mer était de nouveau agitée, elle est repartie. Je suis de nouveau allé à sa recherche. Elle était là, au même endroit, tournée vers la mer.

Je me souviens m’être demandé comment j’allais l’aborder cette fois ci. C’était devenu un rituel, si cela n’avait pas été aussi tragique, cela aurait pu même être un jeu.

Mais ce soir là, il pleuvait très fort. C’était la marée du siècle, celle dont les vagues lèchent la falaise. Et fait tomber les bunkers de la dernière guerre quand ils sont encore accrochés. J’ai approché ma main vers elle et, au lieu de la retenir, je l’ai poussée. Oui, poussée. Elle est tombée comme une branche morte tombe d’un arbre, d’un coup sec, en poussant un cri atroce, celui qui me réveille parfois dans mes mauvaises nuits.

Son cri a été très vite étouffé par les vents violents. Et qui d’autre que nous deux aurait pu être dehors par un temps pareil. J’ai dit à Bérénice que je ne l’avais pas trouvée. Les gendarmes sont venus, c’est la procédure dans ces cas là, mais ils n’ont posé que quelques questions. De routine, comme s’ils étaient soulagés que « la vieille folle » ait disparu.

Bérénice a longtemps pleuré. Pleurait elle la Josette ou notre fils dont elle n’avait pas pu faire le deuil jusque là, accaparée qu’elle était par sa mère ?

Je l’ai beaucoup consolé. De tels événements séparent. Ou rapprochent. On ne sait jamais bien. 9 mois plus tard notre deuxième enfant naissait.

Quand je suis rentré ce soir, tard, Bérénice dormait. Elle avait griffonné un petit mot sur la table.

-         Mon chou les gendarmes sont venus me faire un prélèvement de salive. Ils aimeraient te voir, toi aussi.

Cela fait une semaine que je n’ai pas mis les pieds au café. Peur de rencontrer les gendarmes. Il faut que je parle à Bérénice, aux enfants.

Après j’irai tout avouer. Je risque quoi, cinq années de prison ?

Déjà que dans ma tête, je suis en prison depuis cette nuit là. Cela changera quoi ? Perdre Bérénice, ça non !

Bérénice s’inquiète, je ne mange plus rien. Même sa fameuse tranche de pâté aux rillettes maison que je dévore d’habitude. Çà va leur faire drôle aux copains du café. Le Noël, un criminel. J’vois déjà les gros titres dans les journaux. La honte pour Bérénice. Les enfants qui font comme si j’étais pas leur père. Ce matin les gendarmes sont passés. Ils ont dit que j’étais le dernier du village à ne pas avoir fait le test. Même le Jean-Luc, ils sont allés le voir à la clinique, et il a donné de la salive. Pauvre Jean-Luc, avec ses tuyaux partout, comment a-t-il bien pu faire. ?

Ils m’ont proposé de m’emmener à la gendarmerie dans leur estafette.

J’ai dit non, que je préférais prendre mon vélo, m’aérer.

Comme la Bérénice était pas là, j’ai pris mon vélo.

Tant pis, j’le dirai à la Bernadette après quand elle me rendra visite à la prison.

Les 3 kilomètres jusqu'à la brigade m’ont paru très long. Mais c’étaient mes dernières heures de liberté. Je vais tout leur dire, moi. Et peut être qui me comprendront.

Quand j’suis arrivé, c’est l’adjudant-chef qui m’a accueilli. Tout sourire. Est-ce parce que je jouais au foot avec son père, ou pour par que j’me méfie ?

Il m’a proposé un café, m’a fait entrer dans son bureau. Et là, oh surprise, y avait la Bérénice ! J’suis devenu rouge, rouge comme si j’l’avais trompée et qu’elle venait me dénoncer aux gendarmes.

« Bérénice, j’vais tout dire » ; j’ai presque crié.

L’adjudant-chef, l’gamin quoi, y m’a dit « Asseyez vous, Noël, j’ai quelque chose à vous dire ».

« J’passe pas l’test, j’ai répondu ? »

« Non, pas la peine, nous savons tout ».

J’crois bien que j’ai attrapé un malaise.

J’me suis réveillé, la Bérénice et l’adjudant-chef penchés au dessus de ma tête.

« Ca va mieux, mon chou ? » qu’elle m’a dit de son beau sourire de jeune fille. Même que les rides au coin des yeux, cela la rendait encore plus belle.

J’ai touché mes poignets m’attendant à y trouver des menottes.

Au lieu de cela, l’adjudant chef m’a posé la main sur mon épaule en me disant « Noël, l’Adn a parlé, parfaite conformité avec le test sanguin sur votre épouse, les os ce sont ceux de votre beau-père. Un miracle !

40 ans après, la mer l’a rejeté.

  • J'aime beaucoup...ces lignes ont le goût de l'amer et des embruns cinglants en ces circonstances...

    · Il y a environ 12 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • La mer t'inspire valjean, tu aimeras Océan mer pour sa douceur poétique, mais aussi ses grains de folie. L'intemporalité de la mer..
    j'aime beaucoup ce texte surtout pour la forme que tu lui as donné.

    · Il y a environ 12 ans ·
    Violon manray orig

    Juliette Delprat

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