Van Gogh' not dead

Antoine Berthe

                            Van Gogh’s not dead

            J’attrapai la baïonnette et m’apprêtais à me trancher l’oreille gauche.

            C’était une baïonnette anglaise que mon grand-père avait ramassée sur les plages de Dunkerque au moment de la débâcle. Enfin je crois bien que c’était une baïonnette anglaise parce qu’il faut bien dire qu’en réalité je n’y connais pas grand chose. Elle a une lame large et épaisse mais aussi tranchante qu’un rasoir et elle est crantée sur sa partie supérieure. Grand-père disait que c’était pour agripper les tripes et les remmener avec elle quand on ressortait la baïonnette du bide du type d’en face.

            Je pinçai le pavillon de mon oreille entre le pouce et l’index de ma main gauche et l’écartai de mon crâne pour faire un passage à la lame que je posai ensuite délicatement en position. Le froid de l’acier sur ma peau brûlante me fit courir des frissons dans tout le corps.

            Bon, quand faut y aller, faut y aller.

            Je commençai à appuyer.

            Sans résultat.

            J’appuyais plus fort et je la sentis entamer ma peau. Le sang coula immédiatement de deux cotés de la blessure, un filet me dégoulinant dans le cou puis le long de la colonne vertébrale avant d’être stoppé par l’élastique de mon caleçon, tandis que l’autre descendait le long de ma mâchoire jusqu’à mon menton d’où le liquide se mit à goutter sur mon pantalon. Putain, ça faisait carrément mal et je venais à peine de commencer le boulot. J’arrêtai d’appuyer, posai le poignard à côté du clavier de l’ordinateur sur le bureau et je partis dans la cuisine.

            Dans un grand verre, j’ai versé une grosse dose de vodka dans laquelle j’ai mis à fondre des efferalgans. Jusqu’à six par jour qu’il est marqué sur la boîte. J’ai fait cul sec et je suis retourné à mes travaux de chirurgie.

            Ce coup-ci, j’ai tranché d’un coup sec. Ça a giclé violemment. Mon t-shirt est ruiné pour le coup et malgré ma potion magique, faut bien avouer que ça picote plutôt pas mal. Putain, ça brûle même carrément ! !

            J’ai pressé un mouchoir sur la plaie pendant quelques minutes pour réduire l’hémorragie. La douleur s’est un peu calmée ou alors c’est parce que je m’y suis habitué. J’ai sauté sur l’occasion. Je me suis rué sur le clavier de l’ordinateur. Fébrile. Les doigts prêts à entrer en action. L’inspiration. Enfin. Après tout ce temps perdu devant une page blanche. La souris était un peu poisseuse mais bon, j’ai réussi à ouvrir un document tout neuf, à régler vite fait la mise en page selon mes habitudes et, et …

            Rien ! Que dalle ! Nib !  Bordel de merde, c’est pas possible, ça va venir, forcément.

            J’ai écarquillé les yeux vers l’écran, reposant aussi calmement que possible les mains sur le clavier, attendant vainement qu’elles se mettent à faire quelque chose. Au bout de quelques minutes dans cette position, j’ai commencé à sentir des fourmis me courir sous les ongles et mes yeux se sont emplis de larmes. Il a bien fallu remuer les mains pour rétablir la circulation et attraper un mouchoir pour m’essuyer les yeux.

            Bon. Pas grave. Reste une oreille. Après tout, peut être qu’il faut aller plus loin que Vince, sinon ça marchera pas, ça serait simplement faire comme lui, ce n’est pas nouveau.

            Vodka-efferalgan.

            Un bon coup de machette à droite.

            Il va falloir changer le papier peint sur ce mur là aussi.

            Ah putain, ça picote ! ! ! !

            Les doigts crispés, les yeux ouverts, attention à pas mettre trop de sang sur le clavier pour pas que les touches collent.

            Nouvel échec. Toujours rien. A pleurer. D’ailleurs je pleure, je pisse le sang, j’ai envie de dégueuler de la vodka, je me lève pour aller aux toilettes et me rétame en glissant sur une de mes oreilles. Je m’évanouis avant même d’avoir réussi à écrire la moindre ligne. Tout ça pour rien.

                                                       *****

            J’ai décidé de revenir à ma technique habituelle : trouver l’inspiration en écoutant les bulletins d’info à la radio, oui mais voilà, le sang a coagulé et bouché mes conduits auditifs. J’ai les tympans tout englués et j’entends que dalle. Tout une boîte de cotons-tiges y est passée et ça n’a pas suffi. On est dimanche ou un jour férié ou un truc comme ça. Je ne réussirais jamais à trouver des cotons-tiges en quantité suffisante dans ce putain de bled.

            Y’a pas, il faut que je trouve un truc. Il faut que je trouve une idée. Il faut que j’écrive ou que je meure. Les oreilles c’était une connerie, une ou deux ne change rien au fait que c’est du déjà vu. Il en faut plus pour frapper mon esprit et retrouver ma créativité.

           Un truc inédit.

            J’ai tourné en rond dans le salon, faisant les cents pas devant une affiche d’Andalousie. C’est peut-être ça qui m’a donné l’idée.

            J’ai farfouillé dans la boîte à couture et j’ai fini par mettre la main sur le matériel nécessaire. Une aiguille assez solide mais pas trop longue pour ne pas risquer d’atteindre le cerveau. Je me suis assis devant le clavier après une vodka-efferalgan. J’ai attrapé le bout de métal entre le pouce et l’index de ma main gauche et j’ai retenu mes paupières ouvertes avec les doigts de ma main droite…

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