Vengeance d'écrivain

Laurent H

L'écrivain et sa première lectrice

Lawrence Hadston aimait écrire.

Il avait débuté par la poésie et ses œuvres étaient reconnues par tous ses amis. Il avait également écrit des fables fort appréciées de ces mêmes personnes.

Mais il n'était pas entièrement satisfait de son travail car lui ce qui l'intéressait dans la vie, ce qui le passionnait, c'était l'écriture de nouvelles de science-fiction.

Il lisait tout ce qui lui tombait sous la main et qui appartenait à ce genre bien particulier.

Le seul problème, avant d'écrire une nouvelle, il fallait trouver une idée.

Or trouver une idée était facile pour toute personne ayant un peu d'imagination. Mais trouver une idée destinée à donner à terme une nouvelle c'était une autre histoire, car l'idée devait être sinon géniale du moins extraordinaire.

Lawrence Hadston cherchait donc une idée, SON idée.

Cette idée fut une révélation. Une toute petite idée qu'il fallait creuser pour écrire sa première nouvelle proprement dite, mais une idée digne d'être exploitée.

Il écrivit sa nouvelle en trois jours emporté par le flot de l'inspiration. Sa nouvelle lui plaisait, elle était fidèle à son idée de départ, elle était fidèle à son caractère, elle était fidèle à lui-même tout simplement.

Maintenant que son 'bébé' était né, il fallait essuyer le feu de la critique.

Tout naturellement il choisit comme première lectrice sa femme Nickie qui se vantait d'être très douée pour juger une œuvre littéraire.

Le cœur battant, il observait son épouse parcourir son œuvre d'un œil critique. Visiblement, elle appréciait ce qu'elle lisait. Aussi qu'elle ne fut pas sa surprise quand en terminant le dernier feuillet elle lâcha laconiquement :

- Ouais c'est pas mal, mais j'attendais mieux de toi mon chéri.
Hadston dégringola du nuage où l'avait placé la joie d'achever la première nouvelle qui le satisfaisait.

Et elle poursuivit dans une énumération de tout ce qui, à ses yeux, n'allait pas. Cette énumération était relativement longue et chaque remarque attristait un peu plus l'écrivain.

Il fut prit d'une colère froide, décocha à sa femme un regard de glace et se leva pour prendre place derrière sa machine à écrire. 

Amusée par la situation, Nickie lui envoya un baiser de la main et tout en souriant, prit le chemin de la cuisine afin de préparer le dîner.

Hadston fulminait.

Nickie qui chantonnait gaiement dans la cuisine le mettait hors de lui.

Au paroxysme de son énervement, il dirigea ses yeux vers la feuille blanche. Ses doigts frappèrent les touches machinalement : " En ayant fait une fausse manœuvre, la femme de l'écrivain se coupa le doigt en épluchant des pommes de terre. " 

Il secoua la tête tristement. C'était horriblement mauvais. Mauvais comme jamais il ne l'avait été.

Un cri provenant de la cuisine le tira de ses méditations.

Un instant plus tard, Nickie entrait dans le salon le doigt ensanglanté. 

- Satané couteau, hurla-t-elle. Elle se dirigea vers la salle de bains en quête de la trousse de secours.

Lawrence Hadston était abasourdi. Il venait d'écrire une phrase que les circonstances et son énervement lui avaient dictée. Et cette phrase se réalisa.

Non ce n'était pas possible. C'était inconcevable. C'était une idée de nouvelle.

Amusé à l'idée de jouer un tour à sa femme il écrivit prestement sans se soucier du style et de l'orthographe de sa phrase :

" L'écrivain avait oublié de réapprovisionner la trousse de secours en alcool et en pansement "

Un autre cri de Nickie confirma son idée folle. Ce qu'il écrivait se réalisait peu après.

- Plus de pansement et rien pour désinfecter, gémissait la pauvre blessée dont le doigt dégoulinait de sang et tachait le parquet.

- Descend à la pharmacie, ils te soigneront mon petit amour, conseilla-t-il ironiquement.

Elle acquiesça et sortit sans attendre.

Hadston avait les doigts qui le brûlaient. Dans un accès de vengeance folle, il voulait faire payer à sa femme son jugement arbitraire de sa chère nouvelle.

Sans aucun souci de construction littéraire, il inscrit sur sa feuille :

" En sortant dans la rue, la femme de l'écrivain fut percutée par un camion et mourut sur le coup "

Il n'eut même pas à aller vérifier sa nouvelle 'prophétie' à la fenêtre. Le crissement des pneus et les cris affolés des passants lui attestèrent la fin tragique de Nickie Hadston, morte pour ne pas apprécier les nouvelles trop parfaites.

Il fut d'un coup prit de panique. Il avait assassiné par les mots la femme qu'il aimait. Celle qui avait partagé sa vie, ses joies et ses peines, ses rires et ses pleurs.

Il se mit à sangloter bruyamment et porta ses mains au visage.

- C'est pas possible, geignit-il, quel fou j'ai été. Nickie, ma Nickie je t'aime.

Tout à coup, une pensée le traversa. Une idée impossible. Une idée inconcevable. Une idée de nouvelle.

La tristesse sur son visage se mua en une joie incrédule et il écrivit sur sa machine en frappant comme un forcené :

" La femme de l'écrivain revint de la pharmacie le doigt soigné. "
Le cœur battant il attendit.

Puis comme un feu d'artifice de joie, il entendit une clef tourner dans la serrure.

- C'est moi chéri, dit Nickie avec une vitalité qui le fit pleurer de bonheur.

Il avait fait revivre sa femme adorée. Il réprima son envie de se lever pour aller l'embrasser et écrivit malicieusement : 

" La femme de l'écrivain aimera toujours les nouvelles de son mari. "


Et il partit rejoindre sa première lectrice.

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