Verdun : un mort

Baudouin Van Humbeeck

Alban Maertens a loué une chambre à Verdun au Québec. L'accueil a été moins chaleureux que prévu. Beaucoup moins chaleureux.

Début de cet enregistrement. Nous sommes le huit mars deux mille treize, il est sept heures dix-neuf dans le PM. Présents dans la salle d'interrogatoire numéro un du poste de police de Verdun sont Alban Maertens, citoyen d'Uccle en Belgique et moi-même Thibaut Larivière, inspecteur de la Sûreté du Québec.

Alors voilà Monsieur l'inspecteur, je pense que rien ne serait arrivé sans la grève du syndicat européen des contrôleurs aériens. À cause de cette grève, j'ai perdu ma valise. Dans ma valise il y a les planches originales de bande dessinée que je suis venu montrer à quelques collectionneurs de Montréal. J'étais de mauvaise humeur dans le taxi. Demandez sa version au chauffeur de mon taxi. C'est une femme, une autochtone, toute petite avec un début de moustache. Elle était déjà de mauvaise humeur avant que je lui refuse un pourboire. C'est la première fois que je traverse l'Atlantique alors naturellement j'avais un peu peur. Mon taxi m'a conduit à la bonne adresse. Le voisin m'a donné la clef très aimablement. J'étais un peu surpris de trouver une enveloppe à mon nom sur la table du salon. J'ai ouvert cette enveloppe avec le coupe-papier qui était posé sur l'enveloppe. Voilà pourquoi mes empreintes se trouvent sur le coupe-papier. Uniquement pour cela, inspecteur Larivière. Mon hôte m'avait prévenu qu'il ne serait pas là et qu'une clef m'attendrait chez le voisin qui ne sort jamais de chez lui parce qu'il est invalide. Et donc oui, forcément j'ai laissé mes empreintes sur la feuille de papier qui se trouve à l'intérieur. Je pensais y trouver un mot de bienvenue, des instructions ou ce genre de choses. C'est la première fois que j'emploie ce système de location. Ce que j'ai trouvé dans l'enveloppe ? Vous avez lu comme moi « Je n'aime pas les gens qui traînent dans la salle de bains ». Oui, inspecteur, c'est imprimé dans une police de caractères on ne peut plus répandue. Oui, inspecteur, j'aurais pu imprimer cette page chez moi avant de partir. Techniquement, c'est possible. Non, j'ai d'abord déposé ma valise dans la chambre et j'ai fait une petite sieste pour rattraper le décalage horaire. C'est après cette petite sieste, dans l'après-midi à l'heure d'ici donc que j'aie voulu aller me rafraîchir dans la salle de bains. C'est là que je suis tombé sur cette malheureuse jeune fille, vidée de son sang, avec des coups de couteau dans la poitrine. Non, je ne sais même pas si elle était déjà là quand je suis arrivé. J'avais uriné à l'aéroport. Tout ce que je sais c'est que quand je me suis réveillé elle était dans la salle de bains, morte et que je n'y suis pour rien. Si vous me dites que mes empreintes sont sur le coupe-papier, je veux bien vous croire puisque je vous dis que j'ai utilisé ce coupe-papier. Non, je l'ai utilisé uniquement pour ouvrir l'enveloppe dont je vous ai déjà parlé. Non, je ne savais pas que cette jeune fille est... heu... qu'elle était la précédente occupante de la chambre que j'ai louée ici à Verdun. Non, je ne sais pas ce que j'ai fait exactement dans la salle de bains. Je n'avais jamais vu de cadavres de ma vie alors forcément oui dans ma panique j'ai peut-être bien marché dans la flaque de sang. Mais je ne sais pas moi... C'est possible qu'il y ait mes empreintes dans cette salle de bain. Déjà pour trouver l'interrupteur de la lumière j'ai tâtonné sur les murs. Et je vous dis, dans la panique j'ai fort bien pu toucher à la scène du crime. Non, je ne connais pas cette jeune fille, oui elle est attirante. Non, ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. De son vivant elle était probablement attirante, mais je ne l'ai jamais vue, je ne connais pas son identité. Je ne l'ai pas tuée. Je ne l'ai pas tuée. J'ai voulu employer mon téléphone portable, mais je n'avais pas de réseau. Il y avait une affichette dans ma chambre avec les numéros d'urgence. J'ai appelé le numéro de la police. C'est vous qui m'avez répondu. Je ne l'ai pas tuée cette fille, je ne connais rien d'elle. Vous allez me relâcher maintenant, Monsieur l'inspecteur ? Monsieur l'inpecteur ? Monsieur l'inspecteur ! Monsieru l'inspecteur...


Fin de l'enregistrement à sept heures et trente et une minutes dans le PM ce huit mars deux mille treize.


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