VIAN : DE LA NOTE, AU DÉLIRE, À LA MORT

suemai

Et si aujourd'hui, je ne peux pas bouger, je ne peux pas bouger ? Que faut-il que je fasse. Je veux que l'on m'efface. Ne pas exister... «Slam, Ne pas exister, de Lulla Bell»

Cette petite réflexion ne tend, d'aucune manière, à articuler une vision exhaustive des écrits de Boris Vian, mais de constater une boucle créative, qui justifie, en substance, une certaine mécanique créative et rédactionnelle.

De la note, au délire, à la mort, trois énoncés, qui, je crois, peuvent agir comme  indicateurs à cette verve de la (douce démence-amoureuse). Inévitablement, Vian nous apparait comme un passionné, faisant fi de quelques retenues que ce soit. Une liberté que le mouvement surréaliste pouvait, à l'époque, «justifier et endosser, mais je nuance...»

Pourtant, de belle manière, Vian s'en éloigne et créé son propre bestiaire, tel un véritable improvisateur de jazz. Humour noir, calembours, jeu de mots, création de néologismes, utilisation rhétorique et systématique d'une pléiade de figures de style, tout en en créant de nouvelles, Vian s'éloigne du surréalisme, selon une combinaison de facteurs «inhérents» au carrousel du pas-à-pas, de sa vie.

DU JAZZ À LA FANTASMAGORIE.

«Tompinettiste, trompettiste» autodidacte, l'école de Saint-Germain-Des-Prés, des Catacombes représentent la grande expérience de sa vie et la plus influente. Musicalement, pour celles et ceux qui me comprendront, l'improvisation manifeste d'une capacité à transcender une proposition musicale initiale, appelée (thème). Toujours présent, le thème se voit triturer, renverser, aplatir, remodeler, assassiner et finalement, il reviendra de ce voyage initiatique à la toute finale, et dans son intégralité.

Si on transpose cette donnée du «son au mot», alors on peut saisir les choix narratifs de Vian. Aller ailleurs, mais conserver la ligne directrice. Un train, roulant à vitesse impossible, sans véritable conducteur, mais bien ancrer sur sa voie ferrée. On parle de musicalité dans l'écriture, des allitérations, des formules antithétiques ou répétitives, des énoncés saccadés, sonnets mesurables et tant d'autres techniques, donnant au texte, sa singularité. Toutefois, sans négliger ces aspects essentiels, la musicalité de Vian s'étale en phrasés discontinues et fait appel, principalement, à la déformation. «Une limite limitative imitant l'imité. À la limite, l'imitateur l'imitera-t-il, et sans limites.» (Bon, c'est de moi, ne m'en tenez pas rigueur : D)) Donc, le «projet phrase» se dilue dans cette musicalité à miroirs multiples. Voilà qui me semble faire écho à une démarche, non pas (surréaliste) selon ce pseudo, d'une totale liberté de l'esprit, mais plutôt d'une ascension transporteuse d'une ivresse transposée.

DE CETTE MORT IMMINENTE

Nous savons que nous allons tous crever. Pourtant Vian, de par sa santé plus que précaire, vivait cette réalité, chaque jour, tel un moteur qui devait tourner plein régime. «Je voudrais pas crever», du recueil de poèmes éponyme, renvoie le signal de cette lutte contre la vie/mort, contre la montre, contre l'absurde, dénoncée, paradoxalement par l'utilisation de l'absurde. Ce poème déchirant à souhait, tels le sont ces quatre principaux romans : «L'Écume des jours, L'Automne à Pékin, L'Herbe rouge et L'Arrache-cœur», deviennent un véritable combat contre des sentiments, j'oserais dire «romantiques», que camoufle une écriture «musicaliste», telle que décrite plus haut. «Il ne voulait pas crever.» Ce sont des termes très durs, très concrets, très lourds de leur sens viscéral, très martelant, brutalement ciselés. Comme des coups d'enclume, de cloches de cathédrales englouties. Beaucoup à faire en peu de temps. Je ne peux que voir l'amour et la perte, aux travers de tous ses textes. Une grande fatalité et des larmes que personne n'aura asséchées, parce qu'invisibles. Boris Vian, postromantique ? Et pourquoi pas. Difficile d'utiliser le prénom Chloé, sans un petit pincement quelque part. Alors, voilà ce que j'appelle la boucle : La résurgence de chacune de ces structures imbriquées les unes dans les autres, au fil de l'écriture. Mourir à la musique, mourir aux mots, mourir à cette si belle Ursula, mourir à sa propre éternité, celle que nous laissent, pourtant, espérer les mots.

LE PIANO-COCKTAILS

Probablement, l'une des grandes images, appelée invention, que Vian propulsa tout au travers de ses textes. Au premier degré, c'est drôle et amusant. Poussons un peu plus loin. Qu'est-ce qu'un cocktail ? Alors là, je le classifie parmi les grands archétypes de ce monde. Au même titre que l'arbre et le feu, chez Yung. Le cocktail représente tous les possibles, les désirs, les passions, les autres horizons, ce que nous possédons tous, nos vœux les plus fous. Le piano agit ici comme l'objet fabricant le rêve (cocktail), Chacun, possède sa mélodie, elle est unique. Donc, voilà qui nous permet de créer le chemin des désirs, des envies, des passions, des demain, des joies, des tentatives les plus folles, et ce, dans une totale individualité collective, définition même de l'archétype, formule antithétique par excellence.

Il serait intéressant de disserter sur le personnage du «Major» un être sans scrupules, bon vivant, arriviste, ne s'interrogeant sur rien, mais agissant. Une caricature de la liberté. Un doublon littéraire.

Boris Vian, Satrape et prometteur de la grande Gidouille, mais n'appartenant pas au collège de pataphysique. Cet écart qui, subtilement, l'éloigne de Breton et de ce surréalisme aussi ambigu qu'incongru, fastidieux qu'astreignant. Le manifeste en guise de livre d'instructions. Beurk...! J'oublie la philosophie, cette profondeur «réflexive», lui venant de ses amis, dont Sartre tout particulièrement. On pourrait l'inclure dans la boucle créative. Structuralement, elle devient un second ancrage et une possibilité d'extension à ce fameux délire; terme galvaudé par excellence.  

AU FINAL - NOS FAMEUX DÉLIRES

Oui, Vian donne irrémédiablement l'envie d'emprunter son train. Mais attention :

«Djin n'est qu'un personnage vide de sens, qui créé des distensions dans mes textes, mais qui ne demeure qu'un os à la chair inexistante, personnage désincarné.» Je me prends en exemple, ça devient plus simple et moins hypothéquant pour d'autres…
Qu'illusions... Parade des métaphores amphoriques.

Alors, on rigole, mais ça n'a rien à voir avec l'acte d'écrire de Vian. Il y a une différence entre créer un mot et concevoir un monde. Même créer, ici, enlève à l'urgence de réagir, d'une rébellion en marche, une grande rébellion contre cette bordel de vie, qui à bout de souffle, vint à bout de Vian et bientôt de nous. Le voilà le véritable terme : L'URGENCE. Un stress quotidien, qui nous oblige à voir et à dire rapidement.

Serait-ce mon dernier texte ???

ERRATUM : Boris Vian faisait partie du collège de Pataphysique. Heureusement, ce «mouvement» fut créé, au départ, par Alfred Jarry. La vague «surréaliste» ne l'a pas inondé de ses palabres incongrus. D'ailleurs, le mouvement existe toujours et libre à vous d'en devenir membre. Merci
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