Victoire

Oskar Kermann Cyrus

Sur la terre, près de la mer, une chose attend. Ce n’est pas très grand, un peu noir, un peu blanc. Ça attend. Arrivé le soir, pas pour autant, c’est là sur le sable brillant du coucher de soleil, ça ne bouge pas ; ça n’a pas de nom. Ça attend. Ce n’est ni une pierre que vient lécher la vague curieuse, ni une algue, ni un bateau, ce n’est pas grand. Un peu noir, un peu blanc.

Attendre.

Ce n’est pas au loin, ni derrière, c’est là, devant la mer, face au vent. C’est long et curieux, c’est silencieux, on ne l’entend pas qui respire, mais c’est ici, sur le sable blanc, sous le ciel noir lumineux, ça attend. Pas un mouvement, pas un regard, pas un crachat. Sur la plage semi déserte, on l’ignore, ou on essaye… On passe devant. On l’écrase d’un pied sûr et volontaire, on s’en va. Ils l’oublient là, gisant sur le sable mouillé par la vague, là, ici, c’est ainsi maintenant. On innove, involontaire, c’est certain.

C’est ivre.

Ça cadence, ça balance, ça chaloupe un peu, et pourtant ça n’est pas en pleine mer. On croirait, oui, comme ça danse, là, allongé sur l’étendu sableuse et sale, comme ça chavire comme sur des vagues.
Ça se lève, ça se dresse comme un sauvage coup de talon, porté là en bas de son dos informe, c’est là, maintenant, parterre, qui décolle et puis vole, c’est comme de la fumée au bout d’une longue cigarette, qui danse et ruse, change, se déguise et fond comme un autre fantôme sur la lumière rouge où il est écrit « Exit ».
Ça bourdonne, ça siffle, c’est tout entier un long murmure sans respiration qui va en grossissant. Grand, gros, gras. Ça chante comme une machine de rouille et de fer, ça piaille comme un oiseau enroué, comme un cheval fatigué, c’est exténué : ça souffle, ça s’allonge, ça s’arrête.

Le serpent. Le grand serpent roi ténébreux des anges blonds du bon Dieu. Le long ver lombric boueux d’une terre humide et molle, sans racine et infertile. Le long serpent noir aux yeux verts. Qui siffle. Qui damne.

Qui danse.

Sur son front est marquée sa fureur de vivre. Sur son front, au dessus de ses deux yeux fermés – il est comme un poète, étendu là sur la plage, quand les passants l’enjambent ou l’écrasent – au dessus de sa face de vieux reptile fatigué et saoul, une trace d’écailles blanches, allant comme un « V ».

Le V de vaincu,
Le V d’étoile verte,
Le V de vivre,
Le V d’ivresse,
Le V d’ouvrir,
Le V de vent,
Le V du souffle sourd de la colère des gens.

Le V de Victoire.

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