Vie et Opinions de Mama Sam

clarethemadmary

Eblouie par un vilain soleil qui s’amusait à accueillir les touristes pourtant peu nombreux de l’aéroport à coup de brûlures violentes et vulgaires, Mama tira sur la laisse de sa valise à pâtes en direction du seul vieux à barbe aux alentours.

« Professeur Schnockite ?

- Yo. 

- Je suis Mama Sam. »

Un sourire niais fendit la barbe du bonhomme, mettant à jour des dents aussi jaunes que le pelage de sa face.

« Mama, enfin ! J’étais accoudé à cette balustrade depuis des lunes et, ne connaissant la raison de ma présence ici, je n’arrivais pas à m’en défaire. Le passage des touristes, les zéniths du soleil et le va et vient des charters incandescents, tout concourrait à me figer en produit fini du taxidermisme ambiant.

- Je suppose que ma quarantaine est ce qui vous a cloué ici. On aura du vous administrer un décrypteur d’informations personnelles.

- Je ne me ferais jamais à ces formalités douanières! Venez, il est temps de rentrer.»

Le professeur se dirigea vers le parking et s’arrêta devant un gigantesque pickup couleur pisse, ouvrit la porte côté passager. Un cri strident sortit de l’habitacle. Les banquettes boudinées du véhicule désapprouvaient de la silhouette anorexique de Mama et menaçaient d’étouffer leur passagère. Il fallu leur faire signer un pacte mutuel de non agression sur l’autel de l’aéroport.

Le soleil tombait, filant d’une traite du Zénith au Bercail. L’air glacial de la nuit rougissait les doigts et rigidifiait les lèvres bleuies des passants, donnant au paysage nocturne un aspect très eighties. Aux dires du professeur, cette étrange mutation était le fruit de manipulations génétiques effectuées par des chercheurs à qui le gouvernement avait demandé de faire en sorte que la population du pays puisse être qualifiée de race à part. Au final, les résultats étaient tout à fait positifs puisqu’aucun étranger ne se serait risqué à fricoter avec un autochtone. Mama enregistrait ces explications sur son dictaphone, espérant qu’il trouverait l’inspiration de transformer le tout en article percutant. Elle venait en effet d’y installer Scandale, dernier né d’une longue série de programmes informatiques offerts par le gouvernement pour promouvoir la liberté d’expression. Mama se plaisait à l’idée qu’elle contribuait au Salut Public dans son rôle d’opposition bienveillante. Elle espérait même obtenir une décoration un jour.

Le trajet se fit dans un silence de circonstance. La conversation de l’aéroport avait déjà abordé la moitié des thèmes autorisés par le quota journalier, quelques phrases de plus et l’équilibre des deux protagonistes aurait été dans le rouge. La psychologie cognitive avait en effet établi un régime pensée idéal et obligatoire. Mama se plaisait à l’idée qu’elle vivait à l’aube d’une ère nouvelle. Idée tellement répandue qu’elle ressemblait plus à une vérité générale qu’au fruit d’un raisonnement subjectif mais c’était très fréquent : la gestion de l’activité cérébrale permettait aux gens d’avoir une pensée parfaitement limpide.

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