vieil Ernest

Jean Claude Blanc

                                      Vieil Ernest

Colosse à la peau dure, cowboy de l’Illinois

T’aurais plus de cent ans on t’appelait Papa

T’aimais pas ton prénom, tu répétais souvent

Il faut se faire très mal pour écrire pour de bon

La guerre, les femmes et l’art ornaient ton drame intime

L’ombre d’une gonzesse, derrière chacun de tes livres

Un terrible cœur de lion, remarquable à la guerre

Foutu insupportable, de retour à l’arrière

Tu as eu quatre sœurs, quatre épouses éphémères

En trainant dans les bars, jouais avec la mort

De toutes tes maladies, t’en es toujours sorti

Du vieil homme et la mer, tu as sonné le glas

Tu te rendais à Pampelune, l’été aux corridas

Çà fait pas très tendance, ces joutes d’un autre âge

Toi ton adieu aux armes tu l’as exécuté

Coup de fusil dans la tronche, mort dans l’après midi

D’amours, d’aventures, tes romans ciselés,

Préférais débiter, mensonges enjolivés

Çà avait plus de gueule que les histoires vraies

Mythomane écrivain, de rêves, assoiffé

Si t’as mordu la vie, avec rage et folie

Pour servir tes passions, d’épicurien comblé

T’aimais te coltiner avec l’adversité

Pour toiser la bêtise, brûler les interdits

« Ce qu’il faut c’est écrire une seule phrase vraie

La phrase la plus vraie, celle qui jaillit d’un trait »

Comme Cézanne peint, écrire sans trucage

Adage évocateur «Paris est une fête »

Des vertes collines d’Afrique, au Kilimandjaro

Auréolé de neige, comme ta barbe fripée

Des Paradis perdus, aux îles à la dérive

Méditais près du fleuve au-delà sous les arbres

Pardon de dérouler, tes titres délicieux

Je salive d’avance, pour mieux les dévorer

Rejoignez les amis, l’ineffable conteur

Au-delà des soucis, le soleil se lève aussi

Le face à face cruel avec sa propre image

Çà demande du génie et même du courage

Je pense à toi souvent, penché sur mon ouvrage

Quand les idées me manquent, je déchire ma page 

Je nourris mes pensées, de tes leçons de vie

Avait bien du courage, le pêcheur d’espadon

Jusqu’au jour a lutté, pour dompter le dragon

Son travail achevé, il s’est laissé mourir

Victoire à la Pyrrhus, ni vainqueur, ni vaincu

Un petit éclairage sur une tranche de vie

Les héros de légende, n’existent que dans les livres

A l’écart des hourras, les braves jamais se livrent

L’important c’est d’agir, qu’importe le résultat

Etre en marche tout le temps, défendre ses valeurs

Pour laisser quelques traces, çà peut toujours servir

Pas laisser le champ libre aux imbéciles heureux

Jouisseur insatiable, amoureux de la chair

A la chasse, à la pêche, et même dans un pieu

Rituel de mise à mort du taureau dans l’arène

Théâtre de la vie, et de sa tragédie

Vieil Ernest pour moi, tu restes le modèle

Du viveur insolent, je tire l’inspiration

J’ai aussi mes lubies, qui clignotent dans ma tête

C’est à ce prix qu’accouchent mes modestes créations

On n’en trouve plus des guides, des mecs qui ont des couilles

Car « en avoir ou pas » on contourne l’obstacle

La société moderne tellement à la dérive

A rebroussé chemin, sur la voie de la raison

On n’a pas fait le deuil de la monarchie divine

On a tué le père, en sacrifiant Louis XVI

Croyant se libérer du joug de la vermine

Le peuple est en deuil des hommes providentiels

Quant à moi j’ai ôté mes pions de l’échiquier

Vers toi mon vieux Papa, je viens me consoler

Concocter à l’abri de toutes railleries

Tenter d’élaborer des rêves pour demain

Tartinait tes carnets à La Closerie des Lilas

Un prédateur de mots, acharné à parfaire

Un balèze à moustache, fallait pas t’interrompre

« Je suis comme un porc, aveugle quand j’écris »

Hommage à Hemingway viveur impénitent

Du haut de tes étoiles, t’as le temps de méditer

Un verre de téquila, des princesses à combler

Moi je t’envie parfois, tu dois bien te marrer.

Je t’imagine le soir, penché sur tes écrits

Raturant, griffonnant pestant à l’infini

Autres temps autres mœurs, pour moi c’est plus facile

De troquer le stylo, pour un ordinateur

JC Blanc                      décembre 2011

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