Vilain pas beau

Jean Claude Blanc

           Vilain pas beau

C'est le vilain pas beau, le dernier de la classe

il a toujours les doigts fourrés dans ses narines

on vient lui faire la nique, on lui fait des grimaces

lui il se tient assis dans un coin de la cour

des fois çà nous démange, on lui jette des cailloux

il a une gueule de chien à faire palir un mort

son tablier trop grand est partout rapiécé

même qu'il pue des pieds, il faut pas l'approcher

il est un peu voûté, toujours la goutte au nez

il ose le brigand tenter de faire la paix

on lui tourne le dos en haussant les épaules

personne n'a le goût de lui tailler bavette

le maître ne dit rien mais il n'en pense pas moins

lui a trouvé sa place au fond contre le mur

ses yeux clairs méditent le ciel à la fenêtre

il a la tête ailleurs il n'a rien d'autre à faire

il habite une masure juste à l'orée du bourg

ses parents ont des chèvres et une chiée de pilons

le vieux c'est un pochtron, s'en va casser des pierres

travaille à la journée, là-haut dans la carrière

c'est le vilain pas beau, on est vite baptisé

on désigne ses galères à force de surnoms

comme un témoin tendu à la génération

pas si simple que çà de vaincre ses démons

dans les villages perdus, il en faut toujours un

pour se colleter la croix la sienne et celle des autres

les sournois se défilent en refermant leur porte

Enfer et Damnation on en fait des légendes

c'est un petit garçon qu'a pas mal dégusté

le tain grisé de fumée, la peau sale comme un peigne

il traine son destin sur ses chemins de deuil

on se fout de sa gueule il en est désolé

un beau jour cependant, son père il est crevé

il était pas bien grand, l'école il a quitté

sa mère fait des ménages, il a repris les chèvres

il se tient à l'écart de peur de déranger

les années ont passé, comme on lit dans les livres

tout le monde est parti, les oiseaux envolés

il se dit au pays qu'il aurait réussi

çà laisse bouche bée, médecin à Toron

"sounailleur" qu'il était , on disait le pisseux

lui le vilain pas beau qu'on prenait pour un sot

il nous a fait la nique, pris sa part de soleil

c'est bien fait pour notre gueule, faut pas se fier aux ragots 

la chaleur du troupeau trop souvent nous enivre

on s'y croit à l'abri des affres de la vie

quand le malheur s'abat t'es seul au gouvernail

si t'es pas préparé tu restes là groggie

lui le vilain pas beau a vaincu ses tempêtes

malgré les moqueries ses secrètes misères

il s'est forgé en lui la soif de revanche

la vie est un récit, une chance à saisir

 

JC Blanc             février 2011

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