Violence sous anesthésie

Cathy Galliègue

Il y a eu les envies d'ailleurs de Lou, ou en tout cas, les envies d'être là où je n'étais pas.

La crise d'ado, débutée très tôt et toujours pas finie. Quitter le giron maternel, faire la grande, s'éloigner surtout de celui qui avait su nous terroriser et nous attendrir tout à la fois.

J'avais quitté son père par ennui quand elle avait sept ans. Je ne pouvais plus attendre dans ce désert intellectuel et me regarder crever sur pieds.

Je ne savais pas que j'allais emporter ma fille au cœur d'un cyclone d'une violence implacable, auprès d'un homme qui allait nous détruire, anéantir notre relation mère-fille déjà bancale.

Il m'a longtemps fait croire que je n'étais pas une femme battue. Il m'aimait. Il m'aimait trop et mal.

Notre relation fusionnelle nous emportait dans les excès. Il était bien trop sensible lui, mon beau musicien, mon batteur aux poignets et aux traits fins pour avoir envie de me faire du mal. I

l ne voulait pas… mais avec mon comportement, c'était inévitable.

Il ne pouvait pas supporter cette manière que j'avais de les séduire… tous.

Les amis se sont éloignés. Je suis restée seule avec lui, seule avec ma fille aux premières loges.

Toutes les deux toutes face à lui, avec la peur qui prend le ventre chaque soir. J'ai vite compris qu'il ne fallait pas chercher à discuter, à se défendre ou à désamorcer ce qui se mettait en marche invariablement dès que le mélange alcool et médicaments commençait à produire son effet dévastateur.

Rester dans un coin, essayer de mettre ma fille à l'écart, qu'elle aille dormir chez une copine ou qu'elle reste dans sa chambre. Et puis attendre.

Attendre le lendemain. Ses regrets, sa peine, ses excuses, ses larmes, ses bras qui redevenaient tendres comme un refuge, ses promesses.

Est-ce que j'avais déjà été aimée comme ça ? Non.

Est-ce que quelqu'un d'autre pourrait m'aimer comme ça ? Jamais ! Il me l'a dit.

Alors, je prenais soin de lui, le seul homme capable de m'aimer et j'étais sûre qu'un jour, il irait mieux.

L'amour peut guérir de tout… J'ai découvert les bouffées délirantes et leur crescendo. La folie qui s'insinue comme un poison dans vos jours et vos nuits, qui vous prend tout votre espace.

Il n'y avait plus que lui. Lui et son malaise, lui et sa souffrance, lui et le besoin que j'avais de l'aider, de le sortir de cet enfer, pour que le mien s'arrête enfin.

Pour survivre, je devais lui donner raison. Je n'étais pas vraiment une femme battue. D'ailleurs, je n'avais presque pas de marques. Quand il me tirait de mon lit par les cheveux, en plein sommeil, ça ne laissait pas de traces visibles. Quand il m'humiliait devant nos invités, enfonçant un doigt dans mon nez, me traitant de salope devant les regards gênés, quand il serrait juste assez mais pas trop, quand il me terrifiait avec son regard plein de haine et que j'entendais ma fille hurler, pas de traces.

Nous étions trop fusionnels, c'est ça ! Dans la démesure de l'amour qui fait mal parfois.

C'était, un jazz man, un écorché vif et j'avais eu la chance d'être choisie par cet homme qui m'emmenait dans son univers, dans sa musique.

Il y a toujours un prix à payer, toujours.

J'ai perdu le sommeil. La nuit, tellement de choses peuvent arriver. J'attendais le matin et partais travailler, épuisée.

J'ai quelquefois inventé des petites histoires pour une lèvre fendue, un œil amoché, mais pas trop souvent. Personne n'y a rien vu au bureau. J'étais juste “fatiguée“ à cause de ces foutues insomnies. Le médecin m'a prescrit un hypnotique. Un hypnotique…

Voilà ce qu'il me fallait. Cinq ans d'hypnose médicamenteuse pour me plonger dans le coton et ne plus rien voir ni sentir. Tout pouvait arriver, je n'en gardais que de vagues souvenirs et si rarement des marques. La chimie m'offrait un voyage quotidien vers le néant.

J'attendais le soir avec impatience, avalait ma pilule et même en pleine lumière, pour moi, c'était la nuit.

Ma fille, elle, n'était pas sous hypnose.

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