Violentina

keilasilion

Le thème : la violence faite aux femmes et son évolution dans une société dite civilisée .

Six ans Violentina

Il fait sombre malgré la petitesse de l'appartement j'ai peur de m'aventurer toute seule dans le couloir qui me sépare des toilettes . Papa et maman nous ont bien averti . Nul n'a le droit de sortir de la chambre après le souper . Mais ma vessie qui n'a que six ans implore qu'on la vide . Je me mords les lèvres et saute à pieds joints hors de mon lit . Le plancher craque mais pas à cause de sa vétusté mais à cause des petites bêtes qui y logent la nuit . Notre appartement est envahi de cafards depuis quelques mois déjà et rien y fait . Au début j'avais peur mais maintenant je m'ingénue à les éviter comme si j'étais une aventurière . Je pousse la porte qui grince . Je dois éviter les cafards et de réveiller mes parents .

Si c'est le cas , je vais me faire gronder .

Je me fais toujours gronder . Je viens de me faire prendre . J'entends papa qui se lève et ses pas lourds. Ses mains qui serrent mon petit bras . Et sa voix qui siffle et qui bourdonne à mes oreilles . Je ne pleure pas , la peur balaye mes larmes . Quelle calvaire quand on a six ans et une vessie minuscule .

Douze ans Adèle

Je sors enfin du collège , sac à bandoulière sur les épaules avec hâte d'y retourner cette après-midi . Sans grande motivation je vois la voiture de mon père venu soi-disant me chercher pour le repas du midi . Je sais ce qui va se passer comme toujours , il va m'oublier . Le cœur lourd je me dirige vers son café habituel , il est là avec quelques uns de ses amis à qui je dois faire la bise . Je n'aime pas ça , ils sentent la bière et les cigarettes . Mon père me jette un regard désinvolte en me tendant les clés et me demande de l'attendre dans la voiture qu'il arrive , qu'il me ramène bientôt à la maison , qu'il sera là ... Mon calvaire sur la banquette arrière dure trente minutes , j'ai des nœuds à l'estomac , j'ai faim . Je vois certains de mes camarades avec leurs autres parents une baguette à la main en me souriant tristement . J'ai l'impression d'être en cage . Finalement mon père arrive sans m'adresser un mot mais avec la main tendue juste pour récupérer ses fichues clés ! Une main c'est tout ce que je lui demande pourtant . Vivement que je retourne au collège cet après-midi et demain et les autres jours .

Quinze ans Mathilde

Je sors du bahut avec une dalle à me faire décrocher la mâchoire . Et pourtant c'est en trainant des baskets que je m'en vais chez moi . Est-ce qu'il sera là ou pas ? Notre paternel . Oui car il a une fichue tendance à être porter sur la boisson , la bibine ..Et il est sacrément doué pour faire passer des religieuses pour des caves . En ce moment il s'arrange pour inventer de nouveaux jeux . Celui qui le premier sortira de table le ventre vide et affamé . Ma mère ? Elle est encore en vie mais elle ne moufte pas . Il est fort en gueule le paternel et les mains baladeuses et lourdes . Alors motus et bouche cousue sinon vous vous en prenez une . C'est comme ça , l'alcool le rend méchant et nous du coup pas vraiment gaies . J'arrive ça sent bon , alors je croise les doigts . Je n'entends pas mon père . Il n'est pas rentrer ou est-ce une ruse ? Deux cas de figure s'offrent à moi . Soit je me dépêche d'avaler rapidement ce que ma mère prostrée me sert ou j'attends poliment qu'un truc de moche me tombe sur le coin du nez . Finalement , on commence sans lui ce qui est assez rare car d'habitude on attend que le maître est posé son séant sur sa chaise avant de commencer les hostilités . J'en suis à enfourner mes haricots verts dans ma bouche quand on entend la porte s'ouvrir . Mon père a une voix bizarre . Il commence à crier pour rien simplement parce qu'il en veut au monde entier et le monde entier c'est nous . Il bouscule ma mère , l'injurie et lui demande son repas . Elle ne dit rien baisse les yeux . Et dans les miens il peut apercevoir toute la haine du monde . Il grince des dents , son couteau à la main et me traite de moins que rien , que je suis nulle , que je n'arriverais jamais à rien . Il demande à ma mère de le servir ce qu'elle fait sans objecter la moindre résistance . Je n'arriverais pas à finir mon repas . Je me lève et me dresse fièrement contre toutes ses attentes . Regarde sa lame sans trembler . Il a le regard flou , il ne me voit pas mais m-a t-il ne serait-ce qu'un jour entrevue  ? Je quitte la table et les laisse seuls . Dans ma chambre , je peux entendre mon père reprendre une voix totalement normal sans grésiller le moins du monde  . Il a gagné et moi j'ai encore le ventre à moitié vide !


Dix sept ans Sophia

Je suis angoissée normal j'attends les résultats , pourvu , pourvu ...Oh et puis qu'est- ce que ça peut faire si je ne l'ai  pas ? Rien je me suicide c'est tout . Á quoi bon vivre , j'en ai marre de faire semblant . Aie confiance en toi ce ne sont pas mes parents qui me le disent mais moi .J'ai des cernes à ne plus pouvoir voir ..Bien sûr ils ne m'ont pas accompagné , ils n'en ont rien à faire . Les autres parents dans la cour ont aussi l'air angoissés que leurs enfants . Ils se tiennent tous ensemble par la main . Soufflent des mots rassurants . Le baccalauréat n'arrive pas tous les jours . Finalement les surveillants et les professeurs s'affairent et commencent à orner les murs des fameux résultats tant attendu . Une amie me crie dans les oreilles et se tournent vers ses parents . Je parcoure les feuilles , esquisse un sourire fatigué et repart à pied chez moi . Quand je rentre , mon père est à la maison une tasse de café à la main et ma mère qui regarde une série télévisée . On ne me demande rien . Je m'installe face à mon père . Il daigne lever ses yeux sur moi : Alors ? Je sais qu'il n'ose pas .

Je prends mon temps et en souriant lui réponds que j'ai été reçu . Sa réaction ne se fait pas attendre . Il ferme le poing et tente de m'administrer une gifle . Certains rêveraient d'un bon repas , du permis de conduire , de fêter ça  .

Moi c'est un simple félicitation .

Trente ans Clarisse

Je le sens . Il m'observe . Et depuis quelques temps je reçois des coups de téléphone étranges sans personne au bout du fil .

Rien pas un son , et je sais qu'ils sont cohérents que cela correspond à des dates précises mais pour qui ? Pour quoi ? Je ne comprends pas qu'on puisse harceler les gens comme ça . La violence psychologique est une des plus monstrueuses en soi . Dans la rue , je me mets à observer les gens qui croisent mon chemin en me demandant si cet individu va passer à l'acte . Un sourire amical me glace le sang maintenant . Il est peut-être assis dans la même rame de métro que moi ? Sur le quai ? Il m'a peut-être frôler ? J'en ai parlé à des amies et le plus effrayant c'est que la majorité d'entre elles ont déjà été confronté à ce genre de sévices intellectuelles .

Le pire est de penser que ce qui est anormal dorénavant dans une société dite civilisée est de ne pas avoir subi ce genre de sévices intellectuels .

Que la normalité est ennuyeuse . Et que tous les dérapages sont possibles . Clarisse est en colère , demain elle appelle son opérateur téléphonique pour voir ce qui est envisageable de faire .

Elle va se battre . C'est décidé .


  • Merci Camishka oui j'écris beaucoup trop vite généralement c'est une pulsion pour la plupart des textes que je mets ici hormis ceux dit " concours " comme les fourberies d'escarpins ..Tu es libre de me dire les soucis je n'y vois pas d'inconvénients au contraire , merci pour ton regard :)

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Tumblr n7olj05nv81s6zt76o1 500

    keilasilion

  • Quelques petites erreurs de syntaxe selon moi, mais texte vraiment poignant et fort sans sombrer dans une violence gratuite et voyeuse! Bravo

    · Il y a plus de 9 ans ·
    P1060281

    camishka

  • Oui, c'est un thème qui m'est cher également.
    Et oui, il faut continuer de se battre et ne pas détourner les yeux, quand on en est témoin.
    Sur la violence faite aux femmes dans le passé et aujourd'hui dans la société, j'ai écrit deux textes également : "rester debout" et "Le rire est-il le propre de l'homme ?"
    http://welovewords.com/documents/rester-debout
    http://welovewords.com/documents/le-rire-est-il-le-propre-de-lhomme

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

    • Difficile de détourner son regard de soi-même puisque la société invite tous ses contemporains à danser la fameuse danse de Narcisse ..Mais tant qu'il y aura des aveugles comme nous tout espoir n'est pas perdu ..

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Tumblr n7olj05nv81s6zt76o1 500

      keilasilion

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