Virile

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VIRILE

Synopsis :

Responsable de collection chez M. Editions, Marianne Ney, 34 ans, est désagréablement surprise en découvrant qu’une de ses anciennes amies, Audrey Menir, vient de rejoindre l’entreprise. La jeune femme craint en effet que cette arrivée ne bouscule ses habitudes de travail, entre les auteurs dont elle s’occupe et ses collègues plus ou moins sympathiques: son amie Julie, l’inoffensive Eliane, la redouté Marie-Hélène, numéro trois dans la hiérarchie de M. Editions, ou encore son supérieur, Simon Darovich. Tandis que les deux ex-amies renouent péniblement un dialogue jadis interrompu dans la douleur, l’écrivain Laurent K. est débauché par M. Editions. Ce dernier se montre aussitôt entreprenant avec Marianne, mais celle-ci, appréciant peu les flirteurs en série, reste sur ses gardes. Cependant, lors d’un pot de départ plutôt arrosé, Marianne laisse tomber ses défenses et se retrouve… les lèvres collées à celles de son patron, Simon Darovich. Très vite dégrisée, notre héroïne s’en mord les doigts jusqu’à son retour au bureau, craignant le pire pour son avenir professionnel. Honteuse, elle préfère garder le secret de cet «accident», surtout quand Audrey lui avoue ne pas être insensible au charme mutique de Darovich.

Un autre auteur vient alors brouiller encore davantage les cartes : Khalie Bluval, écrivaine à succès et à scandale, rejoint en effet l’écurie. Lors du lancement de son dernier roman, «Pute d’amour», Khalie se montre ouvertement attirée par Darovich. Mais ce dernier semble plus intéressée par Marianne. Nimbée par les vapeurs d’alcool - qu’elle ne tient pas -, la jeune femme répond aux caresses de son patron, mais parvient néanmoins à garder une certaine intégrité corporelle. Le lendemain, ses confidences à son amie Julie ne l’empêchent pas de sentir grandir l’inquiétude quant à ce qui l’attend. Aussi préfère-t-elle mettre fin à toute amorce de relation avec Darovich, qui accepte à contrecoeur sa décision. Cependant, le pot de Noël change à nouveau la donne, les deux collègues, lassés de s’éviter, devenant amants.

Marianne tente néanmoins de mettre les choses au clair, mais hésitante quant à ses sentiments, elle entame un jeu - involontaire - du chat et la souris avec son patron. Jeu auquel se mêle Khalie, toujours entreprenante, et Laurent K., lequel, cependant, se rapproche aussi d’Audrey. Lors d’un séminaire en Suisse, Marianne réalise que, quel que soit le degré de complexité de la situation, Simon Darovich fait désormais partie de sa vie.

De retour à Paris, elle découvre alors la vraie nature des relations entre Laurent K. et Audrey ; loin d’être amants, le duo espère conquérir chacun un membre du tandem Marianne-Simon. Laurent K. finit par avouer à demi-mot à Marianne qu’il espérait autre chose entre eux, tandis qu’Audrey passe à l’action avec Darovich. Mais un sursaut de Marianne, ainsi que l’attitude sans équivoque de son amant, permettent de contrer Audrey.

Etant sûre de ses sentiments comme de ceux de son collègue, Marianne accepte de se livrer, enfin, à ce dernier, et d’envisager un avenir à deux.

La suite est une autre histoire…

 Chapitre 1 (extrait)

Entre nous, on l’appelle le gynécée. L’édition jeunesse est un royaume de femmes - et aussi, forcément, un ghetto - dont le Festival de Montreuil est la grand messe. Une volière, dirait un de mes anciens patrons, amateur de remarques sexuées. Un maximum de blondes décolorées en fin de quarantaine, en tailleur et hauts talons, dominant une armada de petites mains sensiblement plus jeunes aux prénoms fleuris - Lila, Violette, Pervenche - dévouées en attendant leur heure.

C’est là, entre deux étals de piles de livres aux couvertures colorées, que j’aperçois un visage inédit dans ce décor.

“Ah, Marianne ! Viens, que je te présente notre nouvelle assistante marketing !”

Eliane Gosn, attachée de presse de M. Editions, m’interpelle avec de grands gestes impossibles à rater.

“Elle va travailler avec Jean-Claude sur la collection Jeunesse de Julie. Audrey nous rejoint officiellement dès lundi.”

Je ne la coupe pas dans son élan pour lui signaler que je connais déjà le prénom, et le nom, de la jeune femme qui me fait face.

Audrey Menir semble moins surprise que moi de nos retrouvailles. Sans doute a-t-elle être briefée sur l’organigramme de la société. Elle reste néanmoins figée, un sourire fuyant perché au coin de lèvres. Soyons professionnelles, pensais-je, en me penchant vers elle - je la dépasse d’une tête et demi - la main tendue.

“On se connaît, dis-je pour jouer franc jeu - après tout, on a passé l’âge de faire semblant et de mentir, du moins dans certaines situations. Sois la bienvenue.

- Merci.”

Puis je me tourne vers les débris de toasts sucrés-salés qui s’étiolent sur leurs plateaux en métal.

“La crise n’en finit pas, on dirait, ricane Julie dans mon dos.

- C’est pire que l’année dernière, non ?

- Je crois. A côté, c’est carrément cacahuètes et mousseux.

- On a de la chance, avec nos canapés aux figues tout moches.”

Julie est plus qu’une collègue, c’est une amie, et la seule personne ici présente devant qui je peux me montrer telle que je suis sans que cela prête à conséquence. Mais sa présence ne suffit pas à endiguer la tension qui me crispe depuis l’intrusion d’Audrey M. dans ma sphère professionnelle. Je me rue donc sur un de ces canapés aux figues (et fromage ?). La bouche encore pleine, je demande à Julie si elle a été présentée à la dernière recrue du marketing.

“Oui. Une timide. Mais séductrice, aussi.

- Tu ne crois pas si bien dire. En fait, je la connais.

- Une copine ?

- Pas vraiment, ou plutôt plus vraiment, plus du tout, même.

- Ouh là ! Ca a l’air compliqué, votre histoire !”

J’attrape un verre de vin blanc, indispensable pour faire descendre le toast. Depuis que j’ai été bousculée avec du rouge dans les mains et sur mon chemisier préféré, j’évite les boissons qui tachent.

“On s’est perdues de vue, mais à une époque, on étaient très proches.

- Tu ne l’avais pas vue depuis quand ?

- Je dirais… quatre ans ?

- C’est marrant, la vie. Tu la retrouves maintenant, dans la même boîte que toi !

- Marrant, bof. Je n’aime pas voir resurgir les fantômes du passé, surtout ceux qui sont poil-à-gratter.”

Eliane poursuit les présentations auprès d’autres collègues. Audrey a toujours sa gestuelle apprêtée d’actrice américaine, mains virevoltantes aux ongles impeccables et dodelinements de tête assortis. Elle est stressée. Normal, dans cette situation, mais l’ai-je jamais vue détendue ?

C’est curieux comme une simple vision peut faire resurgir des souvenirs depuis longtemps enterrés. Un regard sur ses mains fines et la boîte de Pandore s’ouvre.

Audrey a fait partie de ma vie pendant des années. A deux reprises, elle a été très présente ; c’est peu de dire qu’elle avait une forte emprise sur moi. Et à chaque fois, elle a disparu. Ou plutôt, la première fois, c’est moi qui ai fui, la seconde, c’est elle qui s’est évanouie dans la nature. Chacune imposant à l’autre la séparation. Quand je songe à “nous”, ce sont bel et bien des mots réservés aux couples qui me viennent à l’esprit. C’est ce que nous étions, à l’adolescence, et c’est ce qu’elle espérait revivre lors de nos retrouvailles. Mais avec l’âge et les tourments acnéiques, la fusion s’en était allée. Plus de relation exclusive, toi et moi pour toujours à la vie à la mort, et contre le reste du monde. A vingt-cinq ans, la pureté, l’exigence, la folie d’une telle relation ne tient plus, l’existence s’étant révélée complexe, truffée d’aspérités et guidée par la nécessité de penser d’abord à soi avant de songer aux autres. Et puis, je n’étais plus contre le monde, je vivais désormais dedans. Je me gavais des autres, de l’extérieur, de nouveauté et de différences. Elle, au contraire, était restée telle qu’elle était jeune fille : sauvage et effrayée par tout ce qui n’était pas elle. Ou moi, son prolongement. Terrifiée par la résistance et la contradiction, et le fait de ne pas plaire à tous. Blessée d’avance de ne pas toujours être le centre de l’attention, la plus jolie ou la plus admirée.

En vérité, c’est moi qui ai fini par la blesser en évoluant. Elle l’a vécue comme un abandon, une trahison.

Qui est-elle, à présent ? A-t-elle changé ?

A cette minute, je prends la résolution de ne pas faire de fixation sur elle, et de garder mes distances pour de bon.

“Tu sais si Daro passe, ce soir ? me demande Julie à point nommé, coupant court à mes ruminations.

- Sûrement. Cette soirée est importante pour lui, il faut bien qu’il se montre et serre quelques mains. Peut-être même passera-t-il nous faire un petit coucou ?

- En bon global leader de la boîte, il a intérêt… Le moral des troupes en dépend. ”

Julie a raison. Notre redouté patron a une réputation à tenir. Celle de super meneur d’hommes, et surtout de femmes, puisque nous sommes dans une entreprise où le beau sexe est sur-représenté. Simon Darovich n’est en réalité “que” le numéro deux de M. Editions - le numéro un plane dans des sphères inaccessibles aux communs des mortels que nous sommes, celles des riches hommes d’affaire qui vendent avec autant de facilité livres, yaourts ou missiles nucléaires.

Mon esprit revient à Audrey. Tout de même, elle ne pouvait pas se dégoter une autre entreprise ? Je prie intérieurement pour que sa présence n’affecte pas, de près ou de loin, ma routine professionnelle. Passée la surprise de l’avoir revue, j’angoisse à l’idée de devoir côtoyer régulièrement un de ces fantômes que je croyais enfoui à jamais sous une épaisse couche de glace anesthésiante.

Le lundi suivant, la moitié de l’équipe éditoriale est absente, et l’intégralité du département communication événementielle également.

Les couloirs tout en transparence sont déserts, enveloppés dans un silence d’apesanteur dont on ne profite qu’à des moments précis de l’année - le lendemain d’importants salons, entre Noël et le jour de l’An, et autour du 15 août.

Je n’ai pas revu Audrey depuis l’inauguration, le mercredi précédent. Zappées, les craintes de la soirée, d’être mal à l’aise en sa présence. Je devrais peu la croiser d’ailleurs, étant données nos fonctions respectives.

Tandis que je relis les épreuves d’un roman chinois traduit au pied de la lettre sans aucun scrupule pour la compréhension du futur lecteur, Jean-Claude de Lyun, notre pétillant numéro quatre, frappe à la porte de mon bureau.

“Marianne, Darovich veut nous voir, avec Julie, Marie-Hélène et quelques autres. On se retrouve en salle de réunion ?”

Deux minutes plus tard, m’interrogeant toujours sur le côté obligatoirement poétique d’une certaine littérature asiatique, me voici coincée entre Jean-Claude et Marie-Hélène Constant, numéro trois de M. Editions.

Une maîtresse femme, qui prend la parole sans laisser le temps à ses collaborateurs de s’asseoir, imposant le silence d’un battement de cil. La voix est ferme, le volume ni trop fort, ni trop faible, le débit un peu lent façon “que je me fasse bien comprendre”. Le ton est sec, comme le personnage dans son entier.

Elle entame son discours introductif en précisant que cette réunion est informelle, qu’il s’agit simplement d’une “mise au point” sur “des éléments dont nous rediscuterons par la suite de façon plus officielle”, mais qu’elle tenait à profiter de ce que “nous sommes peu nombreux aujourd’hui pour évoquer quelques points méritant réflexion”.

Comme toujours, je décroche assez vite - les monologues de réunion ne sont pas ma tasse de thé - prenant cependant un air concentré, fixant tantôt la pointe de mon stylo, tantôt les lunettes à monture d’écailles de Marie-Hélène. Une technique qui permet de suivre à peu près ce qui se passe alentour, même de loin. Julie réprime un bâillement, tandis que Darovich, à l’autre bout de la table ovale, admire le gobelet de café posé devant lui. A sa droite, Carole Millieri, son assistante, prend des notes. Les autres convoqués ont tous un air absent - sans doute l’effet gueule de bois post-salon conjuguée au retour de week-end, le tout renforcé par l’infantilisant malaise que Marie-Hélène dispense, volontairement ou non, à l’encontre de ses collègues.

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