Volutes

dik-rane

Je suis l’excellence ; ce qu’il se fait de mieux. La perfection portée à sa quintessence. Mes quartiers ne noblesse sont sans égal. Qui pour rivaliser ? : L’acuminiata, minauderie incarnée ? Le forgetiana, dont le seul nom invite à l’oubli ? Le paniculata, croyez-vous ?… la pornographie ne concourt pas dans ma catégorie ! Le quadrivalvis ?… quel nom clinquant pour des performances qui déçoivent la promesse présomptueuse !

Ils ont beau faire, s’échiner à longueur de journée, se découvrir pour attirer la lumière, le constat est sans appel : je ne souffre d’aucune comparaison.

Je suis Prince de sang.

Mon allure altière force l’admiration et l’intérêt. Et puis quelle vigueur : en a-t-on déjà croisé des robustes de ma sorte ? Robuste mais souple, raide sans être rigide ; je sais m’adapter et magnifier mes atours, voilà mon secret. Aussi ma réputation n’est plus à établir. Planétairement célèbre et révérée ! Hilton et Kardashian peuvent se rhabiller… pauvres chéries ! 

J’ai lu que dressée, j’étais pubescente et visqueuse au toucher. Voilà une description fort désobligeante et impudique à mon endroit. Je pourrais m’en formaliser, je devrais m’en formaliser… las… tout est à l’avenant. Des envieux !  

Je porte beau certes mais qui se soucie de mon moi profond ? Je suis fragile comme tout un chacun, pas moins. Je ne me fais pas de bile, je n’irai pas jusque-là. Pourtant je les entends – que croyez-vous, silence ne signifie pas surdité !- ; ils ne se privent pas d’avis envenimés et grossiers ! Ecoutez-les à mon sujet : «  rugueuse, odeur âcre, agressive, hermaphrodite ». Ils salissent tout.

Tout avait débuté au mieux pourtant : j’avais été introduit à la Cour, au plus près de sa Majesté. Mes mérites étaient reconnus et vantés et il me fut aisé de pourvoir aux soins du Dauphin : ma poudre fit des merveilles ! Dès lors j’obtins le titre officiel et jalousé d’« herbe à la Reine ». Séduisante appellation, n’est-ce pas ? Qui peut-en dire autant ? J’attends…

Ce n’est pas que je sois sensible aux honneurs… mais enfin…

Comprenez-vous mieux mon désarroi ?

Comment peut-on déchoir à ce point alors que je n’ai eu de cesse d’accroître mon rendement (ma productivité, c’est le terme consacré de nos jours) et ma qualité ?

Oui, je le reconnais, je me suis étourdi de mon succès et peut-être ai-je succombé à la tentation de la facilité alors que dans l’ombre s’ourdissaient les complots les plus infâmes. M’en blâmez-vous ? Ah il est bien facile de s’ériger en donneur de leçon ex-post !

C’est ainsi que je suis passé d’un extrême à l’autre (que de talents à mon actif !) : autrefois louée me voilà ennemie jurée de la santé publique. Longtemps j’ai cru que la protection des Puissants, j’entends par là des autorités régnantes, quelles qu’elles fussent, royauté, empire, république, longtemps donc, j’ai cru qu’être placé sous leur protection et leur réglementation me protégerait des Vilains qui voulaient m’éradiquer. Je me fourvoyais : j’étais prisonnière de rapports de force mouvants et incessants. Mon destin était scellé, je l’ignorais.

Aurais-je du m’insurger quand s’est développé cet usage vulgaire de la cigarette ? Aurais-je du exiger (exiger n’est pas dans ma nature) ne devoir être utilisée que pour fourrer le foyer d’une pipe ou enveloppée dans une belle feuille séchée en cigare ?

Je suis la Nicotiana tabacum, la seule, l’unique. Celle qui régale les palais, les bronches et les nez depuis près de cinq cents ans. A ce titre, je réclame les égards dus à mon rang. Est-ce ainsi que j’aurais dû protester ?

Le coup de grâce est venu de l’abandon du pot à tabac pour me conserver. J’étais à mon aise pourtant, dans cette pénombre douce et protectrice, contre des parois de faïence douce, traitée avec égards et délicatesse. Combien de fois ai-je attendu les caresses des doigts qui s’enfonçaient en moi, me fouillant et me défaisant, me dilatant, m’emprisonnant avec vigueur dans une paume avant de me laisser recouvrer la liberté ; soumise à leur merci, esclave de leur volonté j’en frissonnais de plaisir et redevenais toute tendre et humide.

J’ai du bon tabac dans ma tabatière, j’ai du bon tabac, tu n’en auras pas ! Tu parles !

C’était le bon temps !

Les rustres lui ont préféré l’usage d’une pochette dérisoire et misérable : une blague à tabac. Et vas-y que je te compresse à en étouffer, avant d’être insérée dans la poche arrière d’un pantalon. Ecrasée à même la fesse ! Quelle vulgarité !

Une triste fin, une mauvaise blague, quoi !

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