Volutes

petisaintleu

Lorsque je t'ai croisée la première fois, je peux le dire sans ambages et sans fausse pudeur, j'étais jeune, innocent, boutonneux malingre et emprunté. Plongé entre mes lectures de Huysmans ou de Lautréamont et un onanisme effréné, je cherchais la voie qui me libérerait de mon mal-être. Et toi, tu arrivas et tu me donnas le change.

Ta blondeur et des rêves d'Amérique accompagnaient ta réputation sulfureuse. Je ne me faisais aucune illusion à ce sujet et, tacitement, les règles du jeu étaient établies. Si je les acceptais, je me soumettrai à ton diktat. Tu tirais parti de ton âge. J'en prends conscience désormais, tu étais ce que nous nommons à présent une cougar. Les dés étaient donc pipés par le fossé de mon inexpérience face à des décennies où tu avais façonné ton image dans le but de me piéger. À dix-huit ans, comment ne pas être happé par la sirène qui me permettrait de franchir enfin le cap de l'immaturité ?

Je chavirais, hypnotisé par tes atouts : une physionomie étonnamment longiligne représentant à mes yeux la quintessence de la finesse et de la spiritualité. Je n'en doutais pas. J'étais monté à la capitale avec l'espoir de sortir du carcan provincial qui m'étouffait. Tu m'ouvris les portes du bon goût et me servis de medium mettant un terme à ma timidité. Grâce à toi, je m'abouchais avec des étrangers.

Fidèle à ton dessein d'engranger les conquêtes et hermétique aux dommages collatéraux engendrés par ta dangerosité, tu tissais insidieusement ta toile. De mon côté, et englué dans les difficultés pécuniaires, je ne craignais pas à sauter un repas, préférant crever la dalle. L'amour rend aveugle et peu comptaient les borborygmes de mon estomac. L'essentiel était d'avoir en poche deux francs six sous. Je te rejoignais dans un bistro étudiant branché où nous refaisions le monde autour d'un verre.

Les années ont passé. J'ai rencontré Angélique, Marie-Laure, Caroline. En dépit de tous leurs efforts à me convaincre, je ne parvenais pas à t'oublier. J'avais le vice en moi, le diable au corps. J'étais suffisamment persuasif et candide et te retrouvais, quels que soient l'heure et l'endroit. Souviens-toi, La Clusaz et nos effusions en haut des pistes alors que Marie-Laure les avaient dévalées. Et les excuses pour me rendre chez l'épicier et y acheter du Coca ? Juste cinq petites minutes, le temps de sentir ton souffle et t'effleurer du bout des doigts... Jusqu'à promettre à genoux de cesser mon addiction. Je réalisais que tu avais constamment le dessus. Tu étais la plus puissante et tu connaissais parfaitement les habitudes qui nous attachaient.

J'ai quarante-huit ans. J'ai pris des coups, j'ai mûri mais j'ai survécu. Il faut bien constater qu'en pensant à toi, c'est une vieille pute qui me vient à l'esprit. Tu es décatie et on n'hésite plus à te mépriser. Qu'importe ? Même traînée dans la fange, tu dégoteras toujours un puceau à déniaiser. Nos relations sont depuis longtemps purement hygiéniques. Je dois te l'avouer, cela me pèse de te voir. Quand tu m'appelles, j'ai de plus en plus la sensation d'être un cheval fatigué que l'on mène à l'abattoir.

Ma décision est prise, elle est irrémédiable. Tu auras beau essayer de me hanter. Je sais que je vais en baver. Des nuits à te suer par tous les pores. Tu seras succube. On ne rompt pas un quart de siècle de passion impunément. L'affection que je porte à mes enfants et la peur qu'ils aient un jour à me reprocher ma lâcheté sont les plus forts.

Adieu, Nicotine.

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