VOUS REPRENDREZ BIEN UN PEU DE MONDRIAN ?

Isabelle Revenu

Dans les soirées huppées de la Jet Set parisienne, entre les amuse-bouche, les gâteaux colorés et multiformes, les petits fours et les pyramides de Veuve Clito, il y a cette foule bigarrée qui se presse pour connaitre les ultimes potins, retenir le dernier salon où l'on cause ou approcher un photographe. De préférence un de Vogue...

Déjà plus de sushis. Ni de tomate-thon-mayonnaise. Bon, faut que je tente une percée pour arriver au buffet. Pas simple de manoeuvrer avec un plateau long comme la coque d'une pirogue en équilibre.  Il faut slalomer astucieusement entre les main-chevalière-peu-discrète, les cigarettes à bout doré et les décolletés outrageusement tendus par des artifices quelconques.

 

- Paaaaaaardon monsieur...Excusez-moi médème....Un doigt de Clito, monsieur ?

Oh pouah  !!  Beurk, les relents de vieux garçon et de blonde vénitienne de seconde zone. Je ne sais pas comment ils réussissent à pénétrer dans le Saint des Saints ainsi. Cette eau de toilette est d'un vulgaire...Ah bon, c'est le nouveau Larroza ? A la violette de Parme ? Vous m'en direz tant.

Bon mon gars, un conseil,  essaie de te la jouer cool hein ?  La soirée ne fait que commencer et si tu fais le con, t'es pas certain de retrouver un taf pareil... Zen alors.

Ah, en voilà une qui sait joliment faire la distinction entre un habit réglementaire d'extra et le costume qui-en-jette d'un proprio de yacht.

Non médème je n'ai jamais foutu les pieds à Juan-les-Pins. Pas plus que vous ne m'avez vu sur la Promenade des Anglais en décapotable. J'habite une banlieue triste et je n'ai qu'une vieille mobylette pourrie.

Toujours les mêmes qui se pressent poitrine faussement conquérante et fausse tout court devant le buffet aux sushis.

- Très chèèèèère, j'ai lu dans le Biba de la semaine dernière que le poisson cru possédait les meilleurs  Ω !! J'en ai mis dans mon Vuitton pour le petit déjeûner demain matin.. Ceux-ci viennent de chez Saint Clair dans le Neuf Deux. J'ai les moyens aussi vous pensez mais chuut tant que c'est gratuit, on aurait tort de se gêner pas vrai ?

Elles poussent le snobisme jusqu'à parler en grec. Ω pfff...Et poussent le vice jusqu'à s'encanailler dans le Neuf Deux.

Celles-là lorgnent malgré elles sur les tomates-maillot comme elles les appellent.

- La mayonnaise c'est pas ce qu'il nous faut pour le régime n'est-ce pas chérie, mais c'est si bon. Je craque, pas vous ?

Pff quelle sale manie d'éteindre ses clopes dans les fonds de verre. Ca pue ! Je n'en peux plus bon dieu, j'ai mal aux orteils et puis..cette musique de fond ! Je ne sais pas ce qu'ils peuvent trouver de bien dans cette nouvelle technique musicale. Enfin quand je dis musique, c'est plutôt des cris de sauvages, de bête acculée...Ils disent comment déjà ? Ah oui, de la musique instinctive....Vivement ce soir, la douche et zou !! Un bon Django et Where are you my love ....Je ne sais pas où tu es, j'espère juste que tu penses un peu à moi. Moi je t'ai en stéréoscope. Et en permanence.

Une rousse flamboyante maquillée pour le Centre Pompidou se colle contre moi et me plaque une bise. Le rouge de ses  lèvres me monte aux joues. 

- J'adooooooore la couleur de vos yeux cher monsieur ! Votre veste ....!!!

Non médème, ce n'est pas un blazer dernier modèle de chez Gucchi, c'est un uniforme de serveur tout ce qu'il y a de plus basique.

Je repars en cuisine, il n'y a plus de sushis.

Ce soir faut que je pense à réserver une chambre pour le Best de la Country de Noeux-les-Mines. En demi-pension avec vue sur le parking. L'année prochaine à Carhaix au festival des Vieilles Charrues et dans deux ans, Bourges en pension complète pour le Printemps. Peut-être...Avec vue sur la scène.

Je rêve qu'on me demande un jour :

- Vous reprendrez bien un peu de Mondrian mon prince ?

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