Voyage de lumières (IV)
Camille Verdier
Elle ne put s'empêcher d'allumer une cigarette, juste là, debout, sur la première marche de cette passerelle médicale; la douce flamme égaya son coeur, la chaude fumée humidifit ses yeux. Elle descendit ces marches au rythme de la tombée de la nuit, du levé du jour. Elle était comme dans un temps suspendu où le crépuscule embrassait l'aube, et où la rosée flottait dans l'air, rendant la peau douce, désirable et ardente.
Elle ne put s'empêcher de sourire en s'éloignant de ce monstre d'hôpital. Une fois loin, hors de portée des bruits de sirène, de déchirement, de cris, elle se retourna; elle ne vit qu'une forteresse dégoutante. Et dans ses derniers pas de première liberté, elle rit nerveusement - mais elle rit à nouveau, enfin.
Je l'attendais, enfin, nerveusement. Comment a t-elle réussi à se convaincre de guérir? Comment son corps meurtrit pouvait-il la porter à nouveau? Les images de ce corps vrillé et froid me tenaient éveillé, le silence m'étourdissait, les odeurs m'évanouissaient. Je l'attendais dans le noir, assis, les jambes croisées, crispées; mes yeux fermés : inquiets.
Les marches accueillirent ses pas; le silence revint alors qu'il aurait dû s'amplifier. Elle aurait du ouvrir la porte, et envahir la pièce de la froide lumière de la nuit.
Son coeur s'emballait malgré son immobilité, son attente, là, debout, sur ce seuil qui la séparait de ce qu'elle avait cru oublier. La porte entr'ouverte donnait à voir l'épaisseur sombre d'une lumière noire. Le silence rythmait son coeur, mais bientôt, ses battements s'accélérant, elle ne pouvait ignorer cette vitesse qui lui faisait mal : elle entra.
Mon coeur battait si vite qu'elle ne pouvait pas ne pas l'entendre. Ses talons résonnaient, puis, tombèrent au sol. Le froissement de son lourd manteau se tut. Je ne pouvais plus bouger; j'avais seulement l'impression de manquer d'oxygène, de brûler de l'intérieur, de perdre le contrôle.
Puis ses mains enveloppèrent mes épaules tendues, ses pouces se posèrent sur ma nuque chaude. Je lâchai ce soupir contenu depuis et ma tête bascula sur ses poignets durs.
Je me levai. Elle parut reculer. Ses yeux brillaient dans cette nuit illuminée.
Et doucement, je redécouvris ses lèvres, ses joues, ses mains; curieusement, elle ne semblait pas avoir oublier les miennes : ni mon dos, mon ventre, mon sexe.
Ce fut dans un élan libérateur que nos oublis et souvenirs se sont mêlés, et permettant une explosion de désir et de beauté.
C'est un peu comme cet astronaute qui retrouva le poids et le plaisir de l’apesanteur après six mois dans le froid de l'espace.
· Il y a plus de 7 ans ·daniel-m
Excellent.
· Il y a plus de 7 ans ·Mlle Lamarquise
Les mains de ceux que l'on aime comme des cataplasmes pour se réapproprier son corps mutilé... Encore un texte profond sur la maladie et la douleur. Sur cette vitesse qui heurte comme vous dites si bien, sur cette intensité qui devient un danger pour soi-même. Alors on enfouit ses désirs dans la boue, on se regarde dans le reflet des lacs et on se laisse couler, on se laisse mourir.
· Il y a plus de 7 ans ·Julien Darowski